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Collection: 09 - Nationalisme et âmes de peuple
Sujet : Panslavisme individualisme libre au lieu de contrainte impérialiste
 
Les références Rudolf Steiner Oeuvres complètes GA171 245-252 (1964) 14/10/1916
Traducteur: Editeur:

 

Dans les cultures dominées par les idées occidentales (voir schéma p. 281), l’organisation humaine, parce que celle-ci se développe toujours unilatéralement, est davantage encline à diriger son attention sur ce que l’être humain éprouve par son élément terrestre. Par contre, dans les cultures portées à réfléchir au mal, à la mort, à la rédemption, à l’entraide, la nature tend, par inclination naturelle, à diriger son attention sur ce qui est vécu grâce à l’éther de vie. Voilà les deux extrêmes : l’unilatéralité de l’Occident, qui est ressentie plutôt grâce à l’élément terrestre, solide de l’homme, l’unilatéralité de l’Orient, qui est ressentie plutôt grâce à l’éther de vie.

Ces considérations nous conduisent aux plus profonds secrets de l’évolution de notre époque. Il faut garder cela à l’esprit, car la manifestation unilatérale de ces deux impulsions opposées menace en quelque sorte l’humanité. Aujourd’hui, l’évolution de l’un ou l’autre de ces aspects n’est pas encore particulièrement avancée, mais elle est cependant clairement perceptible à celui qui ne veut pas pratiquer la politique de l’autruche face à la vie, s’insensibiliser à la vue de la réalité, pour autant qu’il dispose des concepts permettant de dominer ces choses. D’un côté se développe toujours davantage le besoin de n’accorder de
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valeur qu’à la réalité sensible et, de l’autre, la soif de ne donner d’importance qu’à ce qui vient du monde imaginatif, non pas seulement dans la connaissance – c’est peut- être là que cette impulsion est la moins marquée – mais dans tout ce qui pénètre et donne une structure à la vie, dans tout ce qu’on veut précisément imposer dans la vie sociale. C’est ainsi que tout cela évolue. Pour le premier groupe, celui de gauche (voir p. 281), on le voit déjà nettement : pour l’autre groupe, celui de droite, nous n’en sommes qu’au début de cette conception. La première impulsion tend à lutter contre la vie imaginative, du moins dans le domaine de la connaissance, et à ne laisser valoir que le seul phénomène. Vous voyez la pure expression de cette tendance dans ce que Darwin a écrit lui-même. Car les hypothèses, les théories ont été apportées au darwinisme uniquement par Haeckel. Chez Darwin nous avons toujours le désir de décrire les phénomènes.

Il ne tire que les grandes lignes des hypothèses auxquelles je vous ai rendus attentifs récemment, et il tire de grandes lignes vers ce à quoi la vie aspire au sein de cette communauté culturelle, c’est-à-dire, une fois encore, à n’accorder de valeur qu’au monde physique extérieur et à tourner toujours davantage le regard sur ce seul monde physique extérieur, à lutter contre le monde imaginatif, à l’extirper même de la vie sociale. De ce complexe de concepts, aimerais-je dire, naît un idéal humain bien précis qui s’immisce partout et veut tout imprégner : cet idéal veut faire de l’être humain, d’une certaine manière, un savant, un homme de connaissance qui domine du regard le monde physique extérieur, mais a une attitude de rejet face à tout ce qui conduit au monde spirituel. Il s’imagine parfois ne pas avoir un comportement de rejet, en employant toutes sortes de mots pour des concepts étranges, censés être spirituels, voire mystiques, mais qui en réalité ne débouchent sur rien d’autre que sur l’attitude que je viens de caractériser.
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C’est le cas de la philosophie de Bergson 120, par exemple. Beaucoup croient aujourd’hui que cette philosophie est une sorte de mystique et qu’elle figure comme telle dans la vie actuelle. Mais peu importe ce qu’on croit ; ce qui compte, c’est ce qui se manifeste en réalité. Cette soi-disant mystique n’amène précisément pas à réfuter, mais bien à soutenir une conception purement positiviste du monde.
Certes, on trouve dans cette impulsion de culture tous les éléments susceptibles de conduire au phénomène originel : mais il s’y prépare aussi la tendance à la partialité, en rapport avec le fait de considérer l’être humain comme un savant, un homme de connaissance, traiter tout élément imaginatif comme un objet fantaisiste, et l’expulser de l’élément soi-disant scientifique.

 

Mais même chez l’homme considéré comme un être d’action, comme un être social, se développe cette tendance à considérer que seul le principe de l’utilité de l’expérience et de l’action dans ce qui est extérieurement perceptible, de ce qui existe extérieurement, a de l’importance pour l’être humain entre la naissance et la mort. Tandis que, pour ainsi dire, tout le reste de ce qui existe dans le monde sensible n’est là que pour rechercher de façon juste un monde rendant heureux, ou un monde utile.

Lois, idéaux, sont créés pour jouir davantage du sensible réel. On peut nettement percevoir ce trait tant chez les utopistes que chez les socialistes d’Occident. Il perce partout, aimerais-je dire, de Thomas More à Auguste Comte 121, d’Adam Smith à Karl Marx. Partout il prend la forme d’une théorie mais il se rencontre aussi dans les habitudes de vie, il imprègne la sensibilité sociale, la pensée sociale, et même l’action. On peut dire que l’idéal de l’être humain qui s’est formé sous l’influence de ces impulsions, que je suis obligé d’esquisser ici par quelques abstractions, c’est le spectre du type bourgeois, qui
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apparaît partout comme une sorte d’idéal, là où cette impulsion unilatérale s’infiltre dans l’existence. Si le socialiste pense qu’il n’est plus dominé par l’idéal bourgeois, il s’illusionne simplement sur l’essentiel. Il aspire souvent même très précisément à l’idéal bourgeois, en cherchant lui-même à posséder, peu à peu, ce qui était le bien du bourgeois depuis l’époque où justement le bourgeois est apparu. Le bourgeois reconnaît le monde des sens et considère précisément ce qui pour lui-même est valable. Concepts et idées ne sont là que pour mettre le monde sensible entre parenthèses. Le bourgeois se reconnaît dans ce qui est essentiel entre la naissance et la mort et il ne s’intéresse à tout le reste, à toutes les institutions sociales, aux idéaux sociaux imaginables que dans la mesure où cela contribue à promouvoir ce qui est contenu entre la naissance et la mort.

De nombreuses personnes, aujourd’hui profondément plongées dans cet idéal bourgeois, s’en défendront farouchement dans leur conscience. À elles s’applique néanmoins, avec quelques variantes peut-être, ce que dit Méphisto : « Les pauvres gens ne soupçonnent jamais le diable, quand bien même il les saisirait au collet » 122. C’est ainsi que les hommes ne remarquent souvent pas ce qui a sur eux le plus d’influence.
Je vous ai dit la fois dernière que le spirituel lui aussi aurait dû être mis au service de l’idéal le plus bourgeois, si l’on avait obtenu ce que certains milieux avaient l’intention de faire avec Blavatsky, mais qui a été contrecarré : on aurait en effet installé des offices de renseignements utilisant des médiums pour apprendre de cette façon « par la force et la bouche de l’esprit » 123, des secrets boursiers et autres pour la vie pratique. Le fait que ce désir n’est pas sans écho dans les cœurs des hommes actuels, est attesté par de nombreuses preuves irréfutables : car il n’est pas rare que je reçoive des lettres de gens qui écri‑
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vent toujours à nouveau qu’ils ont perdu leur fortune et qu’ils aimeraient que je leur envoie tel ou tel numéro de loterie, et des choses du même genre, par informations tirées du monde spirituel. Vous riez, mais ce n’est pas si rare, et vous seriez bien étonnés si l’on vous disait le titre, le milieu social de la plupart des personnes qui écrivent ce genre de lettres.

Donc le spirituel, la force de pénétrer du regard le monde spirituel, cette impulsion unilatérale ne l’envisage pas en vue de parvenir au monde spirituel : au contraire, si ces forces existent vraiment, il s’agit de les utiliser dans le monde physique, afin de promouvoir le monde physique en rapport avec le principe d’utilité. Voilà l’une de ces deux tendances unilatérales. Je veux d’abord l’évoquer de façon abstraite aujourd’hui, et plus concrètement demain. L’autre extrême qui menace l’évolution de la cinquième époque post-atlantéenne est celle qui est unilatéralement influencée par des concepts et des idées qui ont plutôt tendance à rejeter les grands acquis du monde phénoménal, mais qui, en contrepartie, accordent toute leur attention à la culture des imaginations. Cet extrême en est encore bien plus à ses débuts que l’autre. Mais celui qui connaît l’évolution de la vie spirituelle russe connaît aussi les multiples visions partiales qui la caractérisent. Car dans bien des milieux de l’Est se développe de plus en plus la disposition qui permet d’avoir des imaginations significatives. En lisant la traduction du premier volume de l’ouvrage de Soloviev, que je vous recommande vivement, chacun peut connaître la forme que revêtent ces imaginations. Dans les Trois entretiens, à la fin du livre, vous verrez comment des imaginations vraiment significatives apparaissent chez ce philosophe russe des plus importants. Peu importe ici que cette pénétration dans le monde spirituel soit unilatérale, même erronée par bien des aspects : ce qui compte, c’est le fait que se développe une certaine dispo‑
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sition intérieure. Car c’est cela qui caractérise cette deuxième impulsion unilatérale de l’évolution en cette cinquième période post-atlantéenne. Là se forme plutôt une vie qui accorde peu de valeur aux phénomènes du monde, mais qui compte de plus en plus sur les imaginations, sur des imaginations qui peuvent souvent culminer en une expérience visionnaire. Il existe là une prédilection pour une vie organisée de façon visionnaire, avec toutes les conséquences que cela implique.
Par contre, ce qui se trouve sous l’influence de l’impulsion occidentale se désintéresse des rapports spirituels, s’oriente vers le physique-sensible. Dans tous les détails il faut appréhender les rapports spirituels dans les forces physiques, puisque ces rapports ne doivent aujourd’hui apparaître que physiquement. Il faut donc que le spirituel se coule autant que possible dans l’organisation du pouvoir au sein de la vie sociale. D’où l’aspiration unilatérale à de grands empires, à de grands organismes qui réduisent l’individualité à néant. Que de telles réalités en soient aujourd’hui à leurs débuts, et que par conséquent celui qui ne veut pas les voir ne les voie pas, ne change rien à la connaissance de la vérité. À l’Est, par contre, le spirituel est directement présent en chaque individu. Dans le monde physique en effet, l’être humain ne peut rendre réel le spirituel qu’au sein de sa propre individualité. Sous l’influence de cette impulsion, tout tend à la dissolution des organisations extérieures du pouvoir, à la dissolution de tout ce qui peut brider l’humanité par des traités, des lois, des organismes étatiques, etc. La tendance va plutôt au sectarisme, à l’isolement, à la négation de l’organisation extérieure du pouvoir. De telles choses sont souvent occultées. Mais aujourd’hui, lorsqu’à l’Est apparaissent de grandes puissances, de grands organismes du pouvoir, il ne s’agit que d’une réaction contre le véritable principe de l’Orient, celui de ne former que de petites
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communautés à caractère sectaire, non seulement dans le domaine de la vie religieuse, mais aussi dans celui de la vie sociale, des conceptions de la vie quotidienne la plus courante. Tout cela tend à la dissolution de l’élément impérialiste. L’idéal d’humanité qui se développe à l’Est est celui de l’être humain qui veut cheminer à travers la vie pour s’en libérer, afin de passer par l’expérience de la mort en étant le plus fort possible, afin d’être le plus fort possible pour vaincre les impulsions du mal, pour chercher à se libérer de ce qui n’a de valeur qu’entre la naissance et la mort. Voilà à quoi aspirent ces communautés de culture : cheminer à travers la vie de telle sorte que l’homme puisse s’en remettre entièrement au monde imaginatif qui se manifeste à l’intérieur de lui-même, qui forme une sorte de cosmos, un cosmos psychique, en son for intérieur, sans se soucier des conditions extérieures. Tandis que d’un côté les conditions extérieures gagneront sans cesse en importance, qu’on rêvera toujours davantage des conditions extérieures et qu’on cherchera de plus en plus le bonheur dans des conditions extérieures, nous verrons de l’autre côté toujours le désir d’expérimenter la vie humaine. Tandis qu’à l’Ouest l’idéal de l’humanité est le bourgeois, à l’Est – je ne puis pour le moment trouver un autre mot – cet idéal est le pèlerin, celui qui chemine à travers la vie, qui considère la vie comme un pèlerinage, et qui en somme chemine et chemine jusqu’à ce qu’il arrive à la porte de la mort qu’il franchira avec une âme forte pour trouver la véritable libération après être passé par toutes les expériences de l’existence. Si cette impulsion se développe de façon unilatérale, elle désavouera l’ancrage sécurisant de l’autre impulsion.
Ce sont là les deux extrêmes : d’un côté, vivre uniquement dans les phénomènes, dans les manifestations ; de l’autre, vivre uniquement dans les imaginations qui ne veulent pas se rattacher à la vie extérieure. Et ce qui me-
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nace, puisque dans le monde tout doit s’entrechoquer, c’est que ces deux impulsions unilatérales entrent en lutte l’une avec l’autre, se combattent de plus en plus. Cette lutte sera d’ailleurs l’un des traits marquants de la cinquième époque post-atlantéenne : d’un côté se fera toujours plus forte l’aspiration à créer des organisations contraignantes, de l’autre l’aspiration à dissoudre ces organisations contraignantes. Si cela n’apparaît pas encore tellement, c’est uniquement parce qu’on s’imagine que ce très grand empire qui se déploie à l’Est russe est une réalité. Face à de telles choses, l’on rencontre beaucoup plus des formules à la mode et des conceptions fausses au lieu de voir la réalité. Il n’existe réellement pas de plus grandes oppositions qu’entre ce qui se prépare au sein de l’impérialisme de l’Ouest européen et américain, et ce qui se prépare à l’Est, et même jusque dans l’Est de l’Asie. Ce sont là des extrêmes totalement opposés. Même ce qui à maints égards anime l’Ouest, ce qu’on y appelle le principe de la nationalité, on le considère aujourd’hui comme quelque chose d’identique ou de semblable à ce qu’on appelle à l’Est le panslavisme. Il n’existe pas de plus grand non- sens que celui-ci, car le panslavisme est tout sauf un courant nationaliste. C’est seulement à cause des slogans de l’Occident qu’il est étiqueté comme quelque chose de national, même par les panslavistes eux-mêmes. Ce n’est qu’une apparence ; en réalité il est précisément le courant qui dissoudra l’élément national. Aussi paradoxal que cela paraisse aujourd’hui, où l’on considère souvent comme semblables des choses totalement différentes l’une de l’autre, ce que j’ai à dire est profondément ancré dans les forces réellement actives.
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(Inscription au tableau :)
I II
Parenté Mal (souffrance, douleur)
Naissance Mort Rédemption
Bonheur(Utilité) (Destination)
Lutte pour l’existence Entraide
Bourgeois Pèlerin