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Collection: 02-L’organisme social
Sujet: École Waldorf pas une organisation, mais un organisme social
 
Les références Rudolf Steiner Oeuvres complètes 305 128-136 (1979) 23/08/1922
Traducteur: Editeur:

 

07001 - Lorsqu'on parle aujourd'hui d'organisation, on pense ordinairement à quelque chose qu'il faut organiser, instituer. Je voudrais aujourd'hui parler de l'organisation de l'École Waldorf, mais ce n'est pas, ce ne peut pas être dans ce sens-là, car en fait on ne peut organiser que ce qui, en un certain sens, fonctionne mécaniquement. On peut organiser une usine ou quelque autre institution dont les parties sont coordonnées en un tout par la pensée qui la marque. Mais songez seulement combien ce serait absurde d'organiser l'organisme humain. Il est organisé, il est là et il faut le prendre tel qu'il est : un organisme. Il faut l'étudier. Il faut connaître ses structures : celles d'un organisme, d'une organisation.
07002 - Dans ce sens, une école comme l'École Waldorf est d'emblée un organisme et pour cette raison ne peut pas être organisée — j'en ai déjà parlé — à l'aide d'un programme esquissant comment l'école doit être agencée : paragraphe 1, paragraphe 2, etc. Je l'ai déjà dit et j'en suis d'emblée convaincu, sans ironie : si aujourd'hui 5 ou 12 personnes se rassemblent — aujourd'hui tous les humains sont très intelligents, très avisés —, ils pourront élaborer un programme scolaire idéal dans lequel il n'y aura rien à améliorer : paragraphe 1, paragraphe 2, etc., paragraphe 12 et ainsi de suite, et une seule question se pose : Peut-on réaliser cela pratiquement ? Il apparaîtra alors bientôt qu'on peut faire de très beaux programmes, mais que,
dans la pratique, quand on institue une école, on a devant soi un organisme parfait.
07003 - Cette école se compose d'un corps d'enseignants qui n'ont pas été modelés dans de la cire. Le paragraphe 1 ou le paragraphe 5 dirait peut-être que le maître doit être ceci ou cela. Mais le collège n'est pas fait de gens modelés dans de la cire. Il faut chercher le maître individuel, le prendre avec ses capacités. Il faut avant tout comprendre ce que sont ses capacités, voir d'abord si c'est un bon maître pour les classes élémentaires ou pour les grandes classes. De même que, pour comprendre l'organisme humain, il faut comprendre le nez ou l'oreille, il faut comprendre aussi l'individualité du maître. Voilà de quoi il s'agit si l'on veut arriver à quelque chose. Ce ne sont pas les programmes à principes qui importent, mais les réalités qu'on a sous les yeux. Si l'on pouvait mouler les maîtres dans de la cire, on pourrait faire des programmes. Mais on ne peut pas. On a donc devant soi, tout d'abord, la réalité du collège des maîtres. C'est cela qu'il faut bien connaître. Ce fut avant toute chose le premier principe dans l'organisation de l'École Waldorf : que du collège des maîtres, puisque j'assure la direction spirituelle de l'École, je connaisse avec précision chacune des personnalités.
07004 - La deuxième chose, ce sont les enfants, et dans cette direction se présentaient quelques difficultés d'ordre pratique pour parvenir à faire de l'École Waldorf quelque chose de bien. Car cette École Waldorf, au milieu de tous les troubles des années 1918, 1919, après la fin de la guerre, avait été fondée à Stuttgart par Emil Molt. Par cette fondation, on croyait accomplir un acte social. On voyait que ,sous le rapport du social, on ne pouvait pas faire grand-chose avec les adultes ; ils commencèrent par s'entendre pendant quelques semaines en Europe du Centre après la fin de la guerre. Puis ils revinrent aux jugements qu'engendraient les différences des classes sociales. On en vint donc à l'idée qu'il fallait d'abord s'occuper de la jeune génération. Et comme précisément Emil Molt, un industriel de Stuttgart, fondait l'École, on n'eut pas besoin de faire du porte à porte pour trouver des enfants, on nous amena ceux du personnel de la fabrique. Nous en accueillîmes donc tout d'abord 150 environ, des enfants du prolétariat pour l'essentiel, auxquels se joignirent ensuite la plupart des enfants des membres de la Société
anthroposophique de Stuttgart et des environs, si bien qu'au début, nous avons travaillé avec environ 200 enfants.
07005 - Nous avons ainsi bénéficié d'un facteur qui faisait de l'établissement une école unitaire. Car notre groupe de base était constitué par des enfants d'ouvriers, mais ceux des anthroposophes n'en étaient pas, ils appartenaient à toutes les classes possibles de la société, des inférieures aux plus élevées. D'emblée se trouvaient ainsi éliminées toutes les discriminations liées au rang social, qui d'ailleurs l'étaient aussi grâce à la base sociale de l'École. Et ce que nous avons désiré, ce à quoi nous aspirons toujours, c'est qu'on ne prenne en considération que l'humain, ce qui est généralement humain. Seuls comptent pour l'École Waldorf les principes pédagogiques ; on ne s'arrête jamais à considérer si un enfant est un fils d'ouvrier, ou si c'est le fils de l'empereur lui-même qui, le cas échéant, aurait demandé à être accueilli à l'École. Seuls les principes pédagogiques et didactiques sont et seront valables. L'École Waldorf fut dès le début conçue comme une école unitaire.
07006 - A ceci se trouvaient naturellement liées des difficultés, car les enfants d'ouvriers entrent à l'École vers 6 à 7 ans avec d'autres habitudes de vie que ceux des autres classes sociales. Mais sous ce rapport, les contrastes apparurent comme extrêmement salutaires, bien que naturellement il faille aussi laisser de côté certains détails que l'on surmonte en se donnant un peu de mal. Vous pouvez facilement vous imaginer ces détails, qui concernent souvent les habitudes de vie extérieures ; et souvent il n'est pas facile de faire sortir tout ce que les enfants apportent à l'école. Cependant, on peut y parvenir avec un peu de bonne volonté ; toutefois, certains enfants appartenant à ce qu'on appelle les classes supérieures, n'étant pas habitués à voir ceci ou cela, rapportent à la maison ce qui leur a été désagréable ; et les parents font à ce propos des commentaires critiques.
07007 - Ainsi avions-nous d'autre part les enfants. C'étaient là ce que je voudrais appeler les difficultés minimes. Une autre, plus importante, se présenta du fait que pour l'École Waldorf, il existait un idéal : élever les enfants uniquement dans le sens de la connaissance de l'homme et proposer à chaque enfant chaque semaine ce que sa propre nature réclame.
07008 - L'École Waldorf fut d'emblée instituée comme une école élémentaire de 8 classes, et nous avions donc des enfants de 6 à 7 ans et jusqu'à 14, 15 ans. Tout d'abord, ils venaient d'écoles très différentes. Ils avaient passé par les préformations les plus différentes sans avoir toujours reçu celle qu'il nous fallait considérer comme convenant à des enfants de 8 ou 11 ans. Si bien que durant les premières années nous n'avons pas pu compter tout à fait sur ce que nous considérions comme l'éducation idéale. Car à nouveau, on ne pouvait pas se conformer aux paragraphes 1, 2, etc., il fallait procéder en tenant compte des individualités des enfants qui entraient dans chaque classe. Et cependant, ce n'eût été là que la difficulté la moins grave.
07009 - Une autre, plus importante, était liée au fait qu'aucune méthode, même idéale, n'est autorisée à écarter l'homme de la vie. L'être humain est en effet non pas quelque chose d'abstrait que l'on puisse préparer par l'éducation en le déclarant formé, il est l'enfant de parents déterminés. Il a grandi dans le cadre de l'ordre social et, après avoir été éduqué, il faut qu'il y reprenne sa place. Voyez-vous, si vous voulez élever un enfant en vous conformant absolument à l'idée, vous l'aurez à 14 ou 15 ans certes très proche d'un idéal, mais, n'étant pas bien adapté à la vie actuelle, il ne saura pas quoi faire. Si bien qu'il ne s'agissait pas seulement de réaliser un idéal et ce n'est toujours pas le cas maintenant à l'École Waldorf. Il s'agissait d'éle­ver l'enfant de façon à ce qu'il garde toujours le contact avec la vie d'aujourd'hui, avec l'ordre social d'aujourd'hui. Il est inutile de dire : Cet ordre social est mauvais. Qu'il soit bon ou mauvais, il nous faut bien vivre dans son cadre. Et puisque c'est de cela qu'il s'agit, il ne nous est pas permis d'en isoler les enfants. J'avais donc devant moi une tâche extrêmement lourde ; réaliser d'un côté une idée de l'éducation et d'autre part compter avec la vie de notre époque dans toute sa plénitude.
07010 - Bien entendu, les autorités scolaires ne pouvaient considérer que comme une sorte d'idéal ce que l'on fait dans les autres écoles. Elles disent toujours, il est vrai que l'idéal est inaccessible, qu'on ne peut faire que ce qui est possible, que la vie pratique exige ceci ou cela. Mais dans la pratique justement, lorsqu'on a affaire à elles, elles considèrent toujours ce qui a été institué par les autorités de l'État ou les administrations correspondantes comme quelque chose
d'excellent et que ce qui fonctionne comme l'École Waldorf, c'est une sorte de toquade, quelque chose que l'on fait quand on a la tête un peu dérangée.
07011 - N'est-ce pas, il arrive parfois qu'on tolère des lubies de ce genre parce qu'on se dit : Allons, on verra bien ce que cela vaut. Mais tout de même, il faut bien compter avec cela, et j'ai donc essayé de m'en tirer à l'aide d'un compromis. J'ai proposé dans un mémorandum qu'on me laisse, pour ce qui est de ma « toquade », un délai de trois ans durant lequel les enfants seraient amenés au point de se trouver au niveau des écoles ordinaires. J'ai donc préparé un mémorandum selon lequel, après avoir été accueillis, les enfants auraient, à la fin de la 3e classe élémentaire, donc à 9 ans, atteint le niveau leur permet­tant d'entrer dans la 4e classe d'une autre école. Mais durant ce délai, ai-je dit, je veux disposer de ma liberté entière et pouvoir don­ner aux enfants chaque semaine ce qui découle de la connaissance de l'homme. Et j'exigeai à nouveau d'être libre avec les enfants de 9 à 12 ans. A la fin de cette 12e année, les enfants devaient à nouveau avoir atteint le niveau leur permettant d'entrer à l'école publique officielle, et une fois encore, de même, après avoir quitté l'école. Il en sera de même quand les enfants, ou disons les jeunes messieurs et les jeunes dames, quitteront l'école pour entrer à l'Université ou dans une École supérieure. Pour les années allant de la puberté au début des études supérieures, une liberté totale doit régner ; ensuite, ils doivent être assez avancés pour entrer dans une École supérieure ou à l'Université, car bien entendu l'Université libre de Dornach18 ne sera pas avant longtemps une institution reconnue dans laquelle les gens puissent entrer quand ils veulent entrer en contact avec la vie.
07012 - C'est ainsi que, déjà par cette concordance établie avec les écoles ordinaires, nous avons tenté de mettre en accord, en harmonie, ce qu'il nous faut bien réaliser, avec ce qui existe déjà. Car à l'École Waldorf, on ne cherche en aucun point à atteindre ce qui n'est pas pratique, au contraire : cette «toquade» tente en tous points de réa­liser avec ce qui est réellement pratique dans la vie.
07013 - C'est pourquoi il ne peut pas s'agir de construire maintenant l'école conformément à quelque idée intelligente nous venant à l'es­prit — ce serait une construction et non une organisation —, il ne peut s'agir que d'étudier vraiment de semaine en semaine l'organisme
que nous avons déjà. C'est alors qu'apparaîtront effectivement de mois en mois, pour celui qui pratique l'observation des êtres humains, c'est-à-dire aussi l'observation des enfants, les règles d'éducation les plus concrètes. Le médecin qui se trouve devant un patient ne peut pas dire au premier examen ce qui doit être fait, il faut d'abord qu'il étudie l'homme parce que l'homme est un orga­nisme ; de même il s'agit d'étudier constamment et davantage un organisme comme celui de l'école. Car il peut par exemple arriver qu'en raison de la nature particulière du collège des maîtres et des élèves qu'on a, disons en 1920, il faut procéder tout autrement qu'avec les maîtres et élèves qu'on aura en 1924 ; car éventuellement l'équipe des maîtres sera différente, ayant augmenté en nombre, et les enfants seront à coup sûr très différents. En pareil cas, les paragraphes de 1 à 12 peuvent être aussi beaux que possible, ils ne valent cependant rien ; ce qui a de la valeur, c'est uniquement ce que l'on emporte grâce à l'observation, en sortant chaque jour de la classe.
07014 - Et c'est pourquoi le coeur de l'École Waldorf — je parle de son organisation —, ce sont les réunions des maîtres, qui ont toujours lieu par intervalles. Quand je me trouve moi-même à Stuttgart, elles se déroulent sous ma direction, sinon elles ont lieu à des intervalles relativement courts. Devant tous les professeurs assemblés, chacun des maîtres de l'école expose les expériences personnelles qu'il a faites dans sa classe, en donnant tous les détails. Si bien que continuellement ces réunions tendent à donner à l'École la forme d'un organisme global, semblable au corps. Certes, lors de ces réunions, il s'agit beaucoup moins de principes abstraits que, pour tous les maîtres, de la bonne volonté de collaborer et d'éviter tout esprit de rivalité. Et surtout il s'agit de ne présenter quelque chose d'utile à autrui que si l'on éprouve pour chaque enfant l'affection correspondante. Je ne pense pas ici à l'amour dont on parle souvent, mais à celui qu'éprouve justement le maître qui est un artiste.
07015 - Cet amour se colore d'une autre nuance que l'affection ordinaire. Celui qui peut avoir profondément pitié d'êtres malades a d'abord l'amour général. Mais pour soigner un malade, il faut aussi — je vous en prie, comprenez-moi bien, car il en est ainsi — aimer la maladie. Il faut aussi pouvoir parler d'une belle maladie, naturellement très pénible pour le patient, mais pour celui qui doit la traiter, une belle
maladie, éventuellement une maladie magnifique. Elle peut être pour le patient très pénible, mais pour celui qui doit s'y consacrer, qui doit pouvoir la traiter avec amour, c'est une maladie magnifique. Et ainsi, un garçon tout à fait bon à rien, un garnement comme on dit, se trouve être éventuellement, par la manière dont il manifeste sa nature de garnement, sa nature de bon à rien insupportable, extrêmement intéressant parfois, si bien qu'on peut avoir pour lui une grande affection. Nous avons par exemple à l'École Waldorf un cas très intéressant, un garçon très anormal. Il est là depuis le début, il est arrivé dans la première classe. Sa particularité, c'était, quand le maître se retournait, de courir sur lui et de le frapper. Le maître traitait ce bon à rien avec un amour extraordinaire, avec un intérêt exceptionnel. Il le caressait, le reconduisait à sa place et ne paraissait en rien avoir remarqué que le garçon l'avait frappé par derrière. Cet enfant ne peut être soigné que si l'on prend en considération toute son histoire. Il faut savoir de quel milieu familial il est issu et connaître sa pathologie. Ensuite, on progresse avec lui, bien qu'il ne soit qu'un bon à rien, dès lors qu'on peut justement aimer ce genre de bon à rien. Quelqu'un qui est tout spécialement un garnement a quelque chose de charmant.
07016 - Pour l'éducateur, les choses sont donc tout autres que pour celui qui les considère plutôt de l'extérieur. Et ainsi, il s'agit réellement de développer cet amour particulier dont je viens de parler. On sait alors dire ce qui convient à la réunion des maîtres. Car rien n'est plus utile, en vue des mesures à prendre pour les enfants en bonne santé, que ce que l'on peut observer chez les anormaux.
07017 - Voyez-vous, il est relativement difficile d'étudier l'enfant en bonne santé, parce que chez lui toutes les qualités particulières sont confondues. On ne discerne pas facilement la place qu'occupe en lui telle qualité, ni son lien avec les autres. Chez un enfant malade en qui on constate un complexe de particularités, on découvre bientôt comment traiter ce complexe, thérapeutiquement aussi. On peut ensuite appliquer cela aux enfants bien portants.
07018 - Par cette manière d'organiser les choses, nous avons au moins obtenu qu'en peu de temps, la nature particulière de l'École Waldorf ait été reconnue, du fait que rapidement le nombre des
enfants du début — environ 200 disais-je — augmenta, et nous en sommes maintenant à près de 700 se trouvant dans toutes les classes (jusqu'à la 12e), si bien que l'École Waldorf est maintenant réellement organisée comme une école unitaire au meilleur sens du terme. Il nous a fallu prévoir pour la plupart des classes, et notamment pour les premières, des classes parallèles ; nous avons donc une le classe A, une le classe B et ainsi de suite, parce que progressivement, il s'est présenté trop d'enfants pour une seule classe. Voilà ce qui, naturellement, signifie pour l'École Waldorf des tâches de plus en plus importantes. Car lorsqu'on essaie de concevoir toute l'organisation conformément à la vie, chaque enfant qui arrive signifie une nouvelle leçon à apprendre, une nouvelle manière de faire à laquelle il faut s'adapter pour que, grâce à l'étude correspondante, on accomplisse ce qui est à nouveau nécessaire pour l'organisme qui a reçu un nouvel élément.