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Johannes Kiersch - L’ÉSOTÉRISME INDIVIDUALISÉ DE RUDOLF STEINER AUTREFOIS ET MAINTENANT
À propos du développement de l'Université libre pour la science de l’esprit   retour au sommaire


3. L'impulsion éthique de l’œuvre précoce, la « tentative » de 1911 et l’événement de la nuit de l’incendie

 

Complètement indépendant de la Société Théosophique, comme le souligne Rudolf Steiner, un événement mystérieux se place maintenant dans le contexte du travail ésotérique de ces années. Dans la conférence sur le Manichéisme de novembre 1904, Rudolf Steiner avait souligné la nécessité de créer dès à présent une forme pour le christianisme libéral d'un avenir lointain, dans laquelle la « vie » du nouvel âge pourrait « se déverser » dans une « organisation » ou, comme il l' a dit plus précisément: une « forme extérieure de société ». « Ce doit être la forme extérieure de l'organisation, la commune, dans laquelle l'étincelle chrétienne pourrait ainsi tout d'abord correctement prendre place ».46 Sept ans plus tard, cette impulsion réapparaît. Après une  réunion préparatoire en plus petit cercle, Rudolf Steiner tient un discours à Berlin à l'occasion de l'Assemblée générale de la Section allemande de la Société théosophique, mais en dehors du programme officiel, devant les participants invités le 15 décembre 1911 47 dont le contenu provoque jusqu’aux jours d’aujourd’hui un sentiment d’irritation quand pas l’embarras .Il s’agit, il insiste sur le fait non d'une constitution, comme c'est le cas pour les sociétés ou les associations de type habituel, conformément à la reconnaissance commune de certains idéaux, mais plutôt d'une « fondation ». Rudolf Steiner décrit la nature particulière de cette nouvelle « manière de travail » comme un tâtonnement prudent. On sent comme s’il se trouvait dans le dilemme de devoir introduire ses auditeurs à une réalité supra conceptuelle sans disposer des moyens d'expression appropriés. Ce dont il s'agit en fait ne pourrait être dit en mots. Seulement quand les raisons du travail commun « n'appartiennent pas au monde sensoriel, mais au monde supra-sensible », [33] une fusion des façons désirées/aspirées serait possible. Les « principes de/du devenir » seraient à prendre en considération. «  Pas seulement qu’absolument rien n'a été fondé du tout, mais il y a le fait que donner une définition à ce qui devrait être fait, ne sera pas possible en aucune heure, car tout devrait être en perpétuel devenir. » Et plus loin: « ... ce qui doit être fait n'est pas basé sur les mots, mais sur des humains, et même pas une fois sur des humains, mais sur ce que ces humains feront. ... Jamais ce que devrait devenir cette chose ne devrait pouvoir être affecté d’une quelque manière par ce qu'elle est. » Le nouveau cercle, serait sanctionné par cela, qu’il aurait reçu sa tâche « en vertu de sa propre reconnaissance de notre courant spirituel » et, par cela, « qu’on voit d'une certaine manière le principe de la souveraineté de l'effort/l’aspiration spirituel/le, le principe du fédéralisme et de l'indépendance/l’autonomie de tout effort/aspiration spirituel/le comme la nécessité absolue pour l'avenir spirituel, et par la façon dont il le tient pour approprié, devrait le porter dans l'humanité ».

 46 GA 93, P. 76.

47 Marie Steiner, après GA 264, p. 423.

48 Le texte révisé de 1996 dans GA 264, pp. 421-435, fait aujourd'hui foi.

 

Rudolf Steiner se tient ostensiblement en retrait. Il se voit lui-même seulement comme un « interprète » des principes « qui, en tant que tels, sont disponibles seulement dans le monde spirituel ». Ce sur quoi sera indiqué avec cela vient de l’affirmation solennelle qu'il devrait  avec cela être doter une « sorte de travail », « qui, à travers l’art et la manière de la fondation, a pour point de départ direct cette individualité que nous appelons Christian Rosenkreutz depuis le passé lointain de l’Occident ».

 

Dans sa fonction consciemment limitée d'« interprète », c'est-à-dire en tant que personne qui, à partir de l'horizon terrestre-sensoriel, sans prétendre à une vérité sans équivoque et définitive, exprime sa vision actuelle, tout à fait provisoire, Rudolf Steiner assigne maintenant certaines fonctions aux personnalités qu'il a appelées à participer à la nouvelle manière de travailler, qu'il dote solennellement de désignations traditionnelles de fonction. Pourquoi se sert-il de ces anciens noms dans le contexte de son « interprétation » ? Pour donner le poids voulu aux fonctions assignées vis-à-vis de la théosophénie assemblée? Pour des raisons de loyauté occulte, comme lors de son rattachement formel à la tradition maçonnique? En tout état de cause, il souligne qu'il n'y a « aucune distinction honorifique, aucune dignité » associée aux fonctions, seulement des « devoirs ». En ce sens, Marie von Sivers est « interprétée » comme le « curateur » (NDT « Kurator ») de la fondation, avec pour tâche de recruter d'autres membres  [34] (« non pas dans le sens extérieur, mais seulement de telle sorte qu’elle permettra à ceux qui ont la volonté sérieuse de participer à cette façon de travailler de l’approcher »), alors pour chaque « branche annexe » de l'activité commune il y aura un « Archidiacon », c'est-à-dire pour l'art général Imme von Eckardstein, pour la littérature (« provisoirement ») Marie von Sivers, pour l'architecture Felix Peiper, pour la musique Adolf Arenson, pour la peinture Hermann Linde, ainsi que comme « conservatrice » (« pour la supervision de cette union ») Sophie Stinde, comme « conservatrice des sceaux », responsable du « principe de l’'organisation » Alice Sprengel, en tant que « secrétaire » finalement Carl Unger. La Fondation obtient pour les prochains temps le nom « provisoire » de « Gesellschaft für theosophische Art und Kunst » (Société pour la façon et l’art théosophique). Ce que l'on entend par « façon » reste pleinement ouvert, « à l'état germinatif », comme Rudolf Steiner s'exprime. Par contre avec le concept d'« art théosophique »sera rattaché à ce qui existe déjà : les représentations de plusieurs drames-mystères à Munich, l'agencement artistique de la maison de la branche de Stuttgart dans la Landhausstraße et la fondation de l'association du Johannesbau ( l’édifice de Jean) à Munich. A tous ceux-là avait la permission d’être accordée « la sanction comme quelque chose qui a été testé d'une certaine manière ». Avec la constatation que « le fait que la volonté de devenir membre ne peut venir d'une autre personne que la personne concernée », le principe de l'auto-nomination sera nouvellement introduit, lié à l’indication de la nécessité de la reconnaissance.

On aura la permission de considérer la fonction des « Archidiacons » comme une préforme du « dirigeant de section » de l'université de 1923/24. De manière possible Steiner a pensé à un noyau ésotérique pour la « Hochschule für Geistwissenschaft », qu'il avait envisagé quelques semaines auparavant en ce qui concerne le projet de Johannesbau à Munich en tant qu'organe d’action vers l’extérieur de l'anthroposophie auprès du public académique.49

 

49 Lettre « Aux membres de la Société Théosophique (Section Allemande) et à leurs amis concernant la construction de l’édifice de Jean à Munich », octobre 1911. Il est question de : « La pensée d'une Université pour la science de l’esprit est la conséquence nécessaire à tirer de la délivrance du savoir spirituel dont notre temps a été honoré. Il est d'ores et déjà tout à fait possible aujourd'hui, si nous passons en revue les collaborateurs travaillant parmi nous, de nommer des enseignants pour presque tous les domaines particuliers, qui seraient prêt à offrir une mission d'enseignement si des demandes étaient formulées, prendre le relais. Mais cela permettrait à la science spirituelle de rendre justice à la tâche àlaquelle elle a été confrontée dès le début : féconder tous les domaines de la vie. L'Université pour la science de l’esprit reprendra le savoir capable d’évolutiondes académies là où ses représentants officiels le laisse se figer aujourd’hui dans le matérialisme, et le conduiront en haut vers le savoir de l'esprit et l’introduiront/leguideront dans ce temple où son union avec l'art et la religion rend possible le mystère vivant "(GA 337a (1999), p. 324).

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L'ensemble du projet sera d'abord limité à l'Épiphanie de l'année suivante. Après cette date, on n'en parle plus pour longtemps. Ce n'est qu'après des années que Rudolf Steiner y est revenu avec une brève remarque et a déclaré : « L’art et la manière dont la chose a été conçue dans un cas déterminé l'a rendue impossible. C'était un essai. »50.

 

 Il est facile de voir apparaitre dans cette étrange « expérience » de nombreux motifs qui réapparaissent sous une forme transformée lors du congrès de Noël pour refonder la Société anthroposophique et dans les déclarations de Rudolf Steiner s’y rattachant sur la Freie Hochschule für Geistwissenschaft (Université libre de science de l’esprit) : l'élan de liberté décisif, le principe de la responsabilité personnelle pour des tâches déterminée, liées à l'effort de communauté à partir de l'esprit, l'élan d’œuvrer vers l’extérieur dans la vie culturelle en général, la question du pendant/rapport entre « mouvement » et « organisation », le principe du « devenir », l’avis/l’intention que le progrès commun ne repose pas sur l'attribution de dignités, mais sur des actions. Or, la « tentative » de 1911 ne fut pas seulement un premier pas décisif vers les événements du Congrès de Noël 1923. En y regardant de plus près, il s’avère comme un résultat intermédiaire significatif sur un dramatique chemin de connaissance et d'action que Rudolf Steiner a poursuit inlassablement depuis sa jeunesse.

 

 Dans la nuit du 10 au 11 janvier 1881, le jeune de dix-neuf ans découvre la nature-esprit de son propre soi lors de l’approfondissement d’un texte de Schelling. Son explication/sa confrontation antérieure avec Kant et surtout avec la philosophie du Je de Johann Gottlieb Fichte sera ainsi élevée à un nouveau niveau. Christoph Lindenberg, à qui nous devons une interprétation prudente de la lettre dans laquelle Steiner commente sur cette percée, écrit là-dessus :

 

50 Conférence du 21.8.1915, cité après GA 264, p. 435.

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« Ainsi, l’ensemble du monde des pensées sera libéré de la rigidité du dogmatisme et de la nature non contraignante de la critique pour devenir un élément absolument fluide dans lequel le Je se meut librement créateur. »51 La sureté personnelle gagnée porte le jeune étudiant et écrivain par les années se rattachant. En novembre 1888, vers la fin de sa vingt-huitième année de vie, la réalité de la réincarnation lui devient alors une première expérience personnelle. Peu de temps après, sa connaissance de Friedrich Eckstein et du cercle autour de Marie Lang le conduisit - beaucoup plus intensément qu'on ne l'a supposé jusqu' à présent - aux premières représentations sur l'essence de l'ésotérisme sérieux.52 De tout cela grandit la grande pensée de Rudolf Steiner que l'action morale ne doit pas être déterminée par des exigences contraignantes de l'extérieur ou par des compromis, mais peut seulement provenir de l’intention (NDT Einsicht) individuelle. « Dans le rejet de toute norme, consiste la principale caractéristique de la conscience moderne. Le principe de Kant : Vis ainsi que la maxime de ton action puisse valoir universellement, est écartée/défaite. A sa place doit apparaître : Vis ainsi que cela exprime le mieux ton être intérieur; vis-toi pleinement, sans reste. Tout de suite alors quand chacun donne au commun ce que personne d'autre ne peut lui donner, mais seulement lui, alors il le fait le plus pour lui. »

Dans la « Philosophie de la Liberté » de 1894, cette pensée a été étayée/fondée en détail et, de manière encore très provisoire, elle a été fusionnée en une sorte de principe directeur : « Vivre et laisser vivre est la maxime de base des humains libres. » 54 Encore plus affûté de manière acérée, il se retrouve dans l'essai récemment beaucoup cité sur « L'égoïsme dans la philosophie » (NDT :  lien à la traduction de Daniel Kmiecik) de 1899: « Comprendre le je en pensant signifie créer la base pour justifier tout ce qui sort du je sur le je seul. Le Je, qui se comprend lui-même, ne peut se rendre dépendant que de lui-même. Et ne peut être responsable envers personne que lui-même. »55

51 Lindenberg 1997, p. 85.

52 Voir en particulier les découvertes pertinentes de la nouvelle étude de Robin Schmidt (2010).

53 Une "Société pour une culture éthique" (Gesellschaft für ethische Kultur) en Allemagne, 1892, aujourd'hui GA 31, p. 169. De même dans un autre essai de la même année: "Ce qui est spécial dans chaque être humain doit en ressortir et devenir une composante du processus de développement. Ibidem, p. 170.

54 P. 155 de la première édition de 1894, voir GA 4 a, p. 107.

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Rudolf Steiner souligne ici avec insistance qu'il n'a pas du tout en vue un idéal abstrait de Je, mais qu’avec « le ‘Je’ serait pensé seulement le Je réel à caractère de corps de l’individu (NDT das leibhafte reale Ich des Einszelnen) ».56

 

Trois ans plus tard, Rudolf Steiner relie cette pensée éthique directrice dans un discours presque enthousiaste à l'Association moniste de Berlin avec la doctrine moderne, jadis très controversée de l'évolution, de Darwin et Haeckel. La vérité, qui « veut fertiliser/féconder », dit-il là, se situe « infiniment » au-dessus de la vérité des « fanatiques des faits », qui veulent seulement accepter une réalité qui existe indépendamment de l'esprit humain.

Par cela, ce que l'humain chérit dans ses rêves et crée dans son esprit, reçoit de la vérité cosmique dans la vie, plus que la signification d'un simple luxe, quelque chose que l'humain a fabriqué comme nouveau. Ainsi, des fondations de la science, il monte jusqu'à une œuvre productive qui jaillit librement de son âme comme une intuition originale. Par la suite, au plus haut niveau de développement, il a une tâche qu'aucun autre être dans le monde n'a, il ajoute quelque chose qui sans lui ne serait éternellement pas disponible. 57

Pendant qu'il remue encore de telles idées et de tels sentiments, avec lesquels il se place complètement dans les ambiances largement répandues du monde culturel contemporain, Rudolf Steiner rencontre les attentes du milieu théosophique avec lesquelles son destin le confronte. D'un côté, comme nous l'avons vu, il a la permission de vivre l'invitation à donner des conférences dans la Bibliothèque Théosophique du Comte et de la Comtesse Brockdorff comme une percée dans sa mission propre : « C'était une expérience importante pour moi de pouvoir parler avec des mots qui ont été façonnés à partir du monde de l’esprit ». De l'autre côté, pour se faire entendre, il doit maintenant s'approprier pleinement les traditions, les expressions et les comportements qui y sont coutumiers, les usages d'influence britannique de la Société théosophique, les représentations de valeurs des sujets impériaux Wilhelminiens,

55 GA 30,5,151.

56 Voir Swassjan 2007, Baumgartner 2009, Darvas 2010, Hoffmann 2011 et Schmidt 2011.

57 Vérité et science. Exposé de l'auteur d'une conférence dans le "Giordano Bruno-Bund für monotonous Weltanschauung", Berlin 7.5.1902, aujourd'hui GA 51, p. 303.

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qui sont beaucoup plus proches de la conception du devoir d'Immanuel Kant et des vertus de la bourgeoisie prussienne que de l'anarchisme de Max Stirner ou de John Henry Mackay, dans la dangereuse proximité duquel Rudolf Steiner était venu dans les années auparavant. Ce qu'il prépare se tient tout au début. « En Allemagne, nous avons seulement quatre ou cinq personnalités entièrement sûres. Et c'est pourquoi nous devons travailler intensément », écrit-il le 1er mai 1903 à Mathilde Scholl58, et une bonne année plus tard : « Le succès du mouvement théosophique allemand dépend de ce que nous ayons une base de théosophes tels qu’ils travaillent ésotériquement. 59 Jusqu' à ce qu'il ait attiré un noyau d'ésotéristes fiables qui veulent travailler avec lui, les idéaux bien-aimés d'autonomie et de liberté doivent se retirer. Ce n'est qu'en 1918 qu'une deuxième édition de la « Philosophie de la Liberté » s'imposa. Dans le cas des théosophes, il est d'abord nécessaire de promouvoir et de cultiver tout ce qui est ésotérique dans les formes traditionnelles d'une formation stricte, hiérarchiquement guidée « d'en haut ». Le secret le plus strict est exigé pour beaucoup de choses. Il s’agit de garder et de préserver la sainte sagesse. L'enseignant spirituel peut compter sur la dévotion et la loyauté inconditionnelle. Tout cela vaut encore plus strictement dans l'école ésotérique avec ses trois degrés.

Ce n'est que lorsque l'ésotérisme de Rudolf Steiner pénètre dans le domaine créateur des arts vers 1907 que les impulsions originales pour la liberté se font de nouveau progressivement valoir. A partir de l'été 1906, Rudolf Steiner souligne dans une série de conférences et dans une lettre à Annie Besant la particularité de l'ésotérisme rosicrucien,qui émane « de la mystique des pensées de Fichte, Schellings et Hegel ».60 Dans ce contexte, il accentue dans son essai « L'Élève et le Gourou », paru en rattachement à la série « Comment obtient-on des connaissances des mondes supérieurs ? », les divers degrés de dépendance du disciple ésotérique vis-à-vis de son maître spirituel « dans les différentes méthodes d'entraînement occulte ».

Elle est proportionnellement la plus importante dans ces méthodes qui ont  été suivie par les occultistes de l'Orient et aussi encore enseignée par eux comme la leur.

58 GA 264, P. 45.

59 Lettre du 18 mai 1904, GA 264, p. 58.

60 GA 264, p. 280, voir Lindenberg 1997, p. 407 et suivantes et Selg 2007, p. 25 et suiv.

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Cette dépendance d’un humain est disponible dans une bien moindre mesure dans l’initiation chrétienne ainsi nommée. Et, en fait, elle est complètement perdue sur le chemin de la connaissance qui a été donnée par les écoles secrètes des Rose-Croix ainsi nommées depuis le XIVe siècle. Avec celui-ci, l'enseignant ne peut pas tomber, parce que c'est impossible. Mais toute dépendance cesse vraiment vis-à-vis de lui.

 

Il montrera encore en détail (ce qui alors ne se passe pas immédiatement en se rattachant) , comment ces trois « chemins de connaissance », « l'oriental, le chrétien et le rosicrucien », se différencient. Évidemment, ce n'est pas son intention de privilégier la voie rosicrucienne, dans laquelle ne viendrait « rien en considération », »qui pourrait déranger un être humain moderne dans son sentiment de liberté ». Il décrirait « comment l'une ou l'autre personne, en tant que disciple de (NDT ce qui est) secret, peut arriver à cela, aussi actuellement, dans l'Europe moderne, non d’aller la voie du rosicrucisme, mais d’aller la voie orientale ou chrétienne plus ancienne, bien que la rosicrucienne soit la plus naturelle actuellement.61 Ici, sera particulièrement clair ce que Rudolf Steiner lui-même prône avant tout, mais en même temps accorde à chacun de ses étudiants la liberté de poursuivre des chemins spirituels plus anciens.

 

Avec l'émergence du mouvement anthroposophique du « cadre » théosophique pendant la crise des années 1910 à 1912, l'élan pour la liberté de l'ésotérisme rosicrucien atteint sa première culmination dans la forme de la mystérieuse « tentative » de décembre 1911. La responsabilité personnelle et la pleine autonomie d'action, brillent, combinées à une vive communion dans l'esprit. Le principe du gourou est abandonné. L'enseignant spirituel se retire entièrement, « interprète » encore seulement ce qui se passe, détaché de lui, par initiative individuelle. Mais l'impulsion échoue. Quelques mois plus tard seulement, dans le troisième drame mystérieux, la scène du temple apparaît comme une image symbolique, dans laquelle les serviteurs d'une vénérable tradition se retirent/démissionnent de leur sainte charge et, à leur place, les trois disciples de Benedictus deviennent activement responsables, légitimés non plus par succession, mais par progrès individuel sur le chemin d'exercice ésotérique. « Ils apporteront du nouveau à l'ancien / qui a été digne d'être ici depuis lapréhistoire » 62.

61 GA 12, P. 49.
62 Le gardien du seuil, dixième tableau. GA 14, p. 376.

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 Trois ans plus tôt, Rudolf Steiner avait atteint une vue d'ensemble du contenu de l'enseignement anthroposophique sur le chemin laborieux de la pénétration conceptuelle de ses visions suprasensibles, qui offre à l'étudiant aspirant indépendamment à l'esprit une orientation valable jusqu'à ce jour : la « Science secrète en esquisse ». Comme motif exemplaire de méditation, la croix avec les sept roses y apparaît pareille à un sceau pour ce qui a été atteint jusqu'à présent. Et bientôt le style de l'enseignement change. La diversité individuelle des chemins sera maintenant accentuée. Un signe symptomatique en est le titre du prochain manuel (NDT : ou lit. : livre d’exercice), qui paraît en 1912: « Un chemin vers la connaissance de l'humain par lui-même » 63 Ici aussi, sera « aspiré à donner des connaissances selon la science de l’esprit de l'être de l’humain ». Mais sous une nouvelle forme. Steiner écrit introduisant :

La description est faite ainsi que le lecteur puisse croitre dans le décrit, de sorte qu'au cours de la lecture, cela devienne quelque chose comme une sorte de conversation avec lui-même. Si cette conversation avec soi-même se forme de telle sorte que des forces précédemment cachées se révèlent, lesquelles peuvent être éveillé dans chaque âme, alors la lecture mène à un véritable travail intérieur de l'âme. Et celui-ci peut se voir progressivement poussé à la vadrouille/au compagnonnage de l'âme, qui transpose vraiment dans la vision du monde spirituel. ». (NDT Seelenwanderschaft. Pour Wanderschaft le lexique évoque le compagnonnage du tour de France des compagnons se spécialisant dans un métier, la « vadrouille » semble moins sérieuse… quoique ! Qu’on se retourne sur ce qu’on laissées de rapport à la réalité celles de l’enfant que nous avons été. Quand elles ont été possibles…)

Une conversation avec soi-même d'abord purement faite de pensées, encore pleinement non engageante, peut éveiller des forces cachées et passer en cela dans le travail de l'âme, dans un effort saisissant plus profondément, qui finalement saisit la volonté et provoque un mouvement propre, une vadrouille conduite individuellement vers l'esprit. L’enseignant se retire/démissionne complètement. Il oriente seulement encore, sans aucune prétention au dévouement et à la loyauté. Cela sonne entièrement semblable dans la préface de la première édition du « Calendrier de l'Âme », qui paraît la même année :

Serait dit explicitement, qu’avec cela est pensé une possibilité de chemin de connaissance par soi-même. Non des « prescriptions » d’après le modèle

63 Surligné par J. K.

64 GA 16, p. 7.

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de pédants théosophiques devraient être données, mais sera plutôt indiqué sur le tissage vivant de l'âme, comme il peut être une fois. Tout ce qui est destiné aux âmes prend une coloration individuelle. C'est précisément pour cela que chaque âme trouvera son chemin dans le rapport à un dessin individuel. Ce serait facile à dire : comme est introduit ici, que l'âme devrait méditer si elle veut cultiver un morceau de connaissance de soi. Il ne sera pas dit que parce que le propre chemin de l'humain devrait se chercher des incitations à un donné, il devrait se soumettre pédant à un « sentier de la connaissance ».65.

Depuis lors, la pratique d’exercice méditatif mise en marche par le « Calendrier de l’âme » de 1912 s'est développée depuis en un large courant remarquable de travail ésotérique modeste et silencieux, dont on à bien la permission de dire qu'il a œuvré formant un climat pour tous les champs de la vie orientés selon l’anthroposophie et continue à œuvrer. Ce n'est pas un hasard que Rudolf Steiner se rattache à la réalité de cette pratique d’exercice quand, dix ans plus tard, il développe son ésotérisme par une nouvelle étape décisive.

En septembre 1922, avec son aide, est fondé le « Mouvement pour le renouveau religieux », aujourd'hui connu sous le nom de « Communauté des chrétiens ». Il a transmis à ce mouvement les rituels de son culte : un don du monde spirituel qui vient sur la terre « d'en haut » pour le bien de la vie religieuse de l'humanité. A la fin du mois de décembre, Rudolf Steiner estime qu'il est nécessaire de faire comprendre à la communauté anthroposophique que le nouveau mouvement a sa propre mission et qu'il ne représente pas un niveau supérieur d'anthroposophie, comme maints le croient.66 Dans un cheminement de pensée exigeant, qui se réfère à la vie de l’humain à quatre membres avec les saisons, il développe alors l'idée d'un « culte cosmique », qui, comme une offrande des mystères anciens, monte du domaine du terrestre au monde spirituel, de bas en haut. Il qualifie le processus de « transsubstantiation » et cite en cela sa parole précoce du « devenir conscient de l'idée dans la réalité » comme la « véritable communion de l'humanité ». 67 Ce faisant, l'humain transforme tout ce qu'il a appris au cours de [42] l'évolution de la sphère des étoiles fixes (NDT : lit. : en repos) et du monde en mouvement des étoileschangeantes, par sa volonté et son sentiment, et c'est ainsi que commencerait la réalisation future de l'anthroposophie.

65 GA 40, p. 21 et suivantes.

66 GA 219, p. 161 et suivantes.

 

Ce qui serait sinon seulement une connaissance abstraite devient un rapport sentant et voulant au monde. Le monde devient un temple, le monde devient maison de Dieu. L'humain connaissant, s'empoignant dans le sentir et vouloir, deviendra un être sacrifiant. Le rapport fondamental de l'humain au monde s'élève de la reconnaissance/connaissance au culte des mondes, au culte cosmique. Que tout ce qui est notre rapport au monde se reconnaît tout d'abord comme un culte cosmique dans l'être humain, c'est le premier commencement de ce qui doit arriver si l'Anthroposophie devait accomplir sa mission dans le monde ».

La conférence solennelle au soir du 31 décembre 1922 culmine dans un mantra épigrammatiquement condensé. Peu d’heures plus tard, le bâtiment du Goetheanum est en feu. La « Maison de la Parole » brûle.

Après le piteux congrès de Stuttgart des délégués de la Société anthroposophique en février 1923, Rudolf Steiner revient sur la catastrophe de l’incendie, ses causes et ses perspectives d'avenir. Maintenant il parle du « culte inversé », qui naît du libre échange de pensées dans la conversation ésotérique, de « l'éveil à l'autre humain ».69 Il sera à montrer dans ce qui suit comment la grande impulsion pour l'individualisation de l'ésotérisme anthroposophique, qui brille ici encore une fois, se fait valoir lors de la nouvelle fondation de la Société anthroposophique et de son école ésotérique sous la forme de la Freie Hochschule für Geistwissenschaft (Université libre de science de l’esprit). Le destin tragique du mouvement anthroposophique, qui resta loin derrière les objectifs et les espoirs de Rudolf Steiner au cours du XXe siècle, s'explique-t-il en grande partie par le fait que, lorsque Rudolf Steiner est apparu à l'époque, cette impulsion n' a pas été comprise et que peu de gens l'ont reprise énergiquement à ce jour?

 

67 Les écrits de Goethe sur les sciences naturelles. GA 1, p. 126 Voir aussi la conférence du 27.11.1916, GA 172, p. 214 et suivantes.

68 GA 219, P. 193.

69 GA 257, p. 116 ss. voir Ludwig 2010 et Röschert 2010.

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Nous remarquerons qu’au cours de ce destin, à maints endroits devient visible quel effet positif aurait pu avoir sur le cours des événements l'extension et la concrétisation significative de la « maxime fondamentale de l’humain libre », évoquée ici dans la première version de la « Philosophie de la liberté ». Au milieu de la catastrophe de destin de la Première Guerre mondiale, alors qu’il préparait à l'effet sociétal de l'anthroposophie qui commença à l'époque, Rudolf Steiner complète la formulation plus lâche de 1894 en deux ajouts porteurs d’avenir et écrit :

 

Vivre dans l'amour de l’action et laisser vivre dans la compréhension de la volonté étrangère est la maxime fondamentale de l’humain libre. 70

Deux ans plus tard, il donne aussi à cette pensée une forme mantrique et appelle le résultat « la devise de l'éthique sociale » :

Guérissant est seulement lorsque

Dans le miroir de l'âme humaine

Se forme toute la communauté

Et dans la communauté

Vit la force de l'âme particulière. 71

L'impulsion pour la liberté déjà sensible/perceptible dans l'éthique de ses années de jeunesse que Rudolf Steiner a réalisé pas à pas dans son ésotérisme ultérieur, vit de la force de l'âme individuelle, mais pas seulement. Elle a besoin d’une image miroir non brouillée de l'état d’âme de tous les autres humains impliqués. C'est pourquoi Rudolf Steiner a conçu la Freie Hochschule für Geistwissenschaft, le cœur ou l'âme de la Société anthroposophique, comme un organe de la perception et de l'équilibrage harmonisant. Nous y reviendrons dans le déroulement supplémentaire cours de notre présentation.

 

Celui qui laisse passer l’histoire du mouvement anthroposophique après 1925 devant l'œil intérieur ne manquera pas de constater qu'en lui la grande impulsion d'un ésotérisme individualisé, déjà clairement annoncés dans les premiers travaux philosophiques du maître de l'esprit, qui prend forme dans la « tentative » de 1911, encore avant la fondation [44] de la première Société anthroposophique et culmine avec le Congrès de Noël de 1923/24, n’a guère été saisie jusqu'à présent et seulement réalisé dans les grandes lignes. Aujourd'hui, nous comprenons pourquoi cela n'était guère possible autrement. D'anciens modèles de révélation sainte, de direction supérieure et d'autorité centrale, de secret et de pouvoir se sont plutôt mis en avant et ont occupé les âmes. Entre-temps, la situation mondiale s’est transformée. D'autres jeunes  humains cherchent maintenant un accès à l’œuvre de Rudolf Steiner. Cela aidera-t-il encore quand même à l’efficacité de cette impulsion ?

  70 GA 4, p. 116. L'accent est mis sur J. K.

71 GA 40, P. 298.

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