triarticulation

Institut pour une triarticulation sociale
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traduction B. P.

Avant-propos


Les récits des témoins oculaires constituent le sel de l’histoire. L’expérience directe qui s’y exprime reflète le visage vivant d'une époque, même si la réalité historique est marquée par le sentiment et le ressenti, la volonté et les actes d'un individu. La fascination de tous les mémoires provient de la participation individuelle et incontestable au processus historique.

Avec ses souvenirs sur la période fondatrice de la tripartition sociale, Hans Kühn met en lumière une phase jusqu'alors peu connue de l'histoire du XXe siècle. L'histoire de ce siècle est comme aucune autre marquée par la lutte pour de nouvelles formes de société humaine. Mais cette lutte fut complexe. À côté du caractère tumultueux des grands bouleversements politiques qu’ont représenté les guerres et les révolutions, du contraste éclatant entre les principes sociaux de l'Est et de l'Ouest, du réveil du Tiers-Monde, des conflits plus discrets et plus silencieux ont eu lieu, dont la portée n'est nullement inférieure aux grands antagonismes mondiaux. Parmi ces théâtres cachés de l'évolution historique se trouve la lutte pour une triarticulation de l'organisme social. Ce qui élève cette triarticulation au rang de catégorie socio-historique, c'est la prise en compte totalement nouvelle de la responsabilité et de la codétermination individuelles, la constitution de la société à partir de l'essence même de l'individualité. Un tel principe dépasse toute utopie, tout programme politique et social. Il les remplace par la réalité vivante des êtres humains impliqués dans le processus social concret. Leurs intentions, leurs buts dans la vie et leurs inclinations à se comporter dans la culture, le droit ou l'économie donnent à la société une forme toujours nouvelle et aux nuances diverses. Une conception sociale ainsi fondée sur l'initiative individuelle d’hommes qui travaillent ensemble doit libérer du système unitaire de l'État une vie culturelle autonome d'une part et une économie auto-organisée d'autre part. Mais une telle approche contredisait les tendances de la conscience humaine qui dominaient depuis des siècles, car on voyait jusqu'alors dans l'entité unifiée de l'État la garantie d'une coexistence socialement saine de tous les hommes. La transformation de l'État en trois zones de liberté sociale auto-organisées se heurta donc, dans un premier temps, à une résistance non négligeable de la part des conceptions et des habitudes de vie. La première phase de la période de la triarticulation fut ainsi caractérisée par de nombreuses tentatives pour renouveler les idées de base sur la nature de l'organisme social et pour les tester dans des institutions modèles.

Hans Kühn fut directement impliqué dans ces luttes et tentatives de réalisation. Né à Schwäbisch-Gmünd le 27 mars 1889, fils d'un fabricant d'argenterie, il passa ses dernières années scolaires à Stuttgart, où il fit également un apprentissage commercial. Après une formation complémentaire, il travailla en Angleterre, en Hollande et à Hambourg. Pendant la guerre, il se rendit sur le front occidental en tant qu'officier d'artillerie jusqu'à ce qu'une maladie le ramène chez lui. Le premier chapitre commence par un récit de sa vie vers la fin de la guerre. Hans Kühn avait déjà rencontré Rudolf Steiner et l'anthroposophie en 1912. Dès ce moment, il s’intégra au cercle d'amis de Rudolf Steiner qui vécut la naissance du la triarticulation et reçut de lui la mission et la responsabilité de sa réalisation. Il mena cette mission à travers toutes les turbulences du siècle jusqu'à la fin de sa vie. Lorsque, vers la fin des années 60, un nouvel éveil de la volonté sociale traversa la jeunesse, notamment, sa haute silhouette agit sur de nombreux jeunes dans les réunions comme une exhortation venant d'une époque révolue. Il mourut à un âge avancé, le 28 mai 1977.

Une importante annexe a été ajoutée au livre, d'abord par l'auteur puis, après sa mort, par l'éditeur. Elle contient un certain nombre de documents relatifs à des activités jusqu'alors peu connues ou même inconnues à cette époque.

Dornach, Pâques 1978

Section des sciences sociales au Goetheanum

Manfred Schmidt-Brabant

Contexte historique


Le monde est en constante évolution. La culture passe par des sommets alternant avec des périodes de déclin. Mais celles-ci sont en même temps des signes d’évolution : l'ancien doit tomber pour faire place au nouveau. Ce fut le cas de la Révolution française, qui mit fin à la féodalité. La proclamation des Droits de l'Homme donna une impulsion à une vague de libre pensée qui se propagea dans toute l'Europe. Il est significatif que l'apogée de l'idéalisme allemand ait pu s'épanouir alors que les petits États d'Europe centrale étaient complètement en ruines pendant la période napoléonienne. Cette période fut progressivement remplacée par l'avènement de l'industrialisation, par les grandes inventions et les réalisations techniques qui furent la véritable signature du XIXe siècle et permirent l'essor matériel de l'Europe. Des systèmes idéalistes de réorganisation de la vie sociale se développèrent en parallèle, comme ceux des réformateurs sociaux que furent Fourier, Louis Blanc, Proudhon ou Owen et Lassalle.

Le plus influent fut Karl Marx, un élève de Hegel, qui, après les expériences faites en Angleterre (exploitation inhumaine des mineurs), écrivit son Manifeste communiste en 1848 et lança un appel aux masses ouvrières : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! ».

Marx ne considérait pas l'homme comme un être individuel, mais, contrairement à Hegel, comme le produit de son environnement, et la vie spirituelle des peuples et des individus comme une simple idéologie. Sa revendication pour la socialisation des moyens de production et le transfert de la soi-disant plus-value du propriétaire de l'usine aux travailleurs trouva un écho chez ces derniers et fit d’eux le prolétariat conscient de sa classe, dont la force juvénile ne fut cependant pas reconnue par la bourgeoisie.

A peu près à la même époque (1848), la vague démocratique, qui montait depuis longtemps en Europe, arriva à son point culminant. En France, la république vit le jour ; en Italie, Garibaldi réalisa l'union des différents États. Mais seule la Suisse établit une confédération démocratique durable. En Allemagne, par contre, le mouvement démocratique fut réprimé, l'idée de l'État-nation prévalut et, après les guerres contre le Danemark, l'Autriche et la France, conduisit à la fondation de l'Empire allemand en 1871. Personne ne réfléchit à la manière dont l'émergence d'un État-nation fort au cœur de l'Europe allait affecter les peuples environnants. L'Angleterre, en particulier, suivit avec suspicion le développement du nouvel empire, d'autant plus qu'elle était en train de construire une marine forte et d’acquérir des colonies.


Pendant ce temps, la situation sociale n’était absolument pas clarifiée. La bourgeoisie n'avait aucune idée du ferment qui se développait sous le seuil de la vie publique générale, et ne se rendait pas compte qu'elle serait condamnée à se venger si les ouvriers n'avaient pas leur part dans l'éducation générale.

Par ailleurs, un tournant se produisit dans l'histoire intellectuelle de l'Europe centrale. D'une part, la culture matérielle de la fin du XIXe siècle fut marquée par des naturalistes tels que Charles Darwin et Ernst Haeckel, dont les théories des origines éloignèrent de plus en plus les peuples cultivés de leur spiritualité et de leur religiosité ancestrales. L'idée de la « lutte pour l'existence » tirée des sciences naturelles devint la maxime de la vie pour l'homme moderne. D'autre part, Friedrich Nietzsche se battit seul contre l'esprit de l'époque jusqu'à se briser lui-même sous le poids de sa tâche. Un philosophe comme Carl Christian Planck comprit qu’un tournant approchait et, dans son Testament d'un Allemand, mit en garde contre les dangers imminents. À la même époque, le jeune Rudolf Steiner écrivit sa Philosophie de la liberté, qui devait ouvrir la voie de l'avenir.

La Première Guerre mondiale approchait. Elle fut déclenchée par l'assassinat, préparé de longue date, de l'héritier du trône d'Autriche, l'archiduc François-Ferdinand, et de son épouse à Sarajevo, le 28 juin 1912. Par l'appel à la défense de la patrie, cette guerre réunifia la population d’Europe centrale. Mais l'effondrement des puissances du centre et la soi-disant révolution allemande de 1918 sonnèrent le glas de l’ancien monde bourgeois.

Pour le mouvement marxiste, février 1917 devint le mois du destin, lorsque le commandant de l'armée allemande, le général Ludendorff, crut pouvoir vaincre la Russie plus rapidement en permettant à Lénine, révolutionnaire radical vivant à Zurich, de s’y rendre en traversant secrètement l'Allemagne dans un wagon blindé. La myopie du général eut des conséquences évidentes. Les peuples de l’Est non libres embrassèrent avidement le marxisme. Ils établirent les États dictatoriaux communistes qui menacent aujourd'hui le monde occidental. Une lutte gigantesque sera inévitable si la question sociale n'est pas résolue à temps.

Rudolf Steiner, le fondateur de la science spirituelle anthroposophique, avait prévu ce danger.

La même année, en 1917, il développa pour la première fois, du point de vue de l'Europe centrale, son idée d'un organisme social triarticulé, qui avait pour but la liberté de l'être humain individuel.

Ce fut la dernière occasion de proposer à l'humanité un ordre social vivant, capable de faire face aux graves crises à venir.

Sa première tentative pour faire appel à la conscience des cercles dirigeants échoua. C'est ainsi qu'apparut le mouvement populaire de 1919, qui est historiquement réexaminé dans ce livre. Son but était de faire comprendre que l'idée dominante de l'État devait être remplacée par un organisme social triarticulé. Dans les conditions ameublies de la révolution allemande, il tenta de s'adresser directement au peuple. Bien que des dizaines de milliers de personnes lui aient accordé leur pleine confiance, il ne put résister face à la doctrine du parti socialiste et aux forces retardataires de la bourgeoisie.

L'idée de la triarticulation devra être reprise à l'avenir. Si on l'avait comprise en 1919, le spectacle macabre du national-socialisme aurait pu être épargné au peuple allemand et au monde entier.

Puissent les explications de ce livre, basées sur l'expérience personnelle de l'auteur, tomber sur un terreau fertile et contribuer à une compréhension croissante des idées et des impulsions de Rudolf Steiner.

Saint-Michel 1976

Hans Kühn