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Institut pour une triarticulation sociale
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Collection: 01-Questions fondamentales
Sujet: La nécessité du trimembrement est cachée par le caractère étranger des membres
 
Les référencesRudolf Steiner Oeuvres complètes 190 179-190 (1971) 13/04/1919
Traducteur: Daniel Simonnot Editeur: EAR

 

 

11002 - Le but des explications données hier correspondait spécialement à mon intention de vous faire apercevoir les impulsions profondes apparaissant, à notre époque, dans la vie des peuples du monde civilisé, pour durer pendant la cinquième époque post-atlantéenne. J'ai essayé, auparavant, de vous montrer le départ de cette impulsion d'où devait naître et se développer ce qu'on peut appeler l'ordre social de la bourgeoisie d'Europe centrale. Ce point de départ se situait aux environs de l'année 1200. Mais cette vie sociale de la bourgeoisie d'Europe centrale n'était pas pure. Il s'y mêlait une vie de l'âme qui, aux siècles précédents, était celle des héros des Niebelungen. Cette âme, devenue décadente, poursuivait son évolution tant bien que mal. Elle animait, en particulier, les membres des classes supérieures régnant sur l'Europe centrale ou la dirigeant en fait.
11003 - J'ai insisté tout particulièrement sur le contraste frappant qui pouvait être constaté, en Europe centrale, à partir du 13e jusqu'au 20e siècle. Il est la cause du terrible bouleversement social qui s'est étendu à cette région. Pendant toute cette période ce contraste s'est maintenu entre la vie intérieure de l'âme de la grande majorité de la population bourgeoise et ces gens issus de la chevalerie
féodale, héritiers, par leur âme, des anciens Niebelungen. Ce sont eux qui ont dirigé la politique de l'Europe centrale. Pendant tout ce temps la masse de la bourgeoisie restait apolitique, anti-politique. Nous devons considérer toutes ces circonstances très attentivement si nous vou­lons porter la science spirituelle sur le terrain pratique. Nous devons sentir vivre la séparation qui divisait ces âmes. Elle se résumait dans le contraste entre cette bourgeoisie cultivée, comme on l'appelait, ou ceux qui se recommandaient d'elle et, d'autre part, tous ceux qui avaient occupé des postes de direction en Europe centrale. Voilà ce que j'ai voulu caractériser hier.
11004 - Tâchons de nous rapprocher encore un peu plus du sujet. Ce mouvement spirituel a périclité d'une manière lamentable, après avoir débuté avec les chants de Walther von der Vogelweide pour aller jusqu'à l'enseignement de Goethe. Pourquoi a-t-il subi un rapide déclin au lieu de dominer la vie sociale, de lui insuffler certaines idées maîtresses. Réfléchissez à un seul fait, Goethe lui-même, bien qu'ayant l'intelligence de mûrir des pensées de portée universelle, n'a fait que de rares allusions à des perspectives souhaitables en matière d'ordre social nouveau devant inspirer le monde civilisé. Nous irons même jusqu'à dire, c'est un peu audacieux, que ses idées sur la question n'étaient pas très claires en lui-même. Les hommes ressentaient pourtant, dans leur subconscient, depuis la fin du 18e siècle, un certain besoin, une certaine tendance vers la triple organisation dans tout organisme social en mal d'assainissement. Comment pouvez-vous ressentir cet appel vers la liberté, l'égalité et la fraternité sinon comme un désir de voir la tripartition régler l'activité sociale. Il prouve bien l'existence d'une aspiration inconsciente vers la triple organisation. Pourquoi n'est-elle pas devenue claire et lucide?
11005 - Cette question nous amène à considérer, dans son ensemble, toute la nature de la vie spirituelle en Europe centrale. Je vous ai parlé hier, à la fin de mon exposé, d'un trait particulier concernant Hermann Grimm. Je vous ai dit quelle admiration j'avais pour lui, pour ses idées pénétrantes. Il avait des lumières sur l'art, l'humanisme en général, sur l'antiquité. Pourtant, il tom­bait dans une erreur fondamentale en affichant de l'admiration pour un phraseur comme Wildenbruch. Au cours de ma vie, si vous permettez que je vous livre une impression personnelle, j'ai remarqué fréquemment une tendance des gens qui peut être très significative, pour une personne capable d'interpréter certains symptômes, bien qu'elle reste le plus souvent inaperçue de la plupart des interlocuteurs. Jé me souviens en particulier d'une conversation que j'ai eue avec Hermann Grimm, parmi toutes celles qui datent de l'époque où j'étais en relations personnelles avec lui. Je m'efforçais de lui communiquer mon point de vue sur la manière dont il fallait comprendre ce qu'il y avait de spirituel dans différents cas. Je ne puis me reporter à cette conversation sans revivre le geste de dénégation qui était le sien chaque fois qu'il s'agissait de l'esprit. Il semblait dire qu'il ne voulait pas s'engager sur ce terrain. Ce geste de sa part était aussi significatif que sincère. Pourquoi correspondait-il si exactement à la réalité? Parce qu'Hermann Grimm n'avait pas la moindre idée de ce que l'esprit doit représenter pour un homme vivant dans la 5e époque post-atlantéenne. Il ne le ressentait pas, dans toutes ses recherches concernant l'évolution spirituelle de l'humanité, ni dans l'art, ni dans l'humanisme en général, lorsqu'il s'efforçait de les traduire en pensées. Hermann Grimm ne savait donc rien de l'esprit au sens qu'aurait pu lui donner un homme de la cinquième époque.
11006 - Lorsque nous parlons d'un tel sujet, nous devons
prendre garde de ne pas exprimer trop strictement le point de vue que nous tenons pour véritable. Hermann Grimm était un homme sincère et il le montrait en s'arrêtant juste à la frontière de l'esprit. Ne sachant pas comment on doit conduire ses pensées lorsqu'on pénètre dans le monde spirituel, il exprimait son incapacité en faisant un geste d'impuissance. Il aurait très bien pu être un de ces phraseurs dans le genre de ceux qui circulent aujourd'hui en se donnant pour mission d'améliorer le genre humain.
11007 - Il eut, dans ce cas, participé aux discussions ayant l'esprit pour thème. Il aurait cru qu'il suffit de répéter: l'esprit ... l'esprit ... l'esprit ... pour avoir dit quelque chose de substantiel, correspondant au contenu que nous portons tous dans notre âme.
11008 - Parmi ceux qui ont parlé abondamment de l'esprit, ces derniers temps, sans avoir la moindre idée de sa véritable nature, nous placerons la plupart des théosophes. Parmi tous les bavardages, les plus dépourvus d'esprit, qui se sont déversés récemment, les plus fumeux étaient bien ceux tenus par les théosophes et, en partie, ceux dont les fruits ont été les plus pernicieux. Je dirai encore qu'après avoir parlé d'Hermann Grimm comme je viens de le faire, c'est-à-dire après l'avoir jugé, non dans sa personne, mais comme représentant d'un type moderne d'humanité, une question peut encore nous venir à l'esprit: nous pouvons nous demander comment il se fait qu'un homme comme lui, aussi représentatif de la vie culturelle en Europe, n'ait eu aucune idée de la manière dont il convenait de conduire ses pensées lorsqu'on abordait le domaine de l'esprit.
11009 - A cet égard, Hermann Grimm se borne à être le représentant de la vie dans la seule Europe centrale. En effet, si nous nous reportons à cette culture, celle que
j'ai caractérisée hier comme étant la culture de la bour­geoisie, disons depuis l'année 1200 environ, et s'étendant jusqu'à la période de Goethe, en quoi allons-nous placer son trait dominant? Eh bien, cette culture exceptionnellement brillante, ce n'est pas la déprécier que de reconnaître en elle le plus bel effet d'une impulsion donnée par l'âme, par ce qu'on appelle l'âme, mais on ne peut y voir une impulsion de ce qu'on nomme l'esprit. Oui, c'est un fait, c'est même un fait tragique dans ses conséquences, il lui a manqué d'être une culture de l'esprit. Entendons-nous, il s'agit bien de l'es­prit tel que nous le concevons dans l'enseignement de la science spirituelle orientée par l'anthroposophie.
11010 - Je ne peux me détacher de cette personnalité représentative, Hermann Grimm, car, en Europe centrale, des milliers et des milliers d'hommes cultivés ont pensé comme lui. Hermann Grimm a consacré à Goethe, un ouvrage excellent. Il y reproduit toutes les conférences qu'il a données, à l'Université de Berlin, dans les années 70 du 19' siècle. Tout ce qu'il y dit à propos de Goethe est juste ce qu'il y a de mieux que l'on puisse dire à ce sujet dans le cadre de ce domaine de la culture. Hermann Grimm a utilisé toutes les ressources de son âme pour définir d'une manière juste les dons et les talents des hommes dont il avait à s'occuper. Et il y est parvenu. A cet égard, il est on ne peut plus brillant, il sait trouver le mot juste. Mais je voudrais vous dire encore autre chose à ce sujet.
11011 - En plus de cela, Hermann Grimm faisait partie de ceux dont j'ai parlé hier comme tombant dans l'erreur la plus complète, dès qu'il s'agissait des hommes sauvages de la lignée des Niebelungen. Il était rempli d'admiration pour Frédéric le Grand et se faisait une image très précise de ce personnage en se le représentant, dans son âme, comme un pur héros germanique et allemand. Un
historien et littérateur anglais, Macaulay, avait dressé un portrait de Frédéric le Grand qui, bien entendu, correspondait au point de vue qu'un Anglais pouvait avoir. Or, il arriva qu'Hermann Grimm voulut faire ressortir, au cours d'un exposé sur Macaulay, que seul un Allemand perspicace pouvait comprendre un homme comme Frédéric le Grand et en faire le portrait. Il en profita pour critiquer la biographie écrite par Macaulay d'une manière très pertinente en disant: Macaulay fait de Frédéric le Grand un lord anglais, complexé, avec du tabac à priser sur le nez.
11012 - Il n'est pas donné à tout le monde de trouver des traits caractéristiques de ce genre. Un tel don témoigne de la possibilité de donner à ses idées une certaine rondeur, de les maintenir plastiques. Des exemples de ce genre montrent comment un esprit pénétrant, comme l'était Hermann Grimm, pouvait trouver le trait percutant. Il n'était pas le seul dans son cas, nous pourrions en relever bien d'autres, chez des personnalités de même culture, comme il en existe en grand nombre dans toute la période de cette civilisation d'Europe centrale dont je vous ai entretenus hier.
11013 - Mais si maintenant, partant de ce préjugé favorable, vous lisez la monographie de Goethe, rédigée par Hermann Grimm, de loin la meilleure de toutes celles qui aient jamais été écrites, quelle sera votre impression? Voici ce que nous éprouvons au cours de cette lecture: c'est très beau, c'est une étude remarquable, mais ce n'est pas Goethe. C'est tout juste une silhouette, une ombre de Goethe. Nous avons là une projection à deux dimensions, sur une surface plane, d'une statue qui, en réalité, en a trois. J'aurais envie de dire, nous voyons, dans cet ouvrage, un fantôme de Goethe se promener, de chapitre en chapitre, au long de la période allant de 1749 à 1832. Cette description fait naître un Goethe fantomatique, ce n'est pas l'homme qui a vécu réellement, qui a pensé, senti, voulu. C'est un spectre de Goethe que nous voyons aller et venir pendant quelques dizaines d'années.
11014 - Goethe lui-même n'a pas pris conscience de son esprit, il n'a pas vu avec les yeux de l'esprit tout ce qui vivait dans son âme. Il n'en a pas aperçu l'esprit. Aujourd'hui, à cause de cela, il y a un grave problème au sujet de Goethe. Il s'agit d'amener à la lumière de notre conscience, par les moyens que l'esprit met à notre disposition, ce qui vivait spirituellement dans Goethe. Cela, Goethe ne pouvait pas le faire de son temps. On ne pouvait avoir, alors, d'autre culture que celle inspirée par l'âme, mais pas par l'esprit. Vous vous expli­quez maintenant pourquoi Hermann Grimm, nourri de la tradition de Goethe, n'a pu évoquer qu'une ombre, un fantôme, un schéma. C'est pourquoi le meilleur ouvrage sur Goethe qu'ait pu inspirer la culture moderne n'est rien de plus qu'un fantôme de Goethe. Ce fait est caractéristique, cette constatation est significative. C'est à nous maintenant de répondre à cette question: d'où vient que le concept, le sentiment et l'expérience de l'esprit soient absents de cette brillante culture, tout au long de cette évolution? Des gens comme Troxler, comme Schelling parfois, ont bien tâtonné en direction de l'esprit. Nous devons cependant répondre, avec objectivité, réflexion faite: l'esprit manque dans toute cette culture. Du fait de cette absence de l'esprit, il était impossible de connaître les besoins de l'esprit non plus que les fondements de la vie spirituelle. Vous voyez maintenant quelle tragique révélation ressort de cette constatation. Ce courant de culture ne pouvait nous faire bénéficier ni de la connaissance des conditions nécessaires pour l'éclosion de la vie spirituelle, ni des conditions de vie sociale exigées pour l'épanouissement
de l'esprit. Nous ne pouvions ni les percevoir, ni les ressentir en nous.
11015 - Pour cette raison, le vie sociale en Europe centrale a donc pu se développer, pendant des siècles, sans avoir fait l'expérience vivante de l'esprit. Elle ne pouvait donc connaître les besoins de l'esprit ni, encore moins, les satisfaire. Elle ne savait pas que la vie spirituelle doit être émancipée, rendue autonome et séparée de la vie juridique de l'Etat. Faute de connaître l'esprit, on ne savait pas quelles étaient les conditions exigées par la vie de l'esprit, on ignorait la nécessité de le rendre indépendant. On l'a laissé se confondre avec l'appareil administratif de l'Etat au sein duquel il ne pouvait être que prisonnier. Notons bien que ces constatations ne valent que pour l'Europe centrale. S'il en allait de même dans les autres pays européens, les raisons en étaient différentes.
11016 - Je vous disais que l'année 1200 avait coïncidé avec l'activité de Walther von der Vogelweide. C'était une époque où la vie spirituelle de l'Europe centrale s'exprimait par le rythme et l'imagination à un très haut degré. Vous chercheriez pourtant en vain des références à cette vie spirituelle dans l'histoire conventionnelle. Celle-ci y fait à peine illusion. Puis cette vie spirituelle continue son chemin au cours des siècles suivants. Mais elle se charge, dès les 15e et 16C siècles, des germes de son déclin. Nous voyons apparaître en effet à ce moment les Universités de Prague, Ingolstadt, Fribourg, Heidelberg, Rostock, Würzburg et autres lieux. L'Europe centrale est parsemée d'universités dont la fondation embrasse à peine un siècle. La pensée et la vie rayonnant de ces universités apportent, avec elles, la tendance à l'abstrait, la ferveur à l'égard de la pensée naturaliste pure. Les raisonnements scientifiques en sont imprégnés jusqu'à la dévotion. Le culte qui leur est rendu
confine à la religion, si l'on peut risquer cette comparaison, mais leur résultat conduit à la ruine de la pensée vivante.
11017 - Cette façon de comprendre la vie est vraiment le facteur qui a coloré tout le monde de la bourgeoisie cultivée. De quelle nature était donc cette nuance de coloration? Ce n'était pas toujours des facteurs personnels qui agissaient, loin de là, comme s'ils surgissaient de l'individu, mais plutôt une influence générale que chacun recueillait à sa manière. Cette influence se manifestait par une réceptivité de plus en plus marquée à l'égard d'une activité de l'âme, semblant parvenir de l'extérieur. Cette activité était transmise par les chefs de file de la culture destinée à cette bourgeoisie. Elle devait finir par culminer avec Goethe, Herder et Schiller. Elle développait dans l'âme de chaque individu un apport qui lui était étranger, des impulsions qui s'ajoutaient à celle recueillie directement par l'âme elle-même.
11018 - Je fais allusion, en vous parlant ainsi, à un phénomène très caractéristique de cette époque. Les chefs de file de la culture bourgeoise dont il est question ne puisaient pas en eux-mêmes la nourriture qu'ils laissaient entrer dans leur âme, elle n'était pas une image de l'esprit créée par eux. Mais où recherchaient-ils donc cet esprit? Ils s'adressaient à la culture grecque. Ils apprenaient le grec dans leurs écoles secondaires. Le contenu spirituel qui remplissait leur âme était d'origine grecque. Lorsque vous parlez des manifestations de l'esprit en Europe cen­trale, au cours de la période allant du 13e au 20C siècle, vous devez toujours préciser votre pensée comme suit: il s'agit des conceptions de l'esprit que la culture grecque nous a inculquées. La vie qui nous a été ainsi communiquée comme étant celle de l'esprit ne correspondait pas à notre nature. L'esprit que nous a légué la culture grecque n'était pas celui qu'attendaient les hommes vivant dans
la période de l'évolution humaine dévolue au développement de l'âme de conscience. Cette période a débuté au milieu du 15e siècle. Cette bourgeoisie a donc été dotée d'une culture périmée, de la culture grecque. Elle ne pouvait en recevoir autre chose que ce que cette culture ressentait et percevait elle-même.