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Collection: 04 - LA VIE ECONOMIQUE ASSOCIATIVE



Sujet: L'argent est encore une chose hermaphrodite entre marchandise et virement.

 

Les références Rudolf Steiner Oeuvres complètes GA190 024-030 (1971) 21/03/1919





Traducteur: FG Editeur: SITE

 

01020 - Réciproquement, nous organiserons la vie économique sur des bases qui lui soient propres. Ce n'est pas une phrase en l'air, vous allez en voir des applications con­crètes. Supposez un instant que vous venez de placer la vie économique sur ses propres bases, vous l'avez sou­straite à l'emprise de l'Etat, votre premier soin ayant été d'enlever à l'Etat une fonction des plus concrètes.Vous allez donc lui enlever la monnaie, la gestion de la monnaie. Vous devez restituer cette fonction à la vie économique. Sur les divers territoires où les hommes sont passés, par leur travail, de l'économie naturelle à l'économie basée sur l'argent, leur premier soin a été de choisir un signe monétaire qui puisse devenir un intermédiaire entre la marchandise et la valeur fiduciaire de cette marchandise. Les économistes ne cessent de dis­cuter pour savoir si l'argent a une simple valeur fiduciaire, si un billet de banque n'est qu'un chèque, ou si l'argent est une marchandise. Une telle discussion peut durer très longtemps car l'argent est à la fois l'un et l'autre. D'un côté, l'argent est une marchandise car il sert d'intermédiaire dans le processus économique. De l'autre, il est une valeur fiduciaire, puisque l'Etat fixe la valeur de sa monnaie par une loi. Mais qu'elle soit l'une ou l'autre, la monnaie doit être restituée entière­ment à la vie économique.

Il y aura une autre réforme à introduire, mais il faudra le faire très progressivement. Elle devra intervenir sur le plan international. Cela demandera beaucoup de temps car l'Angleterre, nation servant de pilote pour le com­merce mondial et à qui nous devons d'avoir une mon­naie basée sur l'or, n'abandonnera pas facilement l'éta­lon or. Cela demandera donc beaucoup de temps. A ce moment, l'organisation économique ayant été mise sur un pied d'indépendance vis-à-vis de l'Etat, une fois chargée de la gestion de la monnaie et de tout le système monétaire, cette organisation n'aura plus besoin d'avoir une marchandise «or» comme moyen d'échange inter­médiaire entre les autres marchandises. L'organisation économique n'aura pas besoin de cela. L'organisation économique se servira toujours de l'or, mais pour per­mettre les échanges internationaux. On s'apercevra à ce moment que la seule base permanente et solide, la véritable base de toute la vie économique, peut servir en même temps de base pour fixer la valeur de la mon­naie. L'or est devenu une monnaie uniquement pour avoir été considéré progressivement par les hommes comme une marchandise particulièrement recherchée, ils se sont donc mis d'accord pour apprécier la valeur de l'or, pour lui donner une valeur. Peut-être que cette affirmation vous paraîtra peu sérieuse; elle l'est en tout cas davantage que celles des économistes chevronnés. La valeur de l'or repose uniquement sur un accord tacite des hommes au sujet de cette valeur. On pourrait choisir d'autres matières et leur donner une valeur. Mais la centralisation des trois organisations sociales aura tou­jours pour effet de donner constamment une valeur fic­tive, dans la vie économique, à toute matière-étalon qui pourrait être choisie.

Donc l'or n'a, en réalité, qu'une valeur fictive. Vous ne pouvez pas vous nourrir avec de l'or. Si personne ne vous donne quelque chose en échange, vous ne pouvez évidemment pas vivre avec de l'or. Sa valeur résulte donc seulement d'une convention tacite. On n'en a pas besoin pour régler les transactions à l'intérieur d'un pays. Dans les échanges internationaux, son seul usage est de permettre certaines compensations, impossibles à assurer autrement, faute de pouvoir disposer de la con­fiance nécessaire. Mais la valeur fictive attribuée à un certain métal cessera d'exister dès que la circulation de l'argent sera retirée à l'Etat pour être confiée à l'or­ganisme économique. L'Etat ne reposera plus que sur le Droit pur, sur la base des relations qui peuvent s'éta­blir, d'homme à homme, dans un régime démocratique.

01021 - L'Etat possède un certain trésor, exprimé en valeur or, lorsque des signes monétaires ou de la monnaie fidu­ciaire sont en circulation. Que se passera-t-il, lorsque la triple organisation aura remplacé la valeur apparente de l'or par une autre valeur réelle? A ce moment, la cou­verture de la monnaie en circulation sera constituée par une valeur qui ne pourra pas appartenir à un seul indivi­du en particulier, cette valeur aura été constituée grâce au travail de chacun, elle aura de plus une même valeur pour tous les hommes vivant au sein du même organisme social: l'ensemble des moyens de production remplacera l'or, l'ensemble de tous les moyens, susceptibles de conférer à une chose le caractère de marchandise, rem­placera l'or. Ainsi les moyens de production entreront en circulation dans le courant économique tout comme la production spirituelle l'est déjà. Ils prendront ainsi peu à peu le caractère de couverture de la monnaie qui leur convient.

01022 - Ces raisonnements sont très compliqués si on veut les conduire scientifiquement. Il faudrait donner des explications en termes d'économie politique et, natu­rellement, je n'ai pas l'intention de le faire ici, bien qu'il soit tout à fait possible d'y arriver. Je préfère vous donner ici un exemple concret illustrant bien ma pensée. Le voici: il m'est arrivé personnellement de me trouver en présence d'une sorte de monnaie très curieuse et dont je crois vous avoir déjà parlé ici. Cette monnaie très spéciale consistait en lettres et en manuscrits de Goethe. J'ai connu une, et même plusieurs personnes, qui se comportèrent à cette occasion, en financiers très avisés. Elles se mirent, dans la période allant de 1850 à 1880, à acheter très bon marché des lettres et des manuscrits de Goethe. On les obtenait alors à bas prix. Elles avaient fini par en avoir une bonne quantité.

Puis vint un temps, il ne se trouvait plus alors aucun manuscrit à acheter, où, par suite de circonstances que je ne vous décrirai pas ici, les lettres et les manuscrits de Goethe acquirent une grande valeur. Les détenteurs de ces documents se mirent à les revendre. Ce fut comme si l'argent leur tombait du ciel. La valeur des lettres et manuscrits avait augmenté considérablement en vingt ou trente ans. Un des spéculateurs m'a affirmé qu'au­cune valeur boursière n'avait pris autant de valeur, dans le même laps de temps, que les papiers de Goethe. Elles étaient devenues les valeurs-papiers les plus intéres­santes et avaient pris le caractère d'une monnaie. On retirait de grosses sommes de leur vente.

Réfléchissez bien maintenant à la cause de ce phéno­mène. Il était dû à des circonstances complètement différentes de celles qui avaient marqué son origine. Vous serez bien d'accord, ces lettres avaient peut-être une grande valeur spirituelle pour leur destinataire, lors­que Goethe les a écrites. Pourtant, personne ne les a achetées à ce moment. Elles n'étaient pas encore des papiers-valeurs. On n'aurait pas pu s'en servir pour acheter du pain. Monsieur von Loeper qui acheta des lettres de Goethe vers 1850, aurait pu, par contre, ache­ter beaucoup de pain en 1895, lorsqu'il les revendit. Elles s'étaient changées en bel et bon argent. La manière dont la monnaie usuelle se comporte dans l'organisme économique n'est pas différente de celle des lettres de Goethe, une fois introduites dans cet organisme. La va­leur des papiers sur lesquels l'écriture de Goethe figurait dépendait d'un phénomène social, de l'ascension de la célébrité de Goethe entre les années 1850 et 1890. Il faut d'ailleurs bien connaître l'organisme social si l'on veut prévoir ces montées prodigieuses intéressant des objets semblant tout d'abord n'avoir aucune valeur dans le processus économique et qui se mettent à en avoir une.

01023 - La revendication habituelle des démocrates-sociaux (NDT Il s'agit de la dénomination d'un parti politique allemand à cette époque.) tendant à la mise en commun des moyens de production aurait pour conséquence naturelle une paralysie des capacités et des aptitudes spirituelles des hommes. Sa mise en application est donc impossible. Il vous suffira de considérer un cas à titre d'exemple, choisi parmi tous ceux que vous pourriez imaginer: un individu ayant des aptitudes intéressant un secteur quelconque de l'écono­mie devra pouvoir entrer librement en compétition dans la recherche des capitaux dont il pourra avoir besoin, en particulier des capitaux constitués par des économies amassées en vue d'un prêt. Je me bornerai au cas où aucun intermédiaire n'entre en ligne de compte, pour simplifier les choses. Notre homme devra pouvoir expri­mer certaines prétentions pour tenir compte des presta­tions spirituelles qu'il peut fournir, de ses aptitudes comme chef et comme dirigeant d'une entreprise. Un contrat véritable est alors établi entre le donneur de travail et le preneur de travail; je considère que les con­trats usuels aujourd'hui ne sont que des simulacres de contrats. A ce moment, le donneur de travail s'apercevra que ses intérêts sont le mieux défendus dans la mesure où l'entrepreneur assure, par ses qualités personnelles, une excellente gestion de l'entreprise, mais sans en avoir la propriété. Ce résultat sera obtenu lorsque l'entre­preneur, dès le départ, aura pu préciser librement ses conditions, en les adaptant à son aptitude spirituelle, et aura pu en discuter avec les ouvriers. Si ses préten­tions ne sont pas justifiées, l'entrepreneur devra les réduire. Mais, au départ, elles doivent pouvoir être formulées en toute liberté. Si l'entrepreneur ne trouve pas de clients, il devra, bien entendu, céder sur les conditions. Quelle conclusion allons-nous tirer de tout cela?

L'entrepreneur n'a d'autre profit que la part convenue à l'avance, cette part pouvant d'ailleurs, si le travail augmente, être majorée en conséquence. Mais elle con­serve le caractère d'un intérêt. A côté de cela il faut considérer la productivité du moyen de production, le profit, qui est une chose inhérente à l'entreprise. Ce sont deux choses très différentes, la production due à la valeur spirituelle de l'entrepreneur et celle provenant de la nature de l'entreprise. Il n'y a là rien de comparable entre le fait d'apporter son travail pour mettre en oeuvre un moyen de production existant et le fait d'investir des économies capitalisées pour développer la productivité du moyen de production.

01024 - Je place dans une fabrique un certain capital provenant de sommes économisées par moi-même. Cette action est tout différente de celle que j'aurais pu accomplir en achetant un ameublement pour ma chambre, par exemple. Si j'investis le capital dans une fabrique, après l'avoir économisé, j'ai travaillé pour l'organisme social. Si je m'achète un ameublement, je fais travailler l'organisme social pour moi. Dans un organisme social sain, dans un cas comme dans l'autre, ces deux choses, capital et ameuble­ment, travailleront à ma place. Mais il faut bien les dis­tinguer l'une de l'autre, dans un organisme social sain. Ce n'est pas le cas aujourd'hui dans notre organisme social malade. Ne me faites pas dire que personne ne doit s'acheter un ameublement. Je pense cependant qu'un tel achat signifie, dans un organisme social sain, tout autre chose que ce que nous nous imaginons actuelle­ment. Aujourd'hui, nous pouvons nous le représenter comme une exploitation abusive. Par la suite, nous en viendrons à le considérer en vue d'une utilisation per­sonnelle de l'ameublement, dans le but de nous en servir, non pas pour en profiter nous-mêmes, mais pour nous permettre, grâce à cet ameublement, de produire quelque chose, n'importe quoi, au profit de l'organisme social. Le concept du «moyen de production» ainsi élargi, sera placé sur une base saine dans un organisme social également sain.