|   Or il est certes déjà difficile à notre époque de
                          parler de l'âme individuelle de l'homme au sens de la
                          science de l'esprit comme cela sera fait ici parce
                          que, face au courant matérialiste de l'époque répandu
                          sous bien des formes, il n'est pas tout à fait facile
                          de maintenir l'entité effective, intérieure, véritable
                          de l'âme individuelle, parce que cette essentialité
                          est mise en doute, niée. Mais encore plus éloigné que
                          la vie de l'âme individuelle pour le penser
                          naturaliste, le penser matérialiste, ce penser qui
                          croit aujourd'hui devoir refuser de bien des façons le
                          fait psycho-spirituel dans sa signification véritable
                          parce qu'il prétend se tenir sur le sol ferme des
                          sciences de la nature — encore plus éloigné pour lui
                          se trouve être ce qu'on peut désigner par l'expression
                          « âme du peuple ». L'âme du peuple serait-elle donc
                          autre chose — dit le mode de pensée naturaliste — que
                          la conjonction de tout ce qui se manifeste à partir
                          des âmes individuelles, de tout ce qui fait la
                          cohésion d'une certaine communauté d'êtres humains,
                          mais qui n'a d'existence effective que dans les
                          différents individus humains ? 
 Dès la première conférence que je me suis permis de
                          faire cet hiver, je remarquai que les grands
                          événements de notre temps, le sacrifice de tant
                          d'âmes, amène tout de même à regarder les « âmes des
                          peuples » comme quelque chose de réel. Il a beau en
                          être plus ou moins conscient, celui qui se sacrifie,
                          appelé par le destin du temps, entend bien, par le
                          sacrifice qu'il fait à l'âme du peuple, quelque chose
                          de réel, quelque chose qui vit ; qui a une substance
                          intérieure. Même les philosophes de notre temps, si
                          peu enclins à l'observation spirituelle proprement
                          dite, quand ils tentent de pénétrer en profondeur dans
                          les circonstances de l'histoire, dans les
                          circonstances de la vie en commun des hommes, ne
                          peuvent tout de même pas passer à côté de l'idée d'une
                          âme commune, en d'autres termes de l'idée de « l'âme
                          du peuple ». C'est ainsi donc que Wundt, le philosophe
                          de Leipzig, qui jouit maintenant d'un si grand crédit
                          et dont on ne peut vraiment pas prétendre qu'il tende
                          à considérer les choses dans le sens de la science de
                          l'esprit, n'a tout de même pas pu faire autrement que
                          de voir dans l'esprit d'une communauté une chose
                          réelle à laquelle il attribue un organisme, voire une
                          personnalité. Des choses comme celles-là rendent
                          attentif au fait que celui qui s'occupe de choses
                          philosophiques doit tout de même au moins s'approcher
                          de ce qu'apporte la science de l'esprit et que ce
                          n'est au fond rien d'autre que le défaut de
                          connaissance de la science de l'esprit qui fait croire
                          que la vie spirituelle et la réalité spirituelle ne
                          seraient qu'un appendice de la réalité extérieure.
                          Wundt lui-même voit un certain organisme dans ce qui
                          se constitue au sein d'un peuple à travers la langue,
                          les moeurs, la conception religieuse, au point même de
                          dire qu'il s'y manifeste une certainepersonnalité.
                          Mais la philosophie extérieure n'est malgré tout pas
                          parvenue jusqu'à présent à considérer véritablement
                          les choses dans le sens de la science de l'esprit.
                          Pour cela il est nécessaire que l'on parte de
                          fondements tels que ceux sur lesquels on a attiré
                          l'attention au cours de la conférence d'hier. Ce que nous avons fait remarquer, c'est qu'il existe
                          une évolution de l'âme humaine due à la stimulation de
                          forces intérieures, due à la domination de combats
                          intérieurs, par laquelle l'âme se prépare pour
                          percevoir le spirituel, le monde spirituel, et par
                          quoi l'âme se hausse par ce qu'elle vit jusqu'à cette
                          expérience que l'on doit alors formuler de telle façon
                          que l'on dira : On se ressent soi-même au sein du
                          monde spirituel comme une pensée d'entités
                          spirituelles supérieures ; de même que nos pensées
                          vivent en nous, de même on se ressent soi-même, du
                          fait de son évolution psychique, comme une pensée
                          d'entités spirituelles supérieures'. Et l'attention a
                          été attirée sur le fait que ce que le psycho-spirituel
                          proprement dit englobe dans l'homme, qui dans le
                          sommeil ordinaire vit en dehors du corps humain depuis
                          l'endormissement jusqu'au réveil, est éclairé,
                          illuminé par cette évolution psychique ; si bien que
                          l'homme se sait vraiment à l'intérieur de ce en quoi
                          il vit sinon inconsciemment depuis l'endormissement
                          jusqu'au réveil, qu'il se sait vivant par là dans son
                          être spirituel proprement dit et par là dans son être
                          supérieur proprement dit, de même qu'il se sait sinon
                          dans la nature extérieure de par son existence
                          physique. Mais l'attention a également été attirée sur
                          le fait que l'homme, dans la vie obscure du sommeil,
                          n'est pas capable d'illuminer son âme de la conscience
                          de l'être spirituel. Nous avons dit que le désir de
                          plonger à nouveau dans son corps physique l'emplit de
                          l'endormissement au réveil ; et ce désir a comme pour
                          effet d'embrumer, de troubler ce qui se produirait
                          sinon, une fois l'âme affranchie du corps durant le
                          sommeil afin de reposer dans le sein du monde
                          spirituel. 
 Car on peut dire : la science de l'esprit comprend
                          comment l'âme doit absolument être une réalité
                          autonome, se sachant libérée du corps, et elle sait
                          aussi comment l'âme, dans l'état dans lequel elle peut
                          entrer chaque jour du fait de l'endormissement, ne
                          peut rien savoir de cet état, car sa conscience est
                          amoindrie. Cependant, l'investigateur spirituel, en
                          découvrant ainsi la nature particulière, l'essence
                          intime de l'âme humaine libérée du corps, découvre
                          d'une autre façon encore ce que signifie : s'immerger
                          à nouveau dans son corps physique lors du réveil. Et
                          il faut ici énoncer une découverte importante de la
                          science de l'esprit, un résultat important de la
                          recherche en science de l'esprit. L'investigateur spirituel éprouve consciemment cette
                          immersion dans le corps physique. De même qu'il
                          parvient à éprouver consciemment en lui ce qui est
                          inconscient dans le sommeil, de même il éprouve aussi
                          la manière dont l'âme vit dans ce corps quand elle
                          s'immerge à nouveau dans le corps. Et il sait que, de
                          même que dans le sommeil l'âme est obscurcie dans sa
                          conscience, de même lorsqu'elle est immergée dans le
                          corps et qu'elle vit en celui-ci, elle est on pourrait
                          dire plus vigile qu'elle peut l'être par ses propres
                          forces. De même que dans le sommeil elle est plus
                          engourdie dans sa conscience qu'elle pourrait l'être
                          par ses propres forces â cause du désir présent en
                          elle, de même elle est, pendant le jour, plus
                          éveillée, plus claire, plus pénétrée de lumière
                          qu'elle pourrait l'être de par sa force propre. Par
                          son immersion dans le corps, elle peut prendre part à
                          ce qu'elle est capable d'éprouver dans le corps ; mais
                          cette immersion procure une expérience plus éveillée
                          que par la force que l'âme apporte par elle-même.C'est là que se manifeste à l'investigateur spirituel
                          la vérité de la formule selon laquelle tout ce qui
                          vient à nous dans le monde extérieur sous une forme
                          purement physique est pénétré de spirituel, que dans
                          toute chose physique vit au fond du spirituel. Et de
                          même que l'homme entre dans sa lumière d'âme
                          intérieure, il s'immerge dans son corps et sait qu'il
                          n'est pas seulement corps mais qu'il est pénétré
                          d'esprit et pénétré d'âme ; et dans la réalité d'âme
                          qu'il perçoit en s'immergeant dans son corps se trouve
                          ce qui mène une véritable vie en esprit — non
                          seulement personnelle mais suprapersonnelle, que nous
                          ne rencontrons pas si nous vivons dans ce que nous
                          traversons entre endormissement et réveil, mais dans
                          lequel nous vivons si nous nous immergeons dans le
                          corps. Parmi beaucoup d'autres réalités spirituelles,
                          nous 1 rencontrons dans notre corps ce qu'on peut
                          appeler âme du peuple. Cette âme du peuple, elle
                          pénètre notre corps d'esprit, elle le pénètre d'âme.
                          Avec notre corps ne nous est pas seulement donné une
                          matérialité corporelle ; avec notre corps, que nous
                          utilisons comme notre instrument entre la naissance et
                          la mort, nous est donné aussi ce qui pénètre d'âme
                          notre corps et qui n'est pas de même nature que notre
                          propre « âme personnelle ». Ce qui s'unit à notre 1
                          propre âme personnelle quand nous nous immergeons dans
                          le corps, c'est ce qui est esprit du peuple, âme du
                          peuple. En nous endormant, nous quittons aussi à
                          chaque) fois en quelque sorte la demeure de l'âme à
                          laquelle nous appartenons. L'investigateur spirituel —
                          j'ai souvent attiré l'attention là-dessus — n'a pas
                          peur qu'on lui reproche le dualisme qui contredirait
                          le « monisme » lorsqu'il fait remarquer que l'homme
                          est une dualité, qu'il se dissocie à chaque fois qu'il
                          s'endort pour se transformer d'une unité en une
                          dualité ; il a aussi peu peur que le chimiste a peur
                          qu'on lui reproche le dualisme quand il dit de l'eau
                          qu'elle se compose d'hydrogène et d'oxygène. Dans les
                          hommes, dans la mesure où nous les considérons en tant
                          que configurations physiques extérieures, ne vit pas
                          seulement l'âme individuelle qui va de vie en vie, qui
                          s'incarne toujours à nouveau dans des vies terrestres
                          répétées ; dans ce qui se déplace en tant que
                          configurations physiques, au contraire, vit encore une
                          autre réalité psychique, vivent les véritables âmes
                          des peuples imprégnées de conscience. Les
 (âmes des peuples sont seulement imprégnées de
                          conscience d'une autre façon que les âmes humaines
                          individuelles ; et pour que nous puissions nous
                          représenter à quel point cette âme du peuple est d'une
                          nature dee7e7ie attirons l'attention là-dessus de la
                          manière suivante.
 Au moment où l'homme se voit confronté à la réalité
                          extérieure, il se trouve face à elle de telle façon
                          qu'en fonction de toutes les dispositions de son
                          caractère, en fonction de toutes les nuances de sa vie
                          psychique, ou bien il s'est pour ainsi dire adonné,
                          dans l'observation des choses, à la dimension
                          objective du monde extérieur, ou bien il vit de telle
                          manière qu'il incline peu à diriger son regard au-delà
                          de l'horizon du monde extérieur, qu'il veut plutôt
                          vivre avec ce qui vit dans sa propre âme, en ressentir
                          le rythme. Cette opposition nous apparaît, nous le
                          savons, lorsque nous considérons Goethe et Schiller.
                          Le penser de Goethe, que l'on a qualifié à bon droit
                          d'« objectif», repose sur les choses, s'étend sur les
                          choses ; il vit de telle façon que Goethe vit avec les
                          choses et inspire pour ainsi dire leur spiritualité
                          comme une atmosphère spirituelle. Le regard de
                          Schiller était ainsi fait qu'il était moins orienté
                          vers la périphérie des choses, mais davantage tourné
                          vers l'âme elle-même, vers ce qui pulse là,
                          intérieurement, rythmiquement. Ce qui s'en va vivre
                          tout au long de l'histoire en tant qu'âme du peuple
                          est d'une nature telle que pour cette âme du peuple le
                          monde extérieur qui existe pour l'âme humaine
                          individuelle n'existe pas. De même que les choses de
                          la nature alentour existent pour nous, de même nous
                          existons nous-mêmes pour l'âme du peuple.Nos âmes qui entrent toujours dans les corps au
                          réveilsont pour ainsi dire les objets [Objekte]
                          d'observation de l'âme du peuple entrant én nous, tout
                          comme les objets [Gegenstände] de la nature sont nos
                          objets [Objekte]* d'observation. Tandis que nous nous
                          immergeons dans le corps, nous sommes — on ne peut pas
                          dire — « aperçus » mais "accourus par la pulsation
                          volontaire de la force et de
 'activité de l'âme du peuple. L'âme du peuple
                          s'oriente — vers nous.
 Or, la différence qui peut se faire jour, c'est que
                          l'âme du peuple s'oriente davantage vers ce qui entre
                          dans le cors que dans l'âme humaine indivduelle.
                          L'impulsion volontaire de l'âme du peuple, comme je
                          l'ai mis en évidence avec l'exemple de l'âme humaine
                          individuelle chez Goethe par rapport à la nature, peut
                          pour ainsi dire saisir davantage en nous l'âme
                          individuelle, peut se vouer davantage à l'âme
                          individuelle ; ou bien l'âme du peuple peut vivre
                          davantage en elle-même, comme je l'ai montré en
                          étudiant Schiller, elle peut vivre davantage pour ce
                          qu'elle peut éprouver comme son propre bien à l'aide
                          de la corporéité humaine. Nous voyons ainsi dans l'âme
                          du peuple une conscience personnelle pour laquelle nos
                          âmes sont pour ainsi dire ce que la nature est pour
                          nous. — On pourrait encore dire bien d'autres choses
                          sur les âmes des peuples et leurs particularités à
                          partir de certaines spécificités de l'âme humaine.
                          Mais on comprendra que, de même que les âmes humaines
                          individuelles sont extrêmement diverses, qu'elles se
                          comportent de façons extrêmement diverses par rapport
                          au monde, selon que le regard vers l'intérieur ou vers
                          l'extérieur marque plus ou moins l'âme, de même les
                          âmes des peuples pourront, elles aussi,
 * Rudolf Steiner distingue ici deux formes du rapport
                          d'une âme à son environnement : l'âme est active dans
                          une relation de connaissance (1), ou reste neutre (2).
                          Le français parle d'x objets » dans les deux cas,
                          Steiner d'Objekt ou de Gegenstand selon le cas.
 se comporter différemment par rapport aux âmes
                          humaines qu'elles regroupent dans les peuples. Et la
                          façon dont les âmes des peuples se comportent
                          vis-à-vis des âmes humaines individuelles, cela donne
                          le cours de l'histoire, donne le cours de ce qui se
                          passe effectivement. C'est selon la manière dont se
                          nuancent les âmes des peuples qu'elles vivent
                          invisibles dans ce que nous appelons l'histoire
                          humaine. Et je voudrais maintenant essayer de décrire
                          — au moins pour quelques âmes des peuples
                          effectivement réelles — ce que la recherche
                          spirituelle a à dire sur la nature des âmes des
                          peuples. Ceux des auditeurs qui ont entendu les
                          conférences conçues pour des cercles plus restreints
                          sauront qu'une telle description n'est pas tout juste
                          suscitée par le grand moment du temps*, mais que j'ai
                          toujours présenté ces faits de la même façon en tant
                          que résultat de l'investigation spirituelle concernant
                          les âmes des peuples, durant de longues années, avant
                          que lei impulsions du temps présent amènent à nouveau
                          les âmes à considérer plus précisément ce qui vit dans
                          les peuples.
 Quand nous considérons les âmes des peuples telles
                          qu'elles se manifestent dans l'histoire, nous
                          pourrions remonter très loin dans l'évolution de
                          l'humanité, telle que cette évolution de l'humanité
                          est dévoilée par la recherche spirituelle. Nous nous
                          contenterons de remonter jusqu'au point de l'évolution
                          cosmique de l'humanité qui d'une certaine façon est
                          encore propre à éclairer pour le présent ce qui nous
                          intéressera le plus aujourd'hui. Nous pouvons suivre
                          un type particulier d'âme du peuple en remontant
                          jusqu'à la vie de l'ancienne Égypte, qui était
                          apparentée à l'ancienne vie chaldéenne, babylonienne
                          et assyrienne,
 * La guerre avait commencé durant l'été 1914, soit
                          quatre mois plus tôt ; l'Autriche avait déclaré la
                          guerre à la Serbie le 28 juillet 1914. (NdT.)
 jusqu'à cette vie qui a précédé la vie grecque, la vie
                          romaine dans l'évolution de l'humanité.
                          L'investigateur spirituel parle alors de véritables
                          âmes des peuples, qui se manifestaient dans ce
                          qu'était la vie égyptienne, chaldéenne, assyrienne, de
                          la même façon que l'âme individuelle se manifeste dans
                          le corps humain. Ce n'est pas seulement sous une forme
                          « symbolique » que l'on dit que ces âmes des peuples
                          ont un organisme et une personnalité ; au contraire,
                          autant il est vrai qu'une âme personnelle, consciente
                          d'elle-même, se manifeste dans le corps individuel de
                          l'homme, autant il Est vrai que, dans ce qui
                          historiquement s'accomplit au
 sein des peuples, dans les événements, se manifeste,
                          saisissable dans le suprasensible, une âme du peuple
                          véritablement consciente d'elle-même, de la façon qui
                          est indiquée ; de sorte que l'on s'immerge
                          consciemment dans ces âmes des peuples si l'on prépare
                          son âme à en prendre conscience comme il a été indiqué
                          hier*.
 
 Or la spécificité des âmes des peuples qui fondaient
                          la vie égyptienne, la vie babylonienne, assyrienne et
                          chaldéenne, c'est que ces âmes menaient à un haut
                          degré une vie qui leur était propre — comme cela
                          n'existe plus tout au plus qu'approximativement dans
                          la vie des peuples asiatiques, africains —, si bien
                          que l'on peut dire que les ' âmes des peuples
                          s'occupaient peu des âmes particulières <
                          individuelles. L'âme particulière individuelle des
                          hommes, tout en menant sa vie corporelle,
                          s'identifiait à ce qu'était l'âme du peuple, en une
                          certaine extinction de son individualité. L'âme du
                          peuple se manifestait beaucoup plus dans ce que les
                          hommes accomplissaient que ne pouvaient se manifester
                          les hommes individuels. Et c'est cela qui* Allusion â la conférence du 26 novembre 1914 dans le
                          même recueil :
 L'âme humaine dans la vie et dans la mort, considérée
                          du point de vue de la science de l'esprit.
 conditionne le caractère singulier de la civilisation
                          égyptienne et de la civilisation chaldéenne,
                          babylonienne, assyrienne.
 Au sujet des âmes des peuples, la science de l'esprit
                          montre que, parce qu'elles vivent dans l'invisible,
                          elles sont apparentées à toute la spiritualité qui
                          pénètre toute matérialité. Du fait que l'homme s'est
                          retiré davantage dans son âme à l'époque moderne, la
                          nature est alors devenue pour lui l'autre pôle, ce qui
                          est là comme « inanimé », ce qui ne se révèle pas
                          partout à lui comme pénétré d'esprit et d'âme. Quand
                          l'homme de l'ancienne Égypte, de l'ancienne Chaldée
                          regardait l'univers, il voyait encore dans la marche
                          des astres, dans le mouvement des corps célestes, à un
                          degré beaucoup plus élevé que cela n'a pu être le cas
                          plus tard, dans les mouvements qui se déroulaient dans
                          les nuages et dans l'eau également, dans la formation
                          du pays à partir de l'élément de l'eau — partout il
                          voyait l'expression du spirituel au sein de la réalité
                          matérielle. De même que l'homme, quand il regarde
                          autrui en
 (face, voit dans les mouvements et les transformations
                          de son visage l'expression de l'âme, de même
                          l'Égyptien ou le Chaldéen uni à son âme du peuple de
                          la façon qui a été décrite voyait dans ce qu'on
                          appelle aujourd'hui l'aspect « astrologique » du monde
                          un résultat de la façon dont la physionomie de l'être
                          intérieur, de l'être spirituel parle dans toutes les
                          données extérieures, dans toutes les données
                          matérielles. C'est ainsi que le ciel, que l'univers
                          entier se pénétraient d'âme ; ou plutôt, à l'époque où
                          l'âme du peuple parlait encore dans l'homme, celui-ci
                          voyait transparaître à travers tous les gestes de la
                          nature, à travers toute la physionomie extérieure de
                          la nature, une réalité spirituelle.
 Le progrès intérieur de l'humanité consista justement
                          en ceci qu'à la place de l'action de l'âme du peuple
                          égyptien et l'âme du peuple chaldéen apparurent au
                          cours du
 temps l'âme du,peuple grec et l'âme du peuple romain.
                          L'âme du peuple grec, l'âme du peuple romain se
                          distinguent de l'âme du peuple égyptien et de l'âme du
                          peuple chaldéen en ceci qu'elles sont moins occupées
                          d'elles-mêmes, qu'elles s'adonnent pleines d'amour à
                          l'individualité_ humaine, C'est ainsi que se fait jour
                          pour la première fois dans la civilisation grecque ce
                          que l'on peut caractériser comme une préservation de
                          l'individualité humaine, même si celle-ci s'immerge au
                          sein de l'âme du peuple ; et tout ce que l'âme du
                          peuple grec a produit de grand en art, en littérature,
                          en philosophie est un résultat de cette relation
                          particulière entre l'âme individuelle et l'âme du
                          peuple.
 
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