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Collection: 04 - LA VIE ECONOMIQUE ASSOCIATIVE
Sujet: Mettre ensemble le point de vue du producteur , du commerçant, du consommateur.
 
Les références Rudolf Steiner Oeuvres complètes GA340 110-123 (1979) 31/07/1922
Traducteur: Jean-Lambert Des Arts et Jean-Marie Jenni Editeur: EAR

 

08002 - Comme nous l'aurons certainement déjà reconnu, en économie, la question des prix est des plus importantes. Il s'agit de voir dans les prix, au sens indiqué, un indicateur du bon ou du mauvais fonctionnement de la vie économique. Le prix peut être en hausse, en baisse ou stable. Il peut sembler trop haut ou trop bas selon certaines sensibilités quant à certains produits particuliers. Voilà ce qui doit échoir aux associations : déterminer, selon le baromètre des prix, ce qu'il convient de faire dans le reste de la vie économique.

08003 - Or vous savez que, dans de nombreux milieux, le point de vue dominant est, qu'en matière de prix, on ne peut rien faire d'autre que de laisser faire ce que l'on nomme la «loi de l'offre et de la demande». Ce point de vue a été ébranlé ces derniers temps, non pas du fait de contraintes économiques, mais par des aspirations sociales qui se font jour de plus en plus. Elles ébranlent le point de vue que Adam Smith partage avec bien
d'autres personnes : que les prix se règlent en fait d'eux-mêmes dans la vie économique par le jeu de l'offre et de la demande. On prétend simplement qu'une offre trop abondante provoque nécessairement qu'on la diminue, qu'elle ne peut pas rester au même niveau. Ainsi la régularisation des prix intervient d'elle-même. De la même façon une demande anormale, trop faible ou trop importante, a pour conséquence que les producteurs régularisent leur production. On pense ainsi que les prix se tiennent automatiquement autour d'un certain point de stabilité par le jeu de l'offre et de la demande du marché.

08004 - La question est de savoir si par cette façon de voir nous nous mouvons dans un ensemble de concepts théoriques ou si nous pouvons nous approcher de la réalité. Il est évident qu'elle ne le permet pas. Il vous suffira de mettre à l'épreuve la notion d'offre et de demande, pour voir aussitôt qu'il n'est même pas possible dans l'absolu de la formuler, dans le sens économique. Il est vrai que du point de vue de la pure contemplation on peut la défendre. Vous pouvez envoyer des gens sur le marché observer l'action de l'offre et de la demande ; mais la question se pose : pénètre-t-on suffisamment dans le processus économique au moyen de ce concept pour en tirer quoique ce soit de tangible ? En réalité vous n'aurez rien en main avec de tels concepts, car vous aurez laissé de côté tout ce qui est derrière les processus que vous vouliez saisir. Sur le marché vous observez le déroulement de ce que l'on nomme l'offre et la demande ; mais cela ne contient pas ce qui se trouve derrière l'offre, ni ce qui se trouve devant la demande. Voilà en fait où se trouvent les
vrais processus économiques qui, sur le marché, ne font que bouillonner, dirai-je. Cela vous pouvez le déduire le plus aisément en considérant l'extrême fragilité de ces concepts.

08005 - Si nous voulons former des concepts corrects, il faut que ces concepts soient aussi mobiles que la vie et ils peuvent l'être. Nous devons disposer d'un concept qui se laisse en quelque sorte transposer et adapter d'une situation réelle à une autre. Mais le concept ne doit pas s'annihiler lui-même. Or, les concepts d'offre et de demande s'annihilent d'eux-mêmes. Admettons que l'offre consiste à présenter une marchandise sur le marché, à la mettre en vente pour un certain prix. C'est une offre. Chacun peut le prétendre. Mais je prétends que non, c'est une demande. Si quelqu'un apporte une marchandise sur le marché et veut la vendre, il fait acte de demandeur, il demande de l'argent. Il n'y a en effet aucune différence à faire, si l'on ne se préoccupe pas des relations régissant l'économie, entre une offre de marchandise, une demande d'argent ou une demande au sens usuel. À une demande de marchandise doit correspondre une offre d'argent.

08006 - Ainsi une offre de marchandise est une demande d'argent et vice versa. Ce sont des réalités économiques. Dans la mesure où celles-ci consistent en échange ou en transaction, elles ne peuvent se dérouler sans qu'il y ait, aussi bien de la part de l'acheteur que du vendeur, une offre et une demande. Car ce que l'acheteur a derrière lui, ou plutôt ce qui se trouve der­rière le dos de la demande, a dû être développé au préalable lors du processus économique, de même l'argent a dû être développé avant que l'offre ne se présente.

 

08007 - Ainsi nous n'avons aucun concept réel devant nous si nous croyons que le prix se développe à partir des relations entre ce que nous appelons ordinairement l'offre et la demande :
p=f(o,dy6

08008 - Le prix ne se forme pas du tout selon cette formule ; il résulte tout autant du fait que le demandeur peut faire l'offre de son argent ou, au contraire, ne peut pas le faire en raison du moment ou du produit. Il ne suffit pas, dans le processus économique, qu'un certain nombre d'articles soient offerts, mais il faut aussi qu'un certain nombre de personnes aient amassé l'argent destiné précisément à ces articles. Voilà qui montre immédiatement qu'il ne peut être question d'une action réciproque de l'offre et de la demande.


08009 - Et pourtant, en faisant abstraction des concepts, qui peuvent sans autre être erronés, et en portant notre attention sur les faits réels du marché, ou même des échanges hors marché de marchandise ou d'argent, il est hors de doute que le prix se forme entre l'offre et la demande, mais autant du côté du vendeur que de l'acheteur. Il en est ainsi ; c'est un pur fait de la réalité.


08010 - Toutefois, l'offre, la demande et le prix sont tous les trois des facteurs primaires Nous ne pouvons pas écrire : prix = fonction de l'offre et de la demande, ce qui, en langage mathématique, signifierait que o et d sont des grandeurs variables et que p, le prix, en résulte. Nous devons, au contraire, accorder le même caractère de variables indépendantes à l'offre, à la demande et au prix, aucun n'est fonction de l'autre. Nous allons devoir
introduire une nouvelle valeur (x), et vous voyez que nous nous approchons d'une nouvelle formule. Nous abandonnons la formule donnant le prix en fonction de l'offre et de la demande et nous lions ces trois valeurs pour faire dépendre d'elles une valeur nouvelle. Le prix se trouve entre celui de l'offre et de la demande ; mais il s'y trouve d'une façon toute particulière.
x = f (o, d, p)

08011 - Il nous faut reconsidérer les choses sous un angle tout à fait différent. Si, observant un marché, vous voyez que l'offre et la demande sont dans un rapport voisin de ce que constatait Adam Smith, cette observation convient, quoique pas complètement, à la circulation des marchandises du point de vue du marchand. Mais elle ne convient absolument pas du point de vue du consommateur, et pas davantage du point de vue du producteur. Du point de vue du consommateur il s'agit de tout autre chose. Ce qui compte pour lui, c'est ce qu'il a en poche. Entre ce qu'il a et ce qu'il donne s'établit un rapport analogue à celui que le négociant établit entre l'offre et la demande. Le consommateur influence autant le prix que son besoin, il demande moins si le prix est trop élevé par rapport à sa bourse et davantage si le prix lui est suffisamment bas. En tant que consommateur il ne considère que le prix et la demande.

08012 - Résumons-nous. Chez le consommateur nous devons considérer surtout la relation entre le prix et la demande. Chez le marchand nous considérons surtout ce qui se joue entre l'offre et la demande. Chez le producteur nous aurons à considérer avant tout ce qui se joue entre l'offre et le prix. Pour déterminer l'offre, le producteur se base avant toute chose sur les prix que l'ensemble du processus économique rend possibles. Ainsi nous aurons la première équation, que nous appellerons l'équation des marchands.
p-f(o,d)

Adam Smith voulait étendre sa validité à l'ensemble de l'économie. Or, pour l'ensemble de l'économie elle est fausse. Nous pouvons aussi former la fonction dans laquelle l'offre dépend du prix et de la demande ; et la demande est dépendante de l'offre et du prix. Nous aurons donc l'équation du producteur :
d-f(o,p)

La troisième équation, où l'offre est fonction du prix et de la demande est appelée l'équation des consommateurs :
o-f(d,p)

Nous persistons à différencier ces équations pour les consommateurs où o est une offre d'argent, pour les producteurs où o est une offre de marchandise et pour les marchands où o est quelque chose d'intermédiaire entre la marchandise et l'argent17.

08013 - Mais dans tous les cas vous constatez combien le processus économique est plus compliqué qu'on ne le considère ordinairement. En raison du fait que l'on
veut, dirais-je, formuler des concepts hâtifs, on manque aujourd'hui d'une véritable science économique.


(...)

08024 - Il n'est absolument pas facile, de penser le processus économique dans ses relations réciproques, parce qu'un processus économique n'est pas un système scientifique. Un système scientifique peut être envisagé dans sa totalité par un seul individu — peut-être seulement en esquisse — alors que le processus économique ne pourra jamais se refléter dans sa totalité en un seul individu, mais il ne peut se refléter que là où se conjuguent les jugements d'hommes aux activités les plus diverses.
08025 - Pour ce que je viens de vous expliquer, il n'existe pas d'autre possibilité de parvenir à un jugement réel — non pas à un jugement théorique — que la forme associative. En d'autres termes si vous avez les trois équations que j'ai posées précédemment, celui qui n'aura en tête que les usages du négociant ne verra toujours que la première équation, il agira constamment sous son influence, sachant ce qu'elle représente. De la même façon le consommateur, qui achète intelligemment, comprendra l'impact de la deuxième formule. De même le producteur connaîtra tout ce qui relève de la troisième équation. Mais vous m'objecterez que les hommes ne sont pas assez bornés pour ne pas penser plus loin que leur bout du nez. Un individu, qui serait seulement consommateur ou seulement négociant, peut se représenter ce qui se passe au-delà de son horizon — de même que nous ne pratiquons pas une politique de clocher. C'est même une nécessité pour toute conception du monde. Mais il n'y a aucune autre manière de savoir quelque chose de valable à propos du commerce, que d'être dans les affaires et de commercer. Il n'y a aucune autre voie et aucune théorie à ce sujet. Les théories peuvent présenter de l'intérêt, mais il ne s'agit pas de savoir comment on fait du commerce en général, mais comment les marchandises sont échangées très concrètement à un certain endroit : sur la place de Bâle et ses environs, par exemple. Et même si vous savez cela, vous ne savez pas encore pour autant comment les affaires se traitent à Lugano. En résumé, il ne s'agit pas de connaître des généralités sur quelque
chose, mais de savoir comment cela se passe dans un domaine déterminé. De même vous continuerez d'ignorer à quels prix on fabrique des boulons tout en ayant une opinion fondée sur les prix à la production des faux ou autres outils agricoles.
08026 - Le jugement dont on a besoin dans la vie économique doit être élaboré au plus près du concret. La seule manière qui permette cela est de constituer des associations sur des territoires déterminés dont l'étendue, comme nous l'avons vu, est définie par le processus économique lui-même, et dans lesquelles siègent les représentants des trois branches d'activité : la production, la consommation et la distribution, à l'image de la vie économique elle-même.