Atelier francophone pour une tri-articulation sociale



L'anthroposophie ( et la triarticulation )
après Steiner   I

par François Germani, 10 août 2025, revue 14/08 v. 02

En temps qu'attente philosophique des âmes, on trouve des traces du terme "anthroposophie" dès les débuts de la Renaissance. La conscience de ce courant dans l'histoire, plus ou moins évident dans la culture anthroposophique germanophone, est encore en cours d'introduction dans la culture des intéressés francophones où tout se passait jusqu’à présent comme si on le devait à Rudolf Steiner. Celui-ci ne se l'attribue d'ailleurs pas, mais explicite par exemple, que si Goethe, en son abord du monde, faisait preuve d'une, disons, "plasticité" de la pensée, il ne pouvait pas encore, en son temps, s'engager (comme lui) dans l’élaboration d'une science de l'esprit. Cette tâche, il tenta de la mener non seulement par des écrits et de nombreuses conférences dans toute l'Europe, puis aussi jusque, socialement entier, la mise sur pied d'abord de cours "universitaires" puis de l'Université libre pour une science de l'esprit au Goethéanum spécialement édifié pour cela. L'objectif étant de "détacher" cette science de sa personne, au sens de tenter d'aider à sa poursuite après lui par une libre discipline de chercheurs, soutenus par la sorte particulière de mouvement d'éducation "populaire" que sont plus ou moins les différents groupes soutenant celle-ci, se regroupant ils le souhaitent dans la Société Anthroposophique Générale (ou "commune" comme le fait très justement remarquer S. Coiplet dans une récente note (voir Note de traduction1 sur https://www.triarticulation.org/initiativen/section-des-sciences-sociales-goetheanum ).

Pour nous autres, enfants de l'après seconde guerre mondiale, que nous parlions d'anthroposophie, ou même la plupart du temps de R. Steiner, nous parlons quasiment seulement de ce que transmirent et élaborèrent les "successeurs", transmettent et élaborent encore des « successeurs ». Et si on veut bien ouvrir les yeux jusqu'au bout, cela concerne aussi la plus grande partie de l’œuvre complète (à des degrés différents selon chaque cas) avec a fortiori, les "trahisons", souvent involontaires, des traducteurs s'intercalant (et je peux vous dire d’expérience qu’il y a parfois un monde dans ce qui se mêle ainsi aux sténogrammes élaborés par les spécialistes de la gestion du legs de l’œuvre complète dans la publication finale).

La "triarticulation" (présentée publiquement en 1917 dans "Énigmes de l'âme" - GA021) que l'on peut voir comme l'aboutissement maturé de la démarche de connaissance décrite dans la "Philosophie de la liberté" en 1884 (GA004 ) relève de la même problématique. Avec cependant l'importance que prirent plusieurs tentatives d'application à la vie sociale (ou en société, sociétale donc) soutenues ou rejetées dans le mouvement, entre l'été 1917 et l'automne 1922. Tant et si bien que l'hebdomadaire du Goethéanum titra de sa création à un jour de 1935 conjointement "pour l'anthroposophie et la triarticulation sociale" (https://www.triarticulation.fr/Institut/FG/ArticlesFR/DasGoetheanum.html). L’ensemble contribua d'ailleurs peut être aussi à éclipser, dès le tout début, la triarticulation tout court comme, ou en tant que, résultat (ou "aboutissement" ?) de science de l'esprit.

Cela signifie que parler de triarticulation ou d'anthroposophie, n'a en général, pas d'autre signification que de se situer sociologiquement dans le débat des idées auxquelles on tend à adhérer, et n'a absolument pas la même signification selon les groupes et communautés (y compris nationales). Ce qui va de soi, les non-dits, les éléments de référence, le substrat culturel, l’humus étant différent.

C'est aussi ce qui rend délicate l'activité de traducteur.

Si on commence à se préoccuper de ce que l'on fait réellement, au delà de soi-même, quand on rend (apparemment) accessibles des contenus élaborés ailleurs et plus ou moins pour d'autres, dans d'autres circonstances...

Cette longue introduction fait suite à des réflexions qui me sont venues dans le prolongement de ma traduction publiée la semaine dernière (partie  de GA170 sur le cercle des animaux et les processus de vie). Depuis, j'ai d'ailleurs déjà complété mes remarques d'introduction. Et je vais ici commencer à donner 2 exemples pour illustrer mon propos général ci-dessus. Ils montrent malheureusement l'un ou l'autre des gouffres qui s'ouvrent quand on veut vraiment passer d'une sorte de consommation supposée bonne pour son âme, pour commencer à se saisir de la chose elle-même.

Les conférences traduites, l'ont été pour voir comment Steiner aborde des questions qui ont été reprises  de lui depuis, aussi pour développer des méthodes d'approche sur ou dans la vie sociale, voir la vie en société alors qu'il semblerait qu'elles étaient plus ou moins destinées à éclairer les rapports dans la nature et ceux de l'âme incarnée à celle-ci via sa corporéïté. Steiner passa pas mal de temps en science sociale, à mettre en garde au sujets de transpositions de l'abord de la nature au sociétal.

De telles démarches ont cependant été forcément  nombreuses, et c'est plutôt bon signe pour ce qui est d'une forme d'autonomie créatrice. Elles ont eu, ou ont toujours certains succès ( mais pas forcément pour de bonnes raisons). Dans certain cas, on pourrait même se dire qu'elles ont probablement pris leur place sociologique, soit par défaut d'approches plus "complètes" voire "complexes" (car ces constructions ont souvent en commun la plupart du temps de privilégier un ou des aspects partiels), soit par les nombreuses circonstances qu'offre une vie de l'esprit encore insuffisamment libérée du politique ou de l’économique tels qu'ils sont aujourd'hui.

Dans notre cas, comme il va s'agir de la publication d'un entretien, je dois d'abord donner des éléments éclairant l'horizon de celui qui pose les questions. Comme il s'agit pour moi d'abord de triarticulation sociale, je dois dire que les deux protagonistes ont, à mes yeux, une œuvre tout aussi problématique à celle-ci, en tout cas à ce qu’on peut en comprendre directement auprès de ce que nous a laissé R. Steiner. Cela influence évidemment déjà les questions. Mais les réponses, pour ce qu'elles mettront aussi en cause de la triarticulation, ne visent probablement pas directement ce que développe le questionneur lui-même. Et il y a probablement aussi de l'ignorance. Car en un certain sens, on peut connaître mieux aujourd'hui l'ensemble de ce qu'apporta Steiner que même encore en 1999. Si on s'en donne vraiment les moyens bien entendu.

J'ai traduit son texte il y a déjà longtemps, mais il m'avais alors réclamé 100 € pour sa publication. Je travaille bénévolement ces sujets, pour que les idées circulent, pour que la recherche, ne serait-ce déjà qu'intellectuelle, avance. Surtout qu'au sujet de la propriété en général, R. Steiner cite déjà en son temps, celle intellectuelle en exemple, comme « temporaire » . Il indique clairement qu'il est, en ce qui le concerne, pour plus de "liberté"… entre temps, les conditions se sont même durcies… qu'on se représente ce que signifie de marchandisation de la pensée des droits d'auteurs passant de 30 ans après décès à l'époque, à 70 aujourd'hui.
(sur le sujet, entre autres :
- https://www.triarticulation.fr/Institut/FG/SamF/F003023109111197628041919.html

- https://www.triarticulation.fr/Institut/FG/SamF/01330097097198325041919.html )

Qu'on s'interroge aussi au rôle que joua probablement cet aspect dans un conflit sur la question des éditions au sein même de la société anthroposophique avec comme conséquence, entre autres, la mise sur la touche d'un H. Witzenman.

Le temps a passé et je publierai prochainement malgré tout (discrètement) cette traduction d'un article de 1999. En français seulement car il se pratique beaucoup actuellement, pour ceux qui n'ont pas encore adopté la licence "libre" dans l'allemand, de la concéder pour le français (où visiblement il n’est pas vu de marché sur ces sujets. Et c'est le cas !)

Le texte d'aujourd'hui par contre, a pour auteur S. Coiplet, qui met ses textes à disposition sous licence libre en allemand. Je ne devrais cependant pas le modifier… car nous avons découvert récemment qu'une traduction est une modification dans ce cas des droits. L'ayant déjà fait de nombreuses fois par accord tacite donc, je continue, bien qu'il serait quand même bien que cela soit une fois clarifié publiquement, sauf à vouloir octroyer des privilèges juridiques.

C'est justement intéressant : ces questions de droit de propriété qui s'invitent au sujet de deux façons différentes, pourtant liées, de, quel mot choisir ?, "substituer" autre chose à la triarticulation sociale sous quand même l’étiquette "Steiner" ou "anthroposophie". Intéressant justement quand on prend conscience du rôle que devrait y jouer la promotion d’une évolution du droit de propriété, si on souhaitait vraiment pour elle un statut de "liberté".

En fondant l'Université de science de l'esprit, R. Steiner, savait probablement bien cela, il ne pouvait qu'indiquer des voies pour l'éviter. Et çà, c'est entre nos mains depuis cent ans. Mon avis est cependant que nous sommes encore loin d'avoir vraiment saisi cela. Là aussi, il y a un monde entre ce qui se cherche encore au Goetheanum, et ce qu'on ne pressent encore presque pas en tant que français intéressés : une vie de l'esprit libre de toute confusion à la vie de droit ou politique, comme à la vie de l'économie.

Voici maintenant la fiche consacrée à ce que représentent les Brüll en rapport à la triarticulation sociale sur le site de l'Institut. Ayant travaillé d'abord sur sa version antérieure, je vous la met aussi. Cela donne une idée des exigences cet exercice demandant sans cesse des mises à jour lorsqu'on améliore sa documentation : approfondissement de sa connaissance de Steiner + celles des continuateurs supposés.

Lors d'un précédent congrès « Alma humana », une personnalité française aurait parlé dans le sens que de nouvelles traductions de l’œuvre de Steiner n'apporteraient désormais rien de plus a l'anthroposophie… Voulait-il dire en France ? Vous comprendrez que je m'interroge sur ce qu'elle à voulu dire. Elle aurait aussi évoqué l’idée qu’à la France reviendrait de réaliser la triarticulation sociale... Et bien voyons !

Lien à la fiche thématique du site en allemand de l’Institut pour une triarticulation sociale : Dieter Brüll