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Collection: 07 - LES IDEAUX SOCIAUX
Sujet : Socialisme, liberté de pensée et science de l’esprit
 
Les références Rudolf Steiner Oeuvres complètes GA186 101-106 (1990) 06/12/1918
Traducteur: Marie-France Rouelle et Gudula Gombert Editeur: eda

 

04020 - A cela s'ajoute encore un fait curieux : les dispositions tout d'abord essentielles de l'homme de la cinquième époque postatlantéenne sont anti­sociales. Car la conscience qui s'édifie précisément sur le penser est censée se développer durant notre époque, laquelle en conséquence mettra en évidence les impulsions antisociales de la manière la plus brutale qui soit, par le canal de la nature humaine. Par ces impulsions, les hommes appelleront des situations plus ou moins malheureuses, et la réaction contre l'antisocialisme s'affirmera toujours dans les réclamations proférées en faveur du socialisme. Il faut seulement comprendre que le flux et le reflux doivent alterner. Car supposons que vous socialisiez vraiment la société, cela engendrerait de telles situations entre les hommes que nous ne ferions que dormir dans nos relations humaines. Celles-ci agiraient comme un soporifique. Il vous est difficile de vous représenter la chose aujourd'hui, parce que vous ne pouvez absolument pas imaginer de façon concrète ce que serait une telle république dite socialiste. Mais elle serait bel et bien un immense dortoir pour la faculté humaine de représentation. On peut concevoir l'existence de nostalgies à cet égard. Bon nombre d'hommes ressentent continuellement ce désir de dormir. Mais nous devons comprendre justement ce que sont les nécessités internes de la vie et ne pas nous contenter de vouloir simplement ce qui nous convient ou nous plaît; car en règle générale, c'est ce que nous n'avons pas qui nous plaît et nous ne savons pas apprécier ce que nous avons.

04021 - Ces explications vous montrent que, lorsqu'on parle de la question sociale, il faut avant toute chose pénétrer intimement la nature de l'être humain, apprendre à la connaître de sorte que l'on sache comment les pul­sions sociales et antisociales s'y manifestent. Dans la vie, celles-ci s'entre­mêlent d'une manière souvent inextricable, comme dans une pelote de laine. C'est pourquoi il est si difficile de parler de la question sociale. En fait, on ne peut guère en débattre, à moins d'avoir le dessein d'entrer véri­tablement dans la nature intime de l'homme pour comprendre comment,
par exemple, la bourgeoisie en soi est porteuse d'impulsions antisociales. Le simple fait d'être bourgeois engendre des impulsions antisociales, parce que être bourgeois consiste essentiellement à se créer une sphère de vie à son gré, afin de pouvoir y vivre rassuré. Si l'on analyse cette tendance curieuse du bourgeois, on découvre que, selon les particularités propres à notre époque, celui-ci veut se créer, sur une base économique, un îlot de vie sur lequel il pourra dormir en toute circonstance, excepté pour satis­faire quelque habitude spécifique qu'il développera selon ses sympathies et antipathies subjectives. C'est ainsi que le bourgeois peut dormir énormément. Par conséquent, il ne recherche pas le même sommeil que le prolétaire, lequel est toujours tenu en éveil du fait que sa conscience n'est pas endormie sur une base économique et recherche donc le sommeil de l'ordre social. Voilà déjà un aspect psychologique très important. La possession endort, tandis que la nécessité de lutter dans sa vie éveille. L'endormissement par la propriété permet le développement d'une impulsion antisociale, puisqu'on ne désire pas le sommeil social, tandis que le fait d'être continuellement exhorté par la nécessité de gagner sa vie fait naître la nostalgie du sommeil dans les rapports sociaux.
04022 - Ces choses doivent impérativement être prises en compte, faute de quoi on ne comprend absolument pas l'époque actuelle. On peut dire que d'une certaine manière notre cinquième époque postatlantéenne tend malgré tout à une socialisation, sous la forme que j'ai récemment exposée ici. Car les choses dont j'ai parlé se produiront : soit par la raison humaine, si les hommes s'y prêtent, soit, s'ils ne le font pas, par des cataclysmes et des révolutions. L'homme de la cinquième époque postatlantéenne aspire à l'articulation ternaire de la vie sociale, et celle-ci doit venir. Notre époque cherche donc à atteindre une certaine socialisation.
04023 - Mais cette socialisation n'est pas possible — vous le déduirez des différentes considérations auxquelles nous nous sommes déjà livrés ici — sans que quelque chose d'autre l'accompagne. La socialisation ne peut concerner que la structure extérieure de la société. Mais à notre cinquième époque postatlantéenne, elle ne peut que consister à dompter la conscience pensante, à maîtriser les pulsions humaines antisociales. La structure sociale doit donc, en quelque sorte, dompter les instincts antisociaux de représentation. Et là, un contre-poids est nécessaire, il faut que quelque chose rétablisse l'équilibre. Mais pour que cet équilibre soit rétabli, tout ce qui d'asservissement des pensées, de domination des pensées d'un individu par un autre, nous vient d'époques antérieures — où cela était justifié —, tout cela doit disparaître de l'univers avec la montée de la socialisation. C'est pour
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quoi, à l'avenir, la liberté dans la vie culturelle devra trouver sa place à côté de l'organisation des rapports économiques. Seule cette liberté dans la vie de l'esprit nous donne la possibilité, lors de toute relation humaine, de voir en l'autre l'individu qui se tient devant nous et non l'être humain en général. Un programme tel que celui de Woodrow Wilson parle de l'homme en général, mais celui-ci, cet homme abstrait, n'existe pas. Seul existe l'être humain particulier, l'individu. Par contre, nous ne pouvons nous intéresser véritablement à cet individu en particulier que si nous le faisons avec notre être tout entier, et non uniquement avec notre simple faculté pensante. Nous éteignons ce que nous sommes censés attiser d'homme à homme si nous «wilsonisons», si nous traçons de l'homme un portrait abstrait. L'essentiel est que, à l'avenir, l'absolue liberté de pensée s'ajoute à la socialisation, celle-ci étant impensable sans celle-là. Par conséquent, la socialisation devra être liée à l'élimination de tout asservissement de la pensée, que celui-ci soit entretenu par certaines sociétés anglophones que j'ai suffisamment caractérisées, ou par le catholicisme romain. Car ces deux mouvements se valent, et il est extrêmement important de comprendre leur intime parenté. Il est capital qu'aucune confusion ne règne aujourd'hui dans ce domaine. Vous pouvez raconter à un jésuite ce que je vous ai exposé sur la particularité de ces sociétés occultes de la population anglophone. Il sera ravi de recevoir confirmation de ce qu'il défend. Vous devez cependant bien comprendre, si vous voulez vous situer sur le terrain de la science spirituelle, que votre rejet de ces sociétés secrètes ne peut en aucun cas se confondre avec le rejet venant de la part des jésuites. Il est curieux que, de nos jours encore, on manifeste si peu de discernement à ce propos.
04024 - J'ai récemment fait remarquer, même au cours de conférences publiques, que ce qui importe aujourd'hui, ce n'est pas seulement ce qui est dit, mais qu'il faut prêter attention à l'esprit qui pénètre ce qui est dit. J'ai ainsi cité l'exemple de phrases identiques que l'on trouve chez Woodrow Wilson et chez Herman Grimm 0>. Je dis cela parce qu'il vous arrivera de plus en plus souvent de constater que, du côté jésuite par exemple, on prend en apparence, mais seulement en apparence justement, tout autant parti contre ces sociétés secrètes anglo-américaines que nous avons dû le faire ici. Rien que le fait par exemple de lire un article comme celui qui figure actuellement dans le numéro de décembre de la revue «Voix d'aujourd'hui» (4) fait un effet grotesque et grimaçant sur quiconque est attaché aux réalités concrètes. Car naturellement, ce qui doit être combattu chez ces sociétés secrètes anglo-américaines est exactement la même chose qui doit l'être dans le jésuitisme. Les deux mouvements
sont adversaires, se combattent, la puissance de l'un se dressant contre celle de l'autre; ils ne peuvent exister côte à côte. Chez l'un comme chez l'autre n'existe pas le moindre intérêt véritable, objectif, on n'y trouve qu'intérêt de parti ou celui de l'ordre en question. Il nous faut absolument perdre l'habitude de ne considérer que le contenu des choses et de ne pas voir à partir de quel point de vue une chose, quelle qu'elle soit, s'est répan­due dans le monde. Elle peut en effet s'avérer bienfaisante, voire salutaire, si elle voit le jour à partir d'un point de vue valable pour une période donnée, mais introduite par une impulsion différente, elle peut être ou extrêmement ridicule ou bien même dangereuse. C'est quelque chose dont il faut tout spécialement tenir compte de nos jours. Car il apparaîtra toujours plus clairement que, lorsque deux personnes disent la même chose, eh bien, il ne s'agit justement pas de la même chose selon ce qui se cache derrière cette affirmation. Après toutes les épreuves que la vie nous a imposées au cours des trois à quatre dernières années, il est absolument indispensable que nous nous décidions enfin à vraiment tenir compte de ces choses, à les pénétrer véritablement.
04025 - Or ce n'est guère le cas. Aujourd'hui encore on continue à demander : Comment organiser ceci ou cela, comment faire pour que ce soit juste ? Vous pouvez bien organiser ce que vous voulez ici ou là, si vous n'y mettez pas des hommes qui pensent dans le sens de notre époque, eh bien, que vous mettiez au point l'organisation la meilleure ou la pire, toutes deux tourneront ou au salut ou au malheur, selon les hommes que vous y aurez affectés. Il s'agit actuellement pour l'être humain de vraiment comprendre une chose : il lui faut devenir, il ne peut faire aucun cas de ce qu'il est déjà, il lui faut continuellement être en devenir. Il doit également consentir à vraiment regarder au coeur de la réalité. Mais, comme je l'ai déjà souligné à partir de différents points de vue, cette idée rencontre beaucoup d'hostilité. En toute chose, et surtout dans les circonstances actuelles, on est très enclin à ne surtout pas toucher du doigt la réalité, mais à prendre justement les choses comme il nous plaît de les prendre. Se faire une opinion conforme à la réalité n'est naturellement pas aussi facile que de porter un jugement dont la formulation est la plus immédiate possible. Les jugements conformes à la réalité ne se laissent pas formuler facilement, surtout pas lorsqu'ils touchent à la vie sociale, à la vie humaine ou politique, car dans ces domaines le contraire de ce que l'on pense est presque toujours tout aussi exact. Par contre, si l'on essaie de ne prononcer absolument aucun jugement, mais de se faire plutôt des images, c'est-à-dire si l'on commence à s'élever jusqu'à la vie imaginative, alors seulement on peut se
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rapprocher de la bonne voie. À notre époque, il est capital d'essayer de se faire des images, et non de porter des jugements qui à la vérité sont abstraits et définitifs. Ce sont aussi les images qui pousseront à la socialisation. Et puis, sachons encore qu'il n'y aura pas de socialisation tant que l'homme ne cultivera pas la science de l'esprit. Deux choses lui sont donc nécessaires : d'un côté la liberté de la pensée, et de l'autre la science de l'esprit.
04026 - J'ai, bien sûr, déjà indiqué quel était le fondement de tout cela, notamment au cours de conférences publiques à Bâle (5) et ailleurs. J'ai dit que certains penseurs matérialistes, voulant donc tout comprendre à partir de l'évolution, de la chaîne animale, affirment la chose suivante : Eh bien, oui, nous trouvons chez l'animal les prémices des instincts sociaux, lesquels, chez l'homme, deviennent moralité. Or, précisément, ce qui est instinct social chez l'animal devient antisocial, élevé au niveau humain. Mais oui, c'est justement ce qui est social chez les animaux qui est chez l'homme antisocial au plus haut point! Les hommes ne veulent absolument pas admettre les différentes lignes qui mènent à une image réelle des choses; ils préfèrent juger rapidement. Ce n'est pas en considérant exclusivement la nature animale de l'être humain, là ou il est justement antisocial au plus haut degré, qu'on peut réussir dans le domaine des échanges humains, mais en le regardant comme un être spirituel, en regardant chaque homme comme un être spirituel. Or cela n'est possible qu'à condition de concevoir le fondement spirituel de l'univers tout entier, en prenant pour référence son fondement spirituel. Ces trois choses, socialisme, liberté de pensée, science de l'esprit sont indissociables. Ils vont ensemble. L'évolution de l'un est impossible sans celle de l'autre au cours de cette cinquième époque postatlantéenne qui est la nôtre.