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1914-2014 : Où en sommes-nous aujourd’hui ?
Les perspectives de développement de la Dreigliederung (ed1)  sociale
et les catastrophes du 20ème siècle
Christoph Strawe

Sozialimpulse 3/2014. (Traduction Daniel Kmiecik)

Les crises du présent reflètent que de nombreux problèmes, qui avaient contribué à l’éclatement de la première Guerre mondiale, restent non résolues comme avant. La Dreigliederung social est plus actuelle que jamais.

Le texte qui se présente ici s’appuie sur une conférence que l’auteur à tenue, en ouverture à une rencontre sur le thème de la Dreigliederung à Munich, les 27 et 28 juin 2014. La tentative d’animer plus fortement le travail de la Dreigliederung dans la région, coïncidait avec le jour anniversaire de l’attentat de Sarajevo, le 28 juin 1914. Pendant la première Guerre, et dans un certain sens en réponse à cette guerre, R. Steiner entama son œuvre pour une Dreigliederung de l’organisme social. C’est  pourquoi ce jour est une date toute particulière lorsqu’on se pose la question : Où en sommes-nous aujourd’hui avec la Dreigliederung ?

La guerre mondiale et ses résultats catastrophiques
Ces jours-ci, l’éclatement de la première Guerre mondiale est présenté avec de nombreux détails dans les médias. Une présentation des événements, à l’aide de mots-clefs suffira ici : le 28 juin 1914, Gavrilo Princip( 1 ), l’auteur de l’attentat, tire sur l’héritier du trône de l’Autriche-Hongrie, le grand-duc Ferdinand et sur son épouse. C’est l’événement déclencheur de la « crise de juillet » comme on l’a appelée, qui devait conduire à l’éclatement d’une guerre, qui exigea la vie de 17 millions d’hommes, fit 8 millions d’invalides et changea le visage du monde — une «catastrophe archétype», à laquelle s’engrenèrent d’autres catastrophes.

Que les événements purent suivre un tel déroulement, cela a aussi à faire avec la conscience des acteurs qui était obscurcie, ce qu’en définitive l’historien Christoph Clark a élaboré à fond dans son ouvrage « Les somnambules — été 1914 : comment l’Europe a marché vers la guerre ».( 2 )

L’Europe trébuche dans la catastrophe. L’entrelacs existant des obligations au respect des alliances développe une dynamique propre qui, en conséquences du trouble de conscience des acteurs, se laisse de moins en moins réfréner. Dans quelle ampleur y ont contribué des interventions ou bien des omissions de cercles intéressés dans le déchaînement d’une crise, de sorte que cette dynamique ne put être brisée, on peut ne pas en décider ici pour le moment. Que dans tous les camps, il y eut de tels cercles, il est difficile de le contester cependant.

Des pas qui mènent à l’abîme : le chancelier d’empire Bethmann-Hollweg et l’empereur Guillaume II se tiennent inconditionnellement derrière l’Autriche (ce qu’on a appelé le « chèque en blanc », 5 juillet). Ultimatum de l’Autriche-Hongrie à la Serbie (23 juillet). Mobilisation de l’armée serbe. La Russie fait part de son soutien à l’armée serbe en cas de conflit. (25 juillet). L’alliance franco-russe est renforcée. L’Autriche-Hongrie déclare la guerre à la Serbie (28 juillet). Le 30 juillet : mobilisation générale russe, s’ensuit le lendemain, la mobilisation générale en Autriche-Hongrie [à ce propos l’ordre y fut rédigé en 13 langues ! ndt]. Déclaration allemande de Guerre à la Russie, le 1er août. Mobilisation générale en Allemagne et en France. Entrée des troupes allemandes au Luxembourg et ultimatum à la Belgique, accompagné d’une exigence de libre passage. Déclaration de guerre à la France, le 3 août. L’Angleterre mobilise. Le 4 août, la Grande-Bretagne, en tant que puissance garantissant la neutralité de la Belgique, est donc en état de guerre avec l’Allemagne. Les troupes allemandes entrent en Belgique le 6 août : déclaration de guerre de l’Autriche à la Russie et de la Serbie à l’Allemagne.

Le gros de malheur pour l’Allemagne c’est que s’installe pour le coup une guerre avec deux fronts [C’était là le calcul du gouvernement français et la raison profonde de l’alliance franco-russe, ndt] — par la participation de la France et de la Russie au conflit — seulement selon le plan militaire (le fameux « plan Schlieffen ») : on peut seulement résister à une guerre à deux fronts si la France est  rapidement vaincue par une violente attaque [6 armées allemandes seront engagées à cette fin, ndt], afin qu’ensuite toutes les forces militaires puissent être engagées à l’Est. Cette attaque ne pouvait réussir que si l’on contournait les dispositifs de défense français les plus forts en passant par le territoire de la Belgique [À signaler que le plan Schlieffen datait en fait de 1905 ; au départ, ce n’était même pas un plan de guerre mais une plan pour faire pression sur le gouvernement de l’empire allemand afin d’obtenir des crédits plus importants à consacrer au renforcement de l’armée allemande (Christopher Clark, p.222) ; c’est là aussi le malheur de notre région du Nord de la France qui en fut ravagée, ainsi que les villes belges de la frontière, ndt]

Dès le départ, la violation de la neutralité belge est planifiée [elle l’était depuis 1905 de fait ! ndt]. Il n’y pas de plan B, il ne reste aucun espace de jeu au politique. On croit certes, alors, au dicton du général prussien et théoricien militaire, Carl von Clausewitz, que la guerre n’est que la continuation de la politique avec d’autres moyens. Rudolf Steiner constate, à ce sujet, que cette déclaration est aussi sensée que de dire que le divorce représente la continuation du mariage. Pour les guerres et les révolutions, on n’a pas besoin d’idées, mais on en a bien besoin, par contre, pour arranger une paix.( 3 ) Ce qui est aussi funeste dans ces semaines, c’est que les partis socialistes en « union sacrée » s’unirent à leurs adversaires et prirent leur distance politique d’un combat général des peuples contre la guerre. Par exemple, le SPD approuva les crédits militaires le 4 août — et avec cela succomba à l’occasion au trouble de conscience, avec la « défense contre la Russie » en tant que  « rempart de réaction », en empruntant la voie du moindre mal. Cette « trahison » poussa une partie des opposants à la guerre dans les bras des Bolcheviques, qui avaient donné leur parole que la guerre impériale devait être changée en une guerre civile.

Les calculs des élites militaires et politiques s’avèrent illusoires. L’offensive allemande est stoppée sur la Marne. La guerre de position commence avec ses batailles de matériel. Après l’entrée en guerre des USA, personne raisonnant de sang froid ne conserve des espoirs de vaincre pour les puissances du centre.

On en arrive à ce à quoi on doit en arriver : à la fin se trouve l’effondrement militaire et la capitulation, la chute de l’empire allemand et de la monarchie k.u.k.  [kaiserlich und königlich imperial et royal, ndt]. Peu de temps après disparaît aussi l’empire Ottoman. En 1917, commence déjà la montée des USA et de la Russie au rang de superpuissances, telles qu’elles se feront face ensuite dans leur position mutuelle. Le traité de paix de Versailles avec ses charges accablantes pour les vaincus, contraints de souscrire à leur seule et unique culpabilité dans la guerre, renferme le germe de nouvelles catastrophes. Cela est ressenti par beaucoup comme un outrage. Les forces réactionnaires en Allemagne lancent le mensonge du « coup de poignard » qui, à la suite de la Révolution de novembre, a été donné « dans le dos » d’une armée soi-disant invaincue. C’est le terrain propice à la propagande et à la terreur des ennemis de la République de Weimar. Ainsi Hitler peut-il déployer sa démagogie, et les nazis peuvent prendre [légalement, ndt] le pouvoir( 4 ), déchaîner la seconde guerre mondiale et commettre un crime sans exemple contre l’humanité — jusqu’à la schoah.

Pour la première fois dans l’histoire, lors de la première Guerre mondiale, la mort des êtres humains est « industrialisée » ; blindés et avions font leur apparition, des armes d’extermination massive sont engagées. Près d’Ypres( 5 ), les Allemands utilisent pour la première fois les gaz de combat. Sans ces franchissements de limites, ne sont à comprendre par la suite, ni Auschwitz, ni l’évolution ultérieure des armes d’extermination massive jusqu’à la bombe atomique. Le terme de « catastrophe archétype » est pour cette raison bien conforme aux faits

Première guerre mondiale, triomphe des Bolcheviques, seconde Guerre mondiale et scission ultérieure de l’Europe et de l’équilibre de la terreur s’enchaînent ensemble.

Constellations, qui rendirent la guerre possible
Nous devons nous demander maintenant quels éléments se révèlent dans le complexe archétype des causes de la première Guerre mondiale, qui sont pareillement à rencontrer dans les autres crises et catastrophes jusqu’à aujourd’hui — peut-être même encore sous une forme métamorphosée — ou selon le cas, quels en sont les éléments qui peuvent passer pour surmontés.

Ce doit être pour moi l’occasion d’une première approche pour rendre visible les thèmes fondamentaux. Pour une analyse historique étendue de la guerre mondiale, il existe des personnes plus compétentes que moi, par exemple Markus Osterrieder, dont l’Opus Magnum « Un monde en révolution. Problème des nationalités, planifications d’ordre mondial et l’attitude de Rudolf Steiner dans la première Guerre mondiale » qui est présenté aux pages 8 et 9 de ce texte.( 6 ) On doit ce rappeler aussi, dans ce contexte, le travail pionnier de Christoph Lindenberg.( 7 )

Il est important pour comprendre, d’être au clair quant au contexte sociétal dans lequel s’accomplit cette obscurcissement de conscience déjà mentionné, déclencheur de la Guerre mondiale. Il put agir d’une manière aussi dévastatrice, parce que des développement sociaux erronés avaient mené à l’accumulation d’un potentiel de conflit hautement inflammable, à un amalgame funeste des intérêts de profit du capital, par exemple, dans l’industrie de l’armement, et les intérêts de pouvoir des États unitaires nationaux — lesquels à leur tour instrumentalisèrent les ambitions nationales-culturelles et religieuses, ou bien spirituelles, conduites d’une manière erronée. De tout ceci résulta une constellation extrêmement explosive.

Amalgames malsains de l’État, la culture et l’économie
L’œuvre de Rudolf Hilferding « Le capital financier »( 8 ), décrit la fusion du capital bancaire et d’industrie en capital financier, en tant que caractéristique de l’évolution la plus récente du capitalisme. Le capital financier prit de l’influence sur l’État, pour l’instrumentaliser au service d’objectifs économiques expansifs. Pour l’État, en retour, une forte économie devint la base de son déploiement des pouvoirs politique et militaire. Au projet de la ligne ferroviaire allant jusqu’à
Bagdad, on peut étudier l’entrelacs et les interférences mutuelles des points de vue et intérêts économiques et politiques.( 9 )

L’amalgame des intérêts du profit et de la puissance d’État forme le terrain d’aspirations impérialistes réciproques en concurrence. L’expansion européenne depuis le début des temps modernes avait conduit à un partage du monde entre de grandes nations étatiques organisées. Comme résultat de ce partage, au commencement de ce 20ème siècle, il y a des gagnants et des frustrés. Les deux groupes ont de possibles motivations de guerre : les uns la motivation de corriger le résultat du partage à leur profit, les autres d’assurer et de consolider leur empire, voire le cas échéant même, de l’agrandir.

En Allemagne, qui doit d’abord prétendument encore « trouver sa place au Soleil », les « tout-Allemands » propagent la main mise sur la suprématie mondiale » — tel le titre aussi d’un célèbre livre de Fritz Fischer( 10 ). Celui-ci met en évidence la participation allemande à la catastrophe, jusque-là sous-estimée unilatéralement de multiples manières, qui à son tour appela des corrections, comme celles apportées par l’ouvrage de Christopher Clark. En Angleterre, il y a, à l’époque, des cercles d’influence qui veulent consolider et étendre la suprématie mondiale anglo-saxonne. Parmi eux, se trouvent des acteurs qui considèrent même cette prétention comme étant une nécessité historique occultement fondée. En France, beaucoup rêvent de revanche sur 1871 et de déplacer la frontière Est sur le Rhin [comme elle l’était avant 1871, tout simplement ! ndt] et on poursuit aussi des objectifs coloniaux.

À côté de cet entrelacs d’économie et de politique, l’amalgame des intentions et institutions spirituelles-culturelles avec les structures politiques joue aussi un rôle fatal. Cela se révèle partout où du fanatisme religieux se rend maître de l’État ou bien l’utilise pour attiser des conflits entre les groupes humains — selon la devise « diviser pour régner ». Il existe aussi des exemples dans lesquels des groupes élitaires veulent influencer l’évolution de l’humanité et tentent pour cela d’instrumentaliser des structures de l’État en vue d’une « géopolitique occulte » — ce qui va encore bien au-delà de simples intérêts de profit et de pouvoir.( 11 )

Haine de peuples et enthousiasme guerrier
Toujours où s’immiscent la culture nationale et l’idée de pouvoir étatique, est programmée d’avance le renforcement du nationalisme en chauvinisme, — un chauvinisme qui est en même temps mis à profit pour amener les peuples à se sacrifier dans la guerre pour des intérêts particuliers, avancés  comme généraux. Au trouble de la conscience de chaque jour appartiennent aussi l’enivrement chauvin et la haine renforcée jusqu’à la volonté d’extermination de tous côtés. « Chaque coup de feu, un Russe [Jeder Schuß ein Russ], à chaque pas un Rosbif [Jeder Tritt ein Britt], à chaque coup un Français [Jeder Stoß, ein Franzos], de telles paroles, que nous lisons presque décontenancés — tombaient à l’époque en terrain fécond. Eu égard à la réalité de la guerre, l’enthousiasme guerrier est bientôt abandonné. Au début de la guerre déjà, celui-ci ne s’empare pas de  toutes les couches populaires. Sur les photos de ces jours-là, il est frappant de voir beaucoup de chapeaux jetés en l’air avec enthousiasme, mais à peine quelques casquettes (comme les ouvriers en portaient). Au sein du SPD l’accord donné aux crédits de la guerre, mentionnés plus haut est la cause originelle de la division ultérieure en sociaux-démocrates majoritaires, USPD et Spartakus/KPD.( 12 )

Initiatives de Dreigliederung de R. Steiner et leur signification actuelle
Les initiatives de Dreigliederung de Rudolf Steiner se concentrèrent sur les années de 1917 jusqu’à 1922, mais elles ont une histoire antérieure qui est importante pour leur compréhension. L’impulsion de la Dreigliederung est, dans cette mesure, une réponse à la guerre mondiale, au moment où celle-ci représente le résultat de structures sociales devenues  non conformes à l’époque, au sujet desquelles Steiner insiste sur le fait que c’est la tâche de l’époque de pénétrer les conditions sociales avec conscience, ce qui implique comme préalable de comprendre l’organisation vivante de l’organisme social.( 13 ) Cette impulsion de la Dreigliederung est donc à voir comme une impulsion globale de l’époque. En même temps, elle a une signification particulière pour l’Europe centrale, puisque dans celle-ci, des déficits en organisation sociale agissaient de manière catastrophique, d’un autre côté dans la vie de l’esprit de l’Europe du centre, des thèmes d’organisation avaient été développés qui furent supprimés et qu’il vaut à présent de ranimer. L’activité de Rudolf Steiner dans les années de la guerre mondiale et après, englobe tous ces aspects. Si ce n’est pas compris avec précision, cela doit mener fatalement aux malentendus.

Des germes de la Dreigliederung se trouvent dans les deux essais de Steiner « Liberté et Société » et « La question sociale » de 1898, ainsi que dans les essais « Science de l’esprit et question sociale » 1905/06.( 14 ) En 1898, Steiner constate qu’au commencement des états de civilisation, la communauté dominait et que dans son cours ultérieur, les individus se sont émancipés, de sorte que toute histoire renvoie à un processus d’individualisation. (« Loi sociale sociologique »).

Ceci rend nécessaire une nouvelle compréhension du rôle de l’État, qui est censée placer au centre de son activité la protection et l’encouragement de l’individu. Des structures étatiques de tutelle, peu importe de quels genres, ne seraient plus, selon Steiner, conformes à l’époque et représentent un obstacle pour l’évolution ultérieure de l’être humain. Tout être humain a besoin d’espace pour déployer sa créativité spirituelle individuelle — l’espace que plus tard, Rudolf Steiner désignera comme « une libre vie de l’esprit ». Parallèlement à l’individualisation, on en vient à une autre dynamique qui, en 1898, n’est pas encore en vue, mais qui, en 1905/06 pourtant, se voit placée au centre : la dynamique de globalisation, laquelle aujourd’hui surgit en partie sous des formes problématiques. Son caractère fondamental est pourtant de ne faire qu’un réseau de division-partage du travail et de coopération avec le monde. Ceci requiert, comme le reconnaît Steiner déjà en 1905/06, le surmontement d’un penser autarcique — et des institutions se fondant sur un tel penser aujourd’hui interfèrent sur « l’altruisme objectif » de la division du travail (R. Steiner). La santé d’un communauté d’êtres humains travaillant ensemble est d’autant plus grande, que peut d’autant moins s’y déployer l’égoïsme, que davantage on s’active l’un pour les autres, et qu’on en arrive davantage à découpler le travail du revenu.

La Dreigliederung sociale, ainsi considérée, est la conséquence sociétale découlant du fait concret de l’émancipation individuelle dans un monde qui, en même temps, réclame la co-responsablité de l’individu isolé pour la totalité globale. La dynamique de l’individualisation requiert la liberté, celle de la globalisation, la fraternité. Les deux dynamiques sapent la compréhension traditionnelle du rôle de l’État et exigent des structures juridiques reposant sur l’égalité au sens d’une même liberté de tout être humain, dont la protection et l’encouragement doivent être placés au centre de la vie de l’État. En même temps l’État moderne doit fournir à l’économie un cadre juridique, qui écarte de manière durable les entraves pour un déploiement de la coopération fraternelle. Le principe du pouvoir relève du strictement délimité — la configuration de soi, la responsabilité de soi et la gestion de soi, devraient entrer dans toujours plus de domaines de la vie sociale en lieu et place des réglementations surgissant d’en haut, ou selon le cas de l’extérieur. Dans l’État lui-même, c’est toujours plus la participation immédiate des citoyens qui est posée avant tout sous la forme de la démocratie directe. Les droits de l’être humain, ou selon le cas fondamentaux et la protection des minorités devraient limiter le principe de majorité.

L’État des temps modernes prend certes naissance en tant qu’État national, mais il commence à devenir obsolète en tant que tel, avec la dynamique décrite de l’individualisation et de la globalisation, dès le moment de sa naissance. La loi sociologique fondamentale mène à l’inversion du rapport des individus et de la communauté. Cela veut dire que l’individu est d’abord en premier lieu un être humain et en second lieu seulement, un ressortissant du groupe — Allemand, Suisse, Chinois, Russe, Congolais ou Japonais. Le national-culturel devient un simple arrière-plan, à partir duquel l’individu, avec ses capacités, contribue aux diverses richesses de l’humanité. D’un autre côté, l’économie sort de ces délimitations d’économie politique et veut finalement devenir une économie d’humanité solidaire.

La Dreigliederung sociale est, d’une part, une méthode d’investigation de dynamiques sociales aujourd’hui déjà réellement existantes. De l’autre, c’est une méthode pour dépister ce qui veut devenir, à savoir la direction dans laquelle cette dynamique pousse, ou selon le cas, les défis qui en résultent en considération de la création de structures sociales qui soient perméables à cela. À l’occasion, les objectifs de tels développements ne sont pas anticipés à la manière de représentations, mais au contraire, on s’informe d’abord des conditions institutionnelles rendant configurable un organisme social, dans lequel et au moyen de celles-ci, les êtres humains vivent et collaborent par le travail ensemble. Il s’agit de décrire sous quelles conditions sociétales des êtres humains, qui sont entrés dans l’époque de l’émancipation, peuvent prendre part largement à la configuration.

Perspectives européennes centrales
En quoi repose à présent l’importance particulière de la Dreigliedeung pour l’Europe du centre ?

Justement dans les années de la guerre, R. Steiner en revient sans cesse à parler du rôle de l’Europe centrale. La Dreigliederung, comme elle se révèle déjà dans ses premiers rudiments de 1898 et 1905/06, est un principe anti-pouvoir et dans un certains sens, une continuation et une intensification du principe de la séparation des pouvoirs de Montesquieu. Dans la vie spirituelle de l’Europe centrale, ce principe d’anti-pouvoir étatique avait été pré-imprégné, — il pointe, en particulier sous une forme philosophique, dans les « Lettres esthétiques » de Schiller, sous une forme poétique, dans le « conte » de Goethe et sous une forme politique chez Wilhelm von Hulmboldt, dans sa « Tentative pour déterminer des limites à l’exercice de l’État ». Pour Rudolf Steiner, la catastrophe de l’Europe centrale qui était en train de se faire distinguer, était en rapport le plus étroit avec le refoulement de cette impulsion de vie spirituelle de l’Europe centrale, qui s’était développée à partir de la confrontation avec la Révolution française, au profit de l’idée du pouvoir étatique de l’Empire allemand, sur la fondation duquel Nietzsche  avait dit qu’il était « l’extirpation de l’esprit allemand au profit de l’empire allemand ». La mission de l’Allemagne et de l’Europe centrale devait passer d’avance pour ratée, comme le disait Steiner à l’époque, si elle s’édifiait sur un pouvoir extérieur au lieu que sur le développement intérieur de la culture. Nonobstant le culte de l’État national prit la place de l’impulsion cosmopolite [weltbürgerliche Impulse] et de caractère humanitaire du classicisme de Weimar.( 15 )
La cohésion entre la Dreigliederung et le thème de l’Europe centrale n’est donc pas simplement donnée du fait que celle-ci est le lieu de la première tentative d’une transposition de l’impulsion de celle-là dans la réalité sociale, mais au contraire pareillement au moyen de la relation inhérente aux deux thèmes. La première disposition pour cela sont les mémorandums de 1917.( 16 ) Ils furent la tentative de donner l’occasion aux gouvernements de Vienne et de Berlin de rechercher la fin des hostilités au moyen d’un programme de paix émanant de l’Europe centrale, se rattachant aux bonnes traditions de celle-ci tout en les faisant évoluer. En lieu et place de l’État monolithique, dans sa configuration de pouvoir, était censée apparaître une triade, un Parlement pour la culture, un Parlement pour l’économie et un Parlement politique. Steiner opposait aux paroles de libération des peuples qu’il valait mieux d’abord libérer l’individu, afin de libérer ensuite aussi les peuples. La vie ensemble en paix, sur un même territoire, d’êtres humains issus d’ethnies différentes et d’appartenances religieuses diverses et autres, serait ensuite garantie au mieux là où une vaste autonomie culturelle protège la langue, la religion et la culture nationale de l’individu de toute oppression. Le primat de ce qu’on a appelé le droit d’autodétermination des nations — déclaré par la suite par le président US Wilson dans ses 14 points, en tant que fondement d’un ordre de paix — sur les droits de l’être humain, jette, par contre, les bases de nouveaux conflits et de guerres. « Seuls des êtres humains peuvent avoir des droits. Le droit d’autodétermination des nations est un instrument barbare », par ces paroles, Ralf Dahrendorf exprima la même idée en 1989.( 17 )

Steiner, et quelques-uns de ses élèves, firent comprendre de telles idées dans une série d’entretiens avec des politiciens dirigeants. Le résultat fut désillusionnant, la catastrophe militaire redoutée intervint. Après la Révolution de novembre, il semblait que le temps fût venu pour une mobilisation de masse en faveur l’impulsion de la Dreigliederung. R. Steiner rédigea un « Appel au peuple Allemand et au monde de la culture » et démarra une collecte de signatures. Il s’adressait tout spécialement aux Allemand dans ce document, attendu qu’y était exposée la nécessité générale d’une Dreigliederung sociale, dans notre époque et au même moment, comme la conséquence juste de l’échec de cette illusion d’un puissant État allemand. Le déroulement du mouvement a été décrit de multiples façons, y compris dans cette revue( 18 ), de sorte qu’une esquisse en mots-clefs peut suffire ici : fondation de l’alliance pour la Dreigliederung de l’organisme social ; collaboration dans les conseils d’entreprises qui se développaient alors, avec l’objectif de créer des réalités d’autogestion dans la vie économique ; efforts en vue de la création d’un Conseil culturel ; baisse d’intérêt du mouvement et concentration sur des « institutions modèles » (Écoles Waldorf, Kommender Tag AG) ; finalement — en face d’un référendum mis en place par l’alliance, pour décider de l’appartenance étatique de la Haute-Silésie à la Pologne ou à l’Allemagne — encore une fois une tentative en grand de briguer la Dreigliederung,en tant qu’ordonnancement de paix pour un territoire déterminé (Action Haute-Silésie). La campagne échoue, tout particulièrement aussi suite à la résistance des forces radicales de droite, qui reprochent à la Dreigliederung d’être une « trahison de la patrie ». Dans ce contexte, Adolf Hitler écrit que la Dreigliederung appartient aux « méthodes totalement juives pour la destruction de la disposition d’esprit normale des peuples »( 19 ).


( 1 ) Princip passait pour membre de l’organisation révolutionnaire souterraine Mlada Bosna « qui se trouvait en association, ou selon le cas, fut mise en association avec les services officiels serbes. La motivation principale était la libération de la Bosnie-Herzégovine de la souveraineté de l’empire austro-hongrois, avec comme objectif l’union des Slaves du Sud sous la direction de la Serbie, (http://de.wikipedia.org/wiki/Ester_Weltkrieg).

( 2 ) Christoph Clark : The Sleepwalkers, How Europe went to war in 1914 édité par Allen Lane en 2012 en Angleterre ; Les somnambules — été 1914 : comment l’Europe a marché vers la guerre, traduit de l’anglais par Marie-Anne de Béru, aux éditions Flammarion. [Cet ouvrage est un best seller dans sa traduction allemande par Norbert Juraschitz, aux éditions Deutsche-Verlags-Anstalt, puisqu’il en est à sa 10ème  édition !, essentiellement parce que c’est le premier ouvrage qui examine à fond les dépêches diplomatiques des divers gouvernements et qui met définitivement fin à la soi-disant seule culpabilité de l’Allemagne dans le déclenchement de cette guerre car si elle eut en fait, poings et mains liés par son chèque en blanc délivré à l’Autriche-Hongrie dans la crise, c’est l’état psychique d’inconscience générale des gouvernements européens et russe, comme l’avait déjà diagnostiqué Rudolf Steiner en son temps, qui mena à ce massacre général. ndt]

( 3 ) Conférence du 12 février 1919, GA 328, Dornach 1977, p98.

( 4 ) Après qu’en octobre 1922 déjà, Mussolini avait marché avec succès sur Rome.

( 5 ) À Ypres se réunirent, le 27 juin 2014 les chefs d’États et de gouvernements en commémoration de l’attentat de Sarajevo et de ses suites. [Hitler y fut aussi gravement blessé par les gaz et perdit connaissance durant quelques jours. Ndt]

( 6 ) Éditions Freies Geistesleben, 2014.

( 7 ) Voir les passages correspondants de la grande biographie de Rudolf Steiner de Lindenberg (Rudolf Steiner — Une biographie : 1861-1925, 2ème vol., Éditions Freies Geistesleben, Stuttgart 1997).

( 8 )Un étude sur le développement le plus récent du capitalisme. Vienne 1910. Lénine mit à profit par la suite lme sidées de Hilferding pour les objectifs de sa théorie de la révolution dans son écrit : L’impérialisme en tant que stade le plus élevé du capitalisme (1916).

( 9 ) Voir R. Steiner : Économie internationale et organisme social structurée selon la Dreigliederung dans Essais GA 24, Dornach 1982, p.222.

( 10 ) Fritz Fischer : Main mise sur la suprématie mondiale. La but de la politique de guerre de l’Allemagne impériale.1914/1918, Düsseldorf 1961.

( 11 ) Voir Marckus Osterrieder, à l’endroit cité précédemment : Dans le sous-sol occulte. Une abondance de preuves y sont étalées qui montrent que des représentations d’une géopolitique occulte, pour les agissements d’une série de participants déterminants à l’événement jouèrent effectivement un rôle considérable. La science spirituelle devra prendre connaissance de ceci. Car, toute abstraction faite de ce que l’historien individuel peut penser sur le contenu de réalité de ces concepts spirituels, ils ont déployé une activité historique réelle, en tant que ligne directrices d’action des participants.

( 12 ) Voir à la page précédente [USPD : Unabhängige SozialDemokratische Partei Deutschlands : Parti démocrate-socialiste indépendant d’Allemagne ; KPD/ : Kommunistische Partei Deutschlands : Parti communiste d’Allemagne, ndt]

( 13 ) « Appel au peuple allemand et au monde de la culture », publié dans : Les pointe essentiels de la question sociale…, GA 23, Dornach 1976, Appendice.

( 14 ) Dans Essais GA 31  et selon le cas, GA 34.

( 15 ) Comme dans ce dernier resplendissent, par exemple, les vers de Schiller dans son projet de poème : « Zur Feier der Jahrhundertwende (En célébration du Tournant du siècle] » : « Das ist nicht des Deutschen Größe [Ce n’est pas la grandeur de l’Allemand] / Obzusiegen mit dem Schwert [De triompher par l’épée] / In das Geistreich zu dringen. [ C’est de pénétrer dans le royaume de l’esprit.] / Männlich mit dem Wahn zu ringen [De lutter virilement contre l’illusion] / Das ist seines Eifers wert [Voilà qui est digne de sa passion]. (…) Freiheit der Vernunft erfechten [Remporter une liberté de raison] / Heißt für alle Völker rechten [Commande de plaider aux nations] (...) En compagnie de Goethe, il écrit dans les Xenien le célèbre distique : « Zur Nation euch zu bilden, ihr hoffet es, Deutsche vergebens [Vous espérez former une nation, vous autres Allemands, en vain] / Bildet, ihr könnt es, dafür freier zu Menschen euch aus [Perfectionnez-vous afin d’en sortir plus librement en êtres humains].

( 16 ) Publiés dans le GA 24.

( 17 ) « Die Zeit », 28.4.1989. « L’État national doit mourir », ainsi le disait dernièrement Georg Dietz dans un commentaire au Spiegel du 20.62014 eu égard à l’usage machiavélique que font de la politique les dirigeants occidentaux jusqu’à aujourd’hui, et que l’on interprète même comme si carrément elle était profitable.

( 18 ) C. Strawe : Le mouvement de la Dreigliederung de 1907-1922 et son importance actuelle, Sozialimpulse 3/1998, pp.311.

( 19 ) Cité selon Osterrieder, p.1536 : « Le 15 mars, Adolf Hitler polémiqua aussi dans un article au sujet de la question de Haute-Silésie contre « le gnostique et anthroposophe Rudolf Steiner », le « partisan de la Dreigliederung de l’organisme social » et comment ces méthodes totalement juives signifient la destruction de l’état d’esprit normal des peuples […] En relation directe à l’action Haute-Silésie, Hitler gasconne : « Quel est l’énergie agissante derrière toutes ces diableries ? Le Juif ! Ami du Doktor Steiner, l’ami de Simons, le « dépourvu d’esprit » [Walter Simons (1861-1937), l’assertion d’Hitler étant ici totalement fausse, Simons eut certes un entretien avec Steiner mais rien de plus, sans aucune conséquence politique, selon Osterrieder » ndt

( ed1 )Daniel Kmiecik fait partie des traducteur préférent ne pas utiliser le terme "triarticulation". Voir glosaire