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Collection: 05 - LA VIE JURIDIQUE DEMOCRATIQUE



Sujet: La démocratie n'a d'abord valeur par la loi sociale fondamentale.

 

Les références Rudolf Steiner Oeuvres complètes 034 213-218 (1989) 00/00/1905





Traducteur: Geneviève Bideau Editeur: Triades

 

 035 -Eh bien, la loi sociale fondamentale qui est indiquée par l'occultisme est la suivante : « La santé d'une collectivité d'êtres humains travaillant ensemble est d'autant plus grande que l'individu revendique moins pour lui-même les produits de ses actes de travail, c'est-à-dire qu'il abandonne une plus grande part de ces produits à ceux qui travaillent avec lui et que ses besoins sont davantage satisfaits non pas par ses actes de travail, mais par les actes de travail des autres membres de la collectivité. » Toutes les institutions au sein d'une collectivité d'êtres humains qui contreviennent à cette loi doivent à la longue engendrer en un point quelconque la misère et la détresse. Cette loi sociale fondamentale est valable pour la vie sociale avec une exclusivité et une nécessité que l'on retrouve seulement pour quelque loi naturelle que ce soit en ce qui concerne quelque domaine précis que ce soit où s'exercent les effets de la nature. Mais on n'est pas autorisé à croire qu'il suffit de laisser agir cette loi comme une loi morale générale ou de vouloir la transformer en la disposition d'esprit portant chacun à travailler au service de ses contemporains. Non, dans la réalité, la loi ne vit comme elle est censée vivre que si une collectivité d'hommes réussit à créer des institutions telles que jamais personne ne puisse revendiquer pour lui-même les fruits de son propre travail et qu'au contraire ceux-ci profitent aussi intégralement que possible à la collectivité. Lui-même doit en retour être entretenu par le travail de ses semblables. Ce qui importe, c'est donc que travailler pour ses semblables et obtenir un certain revenu soient deux choses totalement séparées l'une de l'autre.
036 - Ceux qui s'imaginent être des « hommes de la pratique » ne feront que sourire de cet « idéalisme à vous faire dresser les cheveux sur la tête » — l'occultiste n'a pas d'illusions à ce sujet. Et pourtant, la loi ci-dessus est plus pratique que toute autre espèce de loi qui ait jamais été pensée ou réalisée par des « hommes de la pratique ». En effet, celui qui étudie réellement la vie peut trouver que toute communauté humaine qui existe quelque part ou qui a jamais existé a deux sortes d'institutions. L'une de ces sortes correspond à cette loi, l'autre y contredit. En effet, il doit en être ainsi, tout à fait indépendamment de ce que les hommes le veuillent ou non. En effet, toute collectivité se désagrégerait sur le champ si le travail des individus ne venait abonder l'ensemble. Mais l'égoïsme humain s'est aussi de tout temps mis en travers de cette loi. Il a cherché à tirer du travail le plus grand profit possible pour l'individu. Et seul ce qui procède ainsi de l'égoïsme a eu de tout temps pour conséquence la détresse, la pauvreté et la misère. Cela ne signifie donc rien d'autre sinon que doit toujours s'avérer non-pratique la partie des institutions humaines qui est mise sur pied par les « hommes de la pratique » sous la forme que l'on prend en compte son propre égoïsme ou celui d'autrui.
037 - Or il ne peut néanmoins pas seulement s'agir bien sûr que l'on voie le bien-fondé d'une loi telle que celle-ci, mais la véritable pratique commence avec cette question : comment peut-on la faire passer dans la réalité ? Il est clair que cette loi ne dit rien de moins que ceci : le bien de l'humanité est d'autant plus grand que l'égoïsme est plus petit. Pour la faire passer dans la réalité on est donc tributaire de ce que l'on ait affaire à des hommes qui parviennent à sortir de l'égoïsme. Mais c'est tout à fait impossible dans la pratique si la mesure de bien et de mal-être de l'individu est déterminée en fonction de son travail. Celui qui travaille pour lui-même doit peu à peu succomber à l'égoïsme. Seul celui qui travaille entièrement pour les autres peut devenir petit à petit un travailleur non égoïste.
038 - Une condition est nécessaire pour cela. Quand un homme travaille pour un autre il faut qu'il trouve en cet autre la raison d'être de son travail ; et si quelqu'un est censé travailler pour la collectivité, il faut qu'il éprouve et ressente la valeur, l'entité et la signification de cette collectivité. Il ne le peut que si la collectivité est encore tout autre chose qu'une somme plus ou moins vague d'individus. Elle doit être emplie d'un véritable esprit auquel chacun ait part. Elle doit être telle que chacun se dise : elle est juste, et je veux qu'elle soit ainsi. La collectivité doit avoir une mission spirituelle ; et chaque individu doit avoir la volonté de contribuer à ce que cette mission soit remplie. Aucune des idées abstraites et vagues de progrès dont on parle habituellement ne peut constituer une mission de ce genre. Quand elle est seule à régner, un individu travaillera ici, ou un groupe là, sans qu'ils aient la vue d'ensemble sur une utilité de leur travail autre que le fait qu'eux ou les leurs, ou encore peut-être les intérêts auxquels ils sont tout particulièrement attachés y trouvent leur compte. Cet esprit de la collectivité doit être vivant jusque dans le moindre de ses membres.
039 - De tout temps, ce qui était bon n'a prospéré que là où était d'une manière quelconque dans sa plénitude une vie de l'esprit de la collectivité comme celle que nous avons évoquée. Le citoyen d'une ville grecque de l'Antiquité, et même encore celui d'une ville libre du Moyen Âge avait à tout le moins quelque chose comme un sentiment obscur d'un esprit collectif de cette nature. Le fait que, par exemple, les institutions correspondantes n'étaient possibles dans la Grèce antique que parce qu'on avait une armée d'esclaves qui accomplissaient le travail pour les « citoyens libres » et qui y étaient portés non par l'esprit de la collectivité, mais par la contrainte de leurs maîtres ne constitue pas une objection à cette affirmation. Cet exemple peut seulement nous apprendre que la vie de l'homme est soumise à une évolution. Actuellement, l'humanité est précisément arrivée à une étape de celle-ci où une solution  de la question sociale comme celle qui prévalait dans la Grèce antique n'est plus possible. Même auprès des Grecs les plus nobles, l'esclavage ne passait pas pour une injustice, mais pour une nécessité de la vie. C'est pourquoi, par exemple, le grand Platon pouvait proposer un idéal de l'État où l'esprit de la collectivité arrive à sa pleine réalisation par le fait que la majorité que constituent les hommes qui travaillent est contrainte au travail par le petit nombre des hommes qui ont la vue d'ensemble. Mais la tâche du temps présent est de placer les hommes dans une situation où chacun accomplit du travail pour la collectivité à partir de sa propre impulsion intérieure.
040 - C'est pourquoi personne ne doit songer à chercher une solution de la question sociale valable pour tous les temps, mais seulement à la forme que doit prendre son penser et son agir sociaux eu égard aux besoins immédiats du présent dans lequel il vit. D'une façon générale, aucun individu ne peut aujourd'hui inventer ni faire passer dans la réalité quoi que ce soit de théorique qui pourrait en tant que tel résoudre la question sociale. Il lui faudrait pour ce faire avoir le pouvoir de contraindre un certain nombre d'hommes à se plier aux conditions créées par lui. Cela ne fait aucun doute : si Owen avait eu le pouvoir et la volonté de contraindre tous les hommes de sa colonie au travail qui leur incombait, la chose aurait pu marcher. Mais à notre époque il ne saurait précisément être question d'une contrainte de ce genre. Il faut que soit instaurée la possibilité que chacun fasse par son libre vouloir ce qu'il est appelé à faire en fonction de ses aptitudes et de ses forces. Mais c'est précisément la raison pour laquelle il ne peut absolument jamais s'agir de ce que l'on doive agir sur les hommes « de façon théorique » au sens de la conviction exprimée par Owen qui a été mentionnée plus haut, qu'on leur communique un simple point de vue sur la façon dont on peut organiser au mieux les conditions économiques. Une théorie économique toute sèche ne peut jamais être une impulsion de lutte contre les forces de l'égoïsme. Une théorie économique de ce genre peut un certain temps donner aux masses un certain élan qui, en apparence, ressemble à de l'idéalisme. Mais à la longue, ce genre de théories ne peut être utile à personne. Celui qui inocule ce genre de théories à une masse d'hommes sans lui donner autre chose qui soit vraiment spirituel, pèche contre le sens véritable de l'évolution humaine.
041 - La seule chose qui puisse être une aide, c'est une vision du monde spirituelle qui par elle-même, par ce qu'elle est en mesure de proposer, entre dans la vie des pensées, des sentiments, de la volonté, bref de toute l'âme de l'homme. La foi qu'a eue Owen en la bonté de la nature humaine n'est juste que pour une part, mais pour l'autre part c'est une des pires illusions. Elle est juste dans la mesure où sommeille en chaque homme un « soi supérieur » qui peut être éveillé. Mais il ne peut être délivré de son sommeil que par une conception du monde qui a les qualités mentionnées plus haut. Si l'on place des hommes dans des institutions telles qu'Owen les a inventées, la communauté s'épanouira sous les formes les plus belles. Mais si l'on réunit des hommes qui n'ont pas une conception du monde de cette nature, ce qu'il y a de bon dans les institutions ne pourra manquer de dégénérer à plus ou moins brève échéance dé façon absolument inévitable en quelque chose de mauvais. Chez des hommes qui n'ont pas de conception du monde orientée vers l'esprit, les institutions qui justement favorisent le bien-être matériel doivent en effet nécessairement produire aussi une intensification de l'égoïsme et de ce fait engendrer peu à peu détresse, misère et pauvreté. Cette parole est vraie dans sa signification la plus profonde : on ne peut venir en aide qu'à l'individu en lui procurant du pain ; on ne procure du pain à une collectivité qu'en l'aidant à accéder à une conception du monde. Car cela ne servirait non plus à rien de procurer du pain à chaque individu d'une collectivité. Au bout de quelque temps, la chose prendrait quand même nécessairement la forme que beaucoup de gens n'auraient de nouveau pas de pain.
042 - La connaissance de ces principes enlève il est vrai bien des illusions à certaines personnes qui aimeraient se poser en bienfaiteurs du peuple. Car elle fait du travail pour le bien de la société une affaire singulièrement difficile. Et de plus, une affaire où dans certains cas les succès ne se composent que de tout petits succès partiels mis bout à bout. La plus grande part de ce qu'aujourd'hui des partis entiers font passer pour des remèdes dans la vie sociale perd de sa valeur, s'avère n'être que duperie et discours, sans connaissance suffisante de la vie humaine. Aucun parlement, aucune démocratie, aucune agitation de masse, rien de tout cela ne peut avoir de signification, pour celui qui plonge son regard dans les profondeurs, si cela fait offense à la loi exprimée plus haut. Et toute chose de ce genre peut avoir une action favorable si cela se place dans le sens de cette loi. C'est une grave illusion que de croire que de quelconques députés d'un peuple dans un quelconque parlement peuvent contribuer à la santé de l'humanité si leur agir n'est pas disposé dans le sens de la loi sociale fondamentale.