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Daté de novembre 1944, imprimé à Laval début 1945 cet essai tente de promouvoir ce que l'auteur appelle la tripartition à un moment où se pose la question d'une nouvelle constitution pour la France.
Passé le premier chapitre assez fiable sur les grandes lignes, la suite s'enlise cependant dans des applications dont certaines furent déjà envisagée par des contemporains de R. Steiner. Notamment la notion d'êtat à trois "ordres". Celles-ci lui ont permis jadis des mises en garde et des explications plus détaillées sur sa propre démarche. Et de montrer que ce n'est pas la sienne.
D'autres abordent des questions qui ont bien évoluées depuis, comme la structuration d'une société anomyme. Que Rudolf Steiner ne voyais , dans l'actionnariat, plus qu'une valeur morale, de surcroit réservée aux collaborateurs effectifs au quaotidien, et clairement non négociable, n'avait alors, peut être comme le nuage de Tchernobyl bien plus tard, pas encore passé la frontière... Il est cependant difficile de juger à ce seul texte en quoi il s'agit de prudents acommodements (auxquelsl R. Steiner semblait moins enclin en son temps) ou d'incompréhensions.

FG 19/06/2016

JEAN DENIS
DE LA CONSTITUTION D'UNE VIE SOCIALE HARMONIEUSE

NOVEMBRE 1944


PREMIÈRE PARTIE
LES PRINCIPES

Au moment où la France va recevoir une Constitution nouvelle, il nous semble particulièrement opportun de rechercher quelle structure sociale pourra placer l'homme dans le milieu qui permettra le plein épanouissement de ses dons.
Sous quel aspect se présente la structure sociale actuelle : en face d'une classe dirigeante qui possède des privilèges de fait, se dresse une classe prolétarienne qui lutte pour l'abolition de ces privilèges. Juste ou fausse, cette image est celle qui apparaît à la masse.
Cette lutte prolétarienne se traduit par des revendications dont l'étude pourtant ne permet pas de remonter à la cause, dont elles ne sont que la manifestation externe. Il faut pour y voir clair envisager l'évolution humaine sur de grandes périodes. On voit alors qu'au cours des temps l'homme prend lentement conscience de son moi et que l'individualité demande d'étape en étape de nouvelles libérations. C'est ainsi que les masses laborieuses passent de l'esclavage au servage pour aboutir à l'état actuel dans lequel l'individualité humaine est libre mais voit encore imposer à une partie d'elle-même, à sa puissance de travail, un caractère marchand.
Il est indispensable de saisir le sens profond de cette évolution sociale, pour comprendre les aspirations prolétariennes. C'est une libération totale de sa personnalité que veut l'homme. Il ne veut plus vendre son travail, le voir soumis à la loi de l'offre et de la demande comme une marchandise. Il veut apporter ce travail en libre collaboration.
Parallèlement à cette évolution les formes de gouvernement changent elles aussi à mesure que les conceptions humaines s'élargissent. Des domaines spirituel, politique et économique, l'humanité ne conçoit d'abord que le spirituel ; de lui découle toute autorité, tout gouvernement, véritablement de droit divin. Le dernier et plus grand exemple en est l'ancienne Égypte et ses pharaons grands-prêtres et rois. Avec Rome apparaissent les premières notions claires de droit, et le poli-tique prédomine. Ce n'est que de nos jours que les hommes conçoivent et réclament une organisation, une direction de l'économique. Ils ne sont qu'à l'aube de cette organisation où beaucoup d'erreurs sont possibles sinon fatales. Le prodigieux essor du machinisme, conséquence du progrès scientifique, a donné aux phénomènes économiques une prépondérance telle, qu'ils empiètent sur les domaines politiques et juridiques; aussi est-ce dans un bouleversement d'ordre économique (suppression du régime capitaliste) que le prolétariat voit le seul moyen de se libérer d'un état qu'il juge incompatible avec sa dignité humaine. Ses revendications : nationalisation des moyens de production et de transport, etc., reflètent les impulsions nées de ces idées. Nous verrons plus loin que le problème n'est pas si simple et que d'autres mesures sont nécessaires pour le résoudre.
La guerre a détruit l'édifice social périmé, lézardé, qui essayait de survivre à sa déchéance. L'occasion est là qui permet d'instituer un état social fondé sur des bases saines, parce que sur des vérités profondes, conformes au sens de l'évolution humaine. Mais ces vérités, il faut les voir clairement. Un échec dans cette tentative aurait de graves conséquences.
L'expérience de 1936 qui a apporté quelques réformes excellentes telles que contrats collectifs obligatoires et congés payés s'est par ailleurs montrée impuissante à tenir ses promesses. Pourquoi ? Des obstacles insurmontables ont-ils été dressés devant elle ou s'est-elle écroulée d'elle-même ? On a beaucoup parlé de coalitions d'intérêts. Elles existent, certes, mais n'ont pas constitué à notre avis la cause primordiale de l'échec. Nous disons que si l'expérience a échoué c'est qu'elle était mal pensée. La grande difficulté est avant tout de penser un ordre social nouveau et de l'envisager dans son ensemble avant d'en commencer la construction.
Une solution est offerte : le communisme. Les principes en ont été pensés il y a déjà presque un siècle par Karl Marx et ont abouti aux tragiques expériences que l'on sait. Les masses n'ont pas lu ces ouvrages, mais la doctrine se résume pour elles en idées simples, qui font image et deviennent ainsi idées-forces.
C'est parce que le collectivisme parait sous des formes si faciles à comprendre, qu'il est aussi dangereux, et il faut reconnaître que dans les discussions, ses adversaires n'ont généralement rien à offrir que le statu quo.
Il est donc urgent, s'il en est temps encore, d'exposer sous une forme concrète, aussi simple et accessible que possible, les idées directrices de la réforme sociale qui s'impose et la structure qui en découle.
L'exposé que nous allons en faire est issu de l'enseignement d'un grand penseur : R. STEINER, libre de tout parti et de tout nationalisme. Nous renvoyons à son livre, Le triple aspect de la question sociale, le lecteur qui voudrait remonter à la source de notre exposé. Plusieurs passages ont été empruntés aux études de M. PIERRE MORIZOT, qui s'inspire du même enseignement.
Pour mieux faire comprendre la nécessité de la structure sociale que nous décrivons, nous ferons d'abord une comparaison : si nous examinons l'organisme humain, nous pouvons discerner que dans son ensemble, il repose sur l'assemblage de trois systèmes fonctionnant indépendamment les uns des autres.
Le premier comprend la vie des nerfs, du cerveau, des organes des sens. Nous l'appelons SYSTÈME CÉPHALIQUE. A lui se rattachent la pensée et nos différentes sensibilités : à la lumière, au son, aux odeurs, aux contacts, au chaud et au froid, etc..., il est le lien entre notre personnalité intérieure et le monde extérieur. Tout ce qui constitue notre personnalité humaine : sentiment du beau et du laid, du vrai et du faux, du bien et du mal... Conscience de notre propre existence (je pense, donc je suis) et conscience de notre corps, passe par lui et se saisit en lui:
Le second système comprend la respiration, la circulation du sang. Par lui la vie se manifeste en nous dans le rythme : battements du cœur et des poumons qui sont bien les signes caractéristiques de cette vie. Nous l'appelons SYSTÈME RYTHMIQUE. Du fait qu'il existe, qu'il vit, chaque homme possède certains droits, droit à la vie d'abord, puis à tout ce qui en découle par voie de nécessité. Le droit est donc bien lié à la vie en rapport dans notre corps avec le rythme.
Le troisième système enfin est celui des échanges vitaux absorption et assimilation de notre nourriture, puis élimination, expulsion des éléments usés. Nous l'appelons SYSTÈME MÉTABOLIQUE. Il nous force pour notre subsistance à retirer sans cesse de la nature notre alimentation. Par, ou pour lui, s'établissent entre la terre et nous des liens en quelque sorte économiques, dont jamais autant que ces dernières années nous n'avions senti l'impérieuse nécessité.
Ainsi nous voyons les différentes activités humaines se rassembler en trois groupes bien distincts, qui se juxtaposent, s'influencent mais ne se mélangent pas. Un juste équilibre doit être maintenu entre eux trois.
Quelque chose de tout à fait analogue se retrouve dans la structure sociale :
Tout ce qui a rapport à la personnalité humaine, sa pensée, son développement artistique ou religieux, son épanouissement physique et moral, correspond au système céphalique et relève de ce que nous appellerons l'ORDRE CULTUREL. Il aura à connaître de tout ce qui sert de terrain au développement individuel : sport, instruction, éducation, art, famille, religion. Il ne peut grandir et fleurir que dans une complète liberté. Son idéal primordial est la LIBERTÉ.
Tout ce qui garantit les droits de l'homme, ce qui doit assurer à tous une vie possible et digne, établir les rapports entre citoyens, correspond au système rythmique et sera réglé par l'ORDRE POLITIQUE.
Les proverbes les plus communs expriment souvent des vérités profondes. Par exemple : « L'air est à tout le monde » marque bien ce lien entre l'égalité de droit et le système rythmique dans la respiration de l'air. Cet air qui emplit nos poumons et rougit notre sang est un bien commun impossible à fractionner. Le principe fondamental de l'ordre politique sera l'égalité de droit des individus.
Enfin tout ce qui fournit notre alimentation et l'ensemble des produits nécessaires à nos besoins, toutes les activités relatives à la production, la distribution et la consommation des marchandises, tout cet ensemble qui a un rapport évident avec le système métabolique sera régi par l'ORDRE ÉCONOMIQUE. Dans ce domaine il ne peut y avoir ni liberté complète, ni complète égalité, mais il devra exister une absolue fraternité.
La vieille doctrine républicaine devient :
Liberté pour le culturel.
Egalité pour le politique.
Fraternité pour l'économique.
L'analogie .de ces trois ordres avec les trois systèmes humains peut être poussée plus loin, car si une séparation et un équilibre des trois systèmes est nécessaire à la santé de l'individu, une séparation et un équilibre des trois ordres est non moins nécessaire à la santé de la Société.
Il est facile de montrer que si l'un des ordres empiète sur le domaine du voisin il apparaît aussitôt une maladie de l'ordre social.
Nous n'avons que trop vu déjà ce qui se passe lorsque le politique dirige le culturel. L'éducation est aussitôt prise en mains, non pour l'épanouissement de l'individualité humaine mais pour assurer le maintien et la puissance du parti au pouvoir. Les tendances, le sectarisme, de plus en plus marqués de l'éducation primaire en France avant guerre, et bien plus encore la formation des jeunesses nazies en Allemagne, en sont des exemples frappants. Les ravages ainsi causés dans la conscience des masses deviennent d'autant plus graves que l'Etat devient plus puissant et se rapproche davantage de la formule totalitaire. Cette emprise du politique sur l'éducation a atteint aujourd'hui le niveau d'une véritable science de la déformation des caractères. Science qui fut la préparation de l'immense conflit qui nous broie.
Quand l'économique pénètre le politique, il apporte dans le domaine du droit des rapports de valeur qui ne sont valables que pour les marchandises. C'est le cas du marché de la main-d'œuvre qui soumet celle-ci à la loi de l'offre et la demande. Le prolétariat ressent, à juste titre, le fait que son travail est transformé en marchandise, comme une atteinte à sa dignité, à son droit. C'est le point le plus grave, la cause profonde de l'état d'esprit prolétarien. Pour y remédier il n'y a pas d'autre moyen, pour le moment, que de transformer cette location humaine en association. Nous verrons plus loin comment on pourrait y arriver.
Le prolétariat voit bien que cette prédominance de l'économique est cause de la déformation sociale et il pense y remédier par un bouleversement économique : la suppression du capitalisme. Cela n'empêchera cependant pas la prédominance économique, au contraire cela rend le pouvoir politique encore plus solidaire de l'économique et substitue à un patronat contrôlable, un nouveau patronat incontrôlable et tout-puissant : l'Etat. Ce qu'il faut c'est remettre à leurs places les puissances économiques et financières, pour cela tout d'abord scinder, séparer les forces des trois ordres que nous avons définis.
On est en train d'instaurer une « économie dirigée » ; nous pensons bien aussi qu'elle est nécessaire et que la complète liberté dans ce domaine n'est plus possible, mais la chose n'est pas si simple qu'on semble le croire en général. La lutte économique, la concurrence de maison à maison et de pays à pays est une bataille continuelle ; pénible mais indispensable au progrès et du reste inévitable. Tout pays qui y renoncerait serait impitoyablement condamné par les faits. Or une administration trop vaste et par cela même rigide ignore ces faits ou n'en a connaissance que trop tard. Les hommes n'ont pas une connaissance suffisante des lois économiques pour pouvoir se passer d'empirisme. Bien au contraire ils en ont besoin à chaque instant. Toutes les grandes théories d'économie, échafaudées jusqu'ici, n'ont eu qu'une apparence de vérité bien passagère. Aussi est-il indispensable que l'économie soit dirigée par des hommes qui restent en plein combat, c'est-à-dire par des chefs d'entreprise ayant fait leurs preuves et n'ayant pas abandonné leur métier. C'est là une grande difficulté car de tels chefs ont généralement peu de loisirs. Faire diriger les diverses branches de l'économie par des fonctionnaires ou par des théoriciens et surtout par des théoriciens politiques, c'est infailliblement la condamner à la ruine.
Nous avons déjà vu depuis les comités d'organisation combien ces organismes sont rigides et surtout aveugles. Ils n'ont évité la catastrophe que parce qu'ils régnaient pendant une période où la concurrence était morte, et dans une économie de guerre. Sous leur règne le chef d'industrie use son temps et ses forces à lutter contre la « direction » pour tâcher de préserver son entreprise, son personnel et sa propre bonne volonté, de la destruction complète que ne manqueraient pas dé provoquer des prescriptions généralement absurdes, échafaudées loin des réalités dont il a seul connaissance, par une administration sans responsabilité pécuniaire. Aucune organisation ne peut indiquer d'une façon exacte au producteur ce qui est nécessaire à sa clientèle, aussi bien que la demande simple et directe de celle-ci. Demande qui évolue sans cesse. Une industrie dirigée par un organisme du genre des" comités d'organisation, plus ou moins étatisés, ne tarderait pas à fabriquer des articles invendables en temps normal et courrait à sa ruine.
Il faut donc que l'organisation économique reste vivante et souple, malléable, modifiable à l'infini sous la direction de ceux qui en vivent et sont capables de juger à chaque instant des résultats. L'organisme politique aura pour seule tâche de surveiller de l'extérieur et sans ingérance si les droits de l'individu sont respectés. Nous le répétons, c'est pour le poli-tique un travail de surveillance et nullement de direction. Dans la deuxième partie de cet ouvrage nous donnerons des exemples qui pourront fixer les idées.
Pour terminer nos exemples d'intrusion d'un ordre dans l'autre, remarquons que si le culturel déborde dans le politique avec son esprit de complète liberté il se heurte aussitôt aux questions de droit. Pour ne citer qu'un cas extrême, la liberté de la presse doit évidemment exister mais un appel au meurtre porte atteinte au droit à la vie, il doit être réprimé, empêché.
On pourrait multiplier de tels exemples à l'infini. Chaque lecteur en connaît sûrement d'autres dont il a fait l'expérience, mais nous croyons avoir suffisamment prouvé que les trois ordres obéissent à des lois différentes, généralement incompatibles et ne peuvent tendre chacun que vers l'idéal qui lui est propre.
En appliquant ces lois indifféremment à l'ensemble, en fondant lés trois ordres dans un État totalitaire on peut créer momentanément une puissante arme de guerre mais on aboutit forcément à la terrible confusion où nous nous débattons.


DEUXIÈME PARTIE
L'APPLICATION
LES TROIS ORDRES ET L'ÉTAT

Ayant établi la nécessité des trois ordres nous voulons prouver que leur création est possible en donnant un schéma de leur structure et en indiquant certains des rapports qui s'établissent entre eux. Nous ne prétendons pas cependant que la tripartition entraîne forcément toutes les mesures que nous allons proposer, on pourrait certes en concevoir d'autres et la mise au point ne peut être faite qu'avec l'avis d'hommes expérimentés choisis parmi des spécialistes de chaque ordre.
Un exposé aussi court que celui qui va suivre est forcément très incoinplet et nous voulons seulement établir un premier lien entre des principes qui peuvent paraître abstraits et la réalisation concrète de l'organisation qui en résulte.
Nous aurons :
l'Ordre Politique.
l'Ordre Économique.
l'Ordre Culturel.
l'État.

ORDRE POLITIQUE
Son rôle est d'établir entre citoyens des rapports de droit, de veiller à ce qu'ils soient maintenus dans la justice et l'équité.
C'est un rôle de protection, de conservation et d'animation du contrat social.
Pour ce faire, l'ordre politique disposera : d'une magistrature, d'une police, d'une administration, d'une armée.
Hiérarchique dans sa structure, autoritaire dans son commandement, l'ordre politique n'est cependant qu'un instrument au service de la Société, c'est-à-dire des personnes qui la composent. Aussi est-il basé sur le principe égalitaire. Entre tous les citoyens quels qu'ils soient, il y a une égalité de droit et de devoir civique. L'ordre politique possédera un gouvernement réduit aux ministères essentiels :
Affaires intérieures. Législation.
Affaires extérieures. Défense Nationale.
Colonies. Salaires.
Justice. Finances.
Ce gouvernement est présidé par un homme que choisit le chef de l'Etat défini plus loin, devant lequel il est responsable. C'est ce président qui compose son gouvernement. Celui-ci administre, étudie les lois et après avis d'un conseil consultatif en -décrète et surveille l'exécution.
Un Parlement est fait de deux assemblées :
Une Chambre composée de 150 membres environ élus à la majorité des voix par les citoyens des deux sexes, jouissant de leurs droits politiques.
Un Sénat composé d'une centaine de membres désignés parmi les personnalités politiques représentatives, pour une moitié par la Chambre et pour l'autre par le Gouvernement.
Un quart de ces membres étant maintenus inamovibles par décision du Chef de l'Etat..
La Chambre examine les projets de loi, les discute, y propose des amendements. Elle a le droit d'initiative. Elle contrôle les actes du Gouvernement, sans pourtant que ce contrôle aille jusqu'au droit de renverser ce dernier, elle peut simplement lui refuser sa confiance, le Chef de l'Etat décide seul en dernier lieu.
Le Sénat joue le rôle d'une Cour suprême chargée de veiller à la garantie et à l'exercice des droits des citoyens, tels qu'ils sont inscrits dans la Constitution. Il fonctionne comme Cour supérieure de justice vis-à-vis du Chef de l'Etat au cas où celui-ci serait accusé de haute trahison. Si la Constitution est républicaine, c'est lui qui, aux termes désignés par elle, ou en cas de vacance, élit ce Chef; se réunissant à cette fin avec les Conseils supérieurs des deux ordres économique et culturel.
L'ordre politique n'est pas lui-même l'Etat. Il n'en est que l'un des aspects.
Il n'a 'à faire ni négoce, ni entreprise. Il ne prend en charge que les travaux et les finances indispensables à sa mission. En particulier et pour ce qui concerne les problèmes du travail (puisqu'il a à connaître des rapports contractuels entre personnes) il contrôle les groupements ouvriers et patronaux dans leur rôle non purement économique, donc dans l'exécution des conventions passées entre eux. Il fixe les salaires pour les différentes professions et détermine les conditions du travail sur proposition de l'ordre économique. Pour cela il fixe après étude faite par les Préfectures un salaire de base manoeuvre pour chaque région économique et dans chaque région pour les différents centres.
Chaque profession propose ensuite une échelle de majoration en pour cent sur ce salaire de base, pour chaque spécialité (minoration pour les apprentis et les invalides). Cette échelle est revue puis homologuée par le ministère des Salaires de l'ordre politique.

L'ordre politique, dans ses relations avec les autres pays, n'aura pas qualité pour traiter les affaires concernant l'économique ou le culturel, qui auront leurs représentants propres.
L'ordre politique aura la haute main sur la répartition du produit de l'impôt, mais le prélèvement de cet impôt concerne l'organisme économique qui en sera chargé. Nous en parlerons plus loin. Spécifions que le ministère des Finances de l'ordre politique a des fonctions strictement limitées aux activités suivantes : I° Répartir entre les trois ordres et l'Etat les sommes leur revenant sur le budget fixé par le Parlement ; 2° Gérer les finances propres de l'ordre politique, celles-ci comprenant : les frais d'administration et les versements remplaçant allocations familiales et assurances vieillesse, tels qu'ils sont définis plus loin. Les assurances sociales sont placées sous le contrôle de ce ministère.
A l'intérieur du pays, l'ordre politique subdivisera son administration suivant les départements. Cette organisation déjà ancienne a fait ses preuves et ne doit pas être détruite. L'ordre économique agira en s'appuyant sur les régions économiques déjà délimitées. Enfin l'ordre culturel aura avantage à se grouper suivant les provinces qui portent encore en elles des traditions, des impulsions artistiques, des mentalités, qui leur sont propres et sont nécessaires à -l'épanouisse-ment du sentiment national dans ce qu'il a de meilleur.
Budget.
Chaque ordre établit son budget. L'Etat qui, nous le verrons, ne comprend que des services très réduits, fait de même. Ces quatre budgets sont soumis au Parlement qui après en avoir entendu l'exposé fixe leur montant pour chaque ordre ainsi que celui du budget minime de l'Etat.
Le Parlement n'a pas qualité pour modifier le détail des budgets des deux autres ordres ; seul le chiffre global est soumis à son contrôle. Le budget total étant ainsi fixé par le Parlement, c'est l'ordre économique qui est chargé de son prélèvement sous sa seule responsabilité. Si l'activité économique du pays ne permet pas d'obtenir le chiffre imposé, l'ordre économique doit en aviser l'ordre politique et le Parlement statue à nouveau. En cas de désaccord le Chef de l'Etat arbitre le différend.
Assurances Sociales et Allocations Familiales.
Chaque être humain a droit à la vie. Cette vie se partage au point de vue économique en trois périodes : La première de zéro à 14 ans au moins pendant laquelle l'homme ne peut que recevoir. La deuxième de 14 à 65 ans où il est producteur de richesses. La troisième au-dessus de 65 ans où il est de nouveau à la charge de la Société.
Chaque être humain devra recevoir de l'organisme politique, car il s'agit bien là d'une question de droit, une rente croissante de zéro à 14 ans, décroissante de 14 à 18, enfin une retraite au-dessus de 65 ans. Ces versements seront les mêmes pour tous, leur taux dépendra forcément de la prospérité de l'ensemble de l'organisme économique, c'est-à-dire du rendement de l'impôt. Les fonds étant fournis par une partie de l'impôt défini plus loin. L'assurance maladie est maintenue avec le seul versement ouvrier, la partie vieillesse étant remplacée par les versements prévus ci-dessus. L'assurance maladie a besoin d'importantes réformes, elle ne devra pas couvrir les petits risques que l'ouvrier peut aisément supporter et ne devra verser d'indemnité de chômage que par exemple à partir du deuxième mois de suspension de travail. Par contre elle paiera presque entièrement les frais des gros risques : opération grave, invalidité notoire.


ORDRE ÉCONOMIQUE
Ordre complètement distinct du précédent, au sein duquel s'exercent les activités relatives à la production, la distribution et la consommation de marchandises.
L'ordre politique n'a à intervenir dans l'économique que pour sauvegarder les questions de droit (exécution des con-trats, conventions, salaires, ...).
A la hase de l'ordre économique sont les groupements locaux, régionaux et nationaux qui réunissent dans la même fraternité : producteurs, commerçants, consommateurs. Les membres des groupements sont choisis par spécialités professionnelles ou branches.
Les différentes branches peuvent à leur choix s'organiser ou non en corporations. S'il y a corporation, c'est elle qui est chargée de désigner pour sa branche les membres des groupements régionaux, sinon chaque branche doit former un collège électoral qui désigne ses représentants au groupement local, qui lui-même désigne celui du groupement régional.
Les groupements régionaux désignent des représentants aux groupements nationaux, qui désignent à leur tour les personnes qui composeront un Conseil supérieur de l'ordre économique. Conseil composé d'une centaine de membres au plus, divisé en trois sections représentant : production, répartition et consommation. Ce Conseil supérieur choisit dans son sein un Président responsable devant lui et le Chef de l'Etat. Ce Président dispose des ministères suivants : impôt, pour le prélèvement de celui-ci. Travaux, pour les travaux publics nationaux qui ne seront pas gérés directement par le ministère mais confiés à des entrepreneurs surveillés. Parmi ces travaux, cirons les ports, les ponts et chaussées, etc. Finances, pour la gérance de la Banque de France, du Trésor, de la monnaie, de la Caisse de prêt et amortissement dont nous parlerons à propos de la dette. Enfin pour les dépenses de l'ordre lui-même.
Le Président groupe autour de lui en dehors de ces ministères des Commissions ordinaires chargées chacune d'organiser les principaux domaines économiques du secteur plané ou de conseiller ceux du secteur libre ; il y aura par exemple la Commission des transports ou celles des industries minières comme il pourra y avoir celle de l'automobile ou celle de la mode. Le Conseil supérieur connaît des questions de prix, d'importation et d'exportation. Il transmet à l'ordre politique les suggestions relatives aux modifications de salaires qu'il juge nécessaires pour telle ou telle catégorie. Il est l'animateur des groupements professionnels d'entreprise, il surveille l'activité des corporations. En un mot il n'étatise pas, il ne fait pas de dirigisme, mais il organise la vie économique en vue d’accroître le bien commun du pays, et il le fait en se gardant d'uniformiser les méthodes.
Il est représenté dans les régions par des délégués régionaux, la mission de ces délégués étant de maintenir la liaison entre les groupements régionaux et lui-même, tout en permettant la décentralisation et les initiatives régionales.
Dans le domaine économique comme dans d'autres domaines de la vie sociale, il ne faut rien brusquer. Ce n'est que pas à pas que l'évolution va vers le mieux. C'est donc avec une extrême prudence que l'ordre économique prépare les voies nouvelles à la production et à ses débouchés, car l'économie d'un pays a essentiellement besoin d'une grande liberté d'allures. Par exemple, si le système corporatif convient à telle profession, il peut être dangereux pour telle autre, et si l'artisanat est favorable à certains métiers, les entreprises tentaculaires peuvent être préférables dans quelques cas comme les transports ou la navigation.
L'ordre économique, seul qualifié pour traiter les questions économiques avec les autres pays aura ses représentants désignés par lui et sera chargé de la direction des douanes.

Il sera en liaison étroite avec les groupements économiques coloniaux, qui seront représentés au Conseil supérieur comme le sont les régions. Cet ordre est essentiellement fondé sur le principe de l'association. Au sein de l'économique on associe les intérêts de même nature ou des activités de même but. Comme nous l'avons dit au début, l'ordre économique doit s'inspirer du principe de fraternité. Il n'est donc pas une sorte de vaste ministère du commerce, mais l'expression d'une vie circulante et constamment en mouvement dont les associations de toutes sortes sont le reflet. Il n'est pas une adminis-tration mais une conjonction d'efforts.
Quels sont les statuts de la cellule économique primordiale qu'est l'entreprise? Prenons pour type la. Société par actions.
La Société par actions.
Elle comprend :
a) des administrateurs ;
b) des actionnaires (qui peuvent être également administrateurs ou faire partie du personnel) ;
c) le personnel comprenant tous les échelons : directeur général, employés et ouvriers.
Chaque membre de l'affaire reçoit un salaire fixé comme suit :
Pour le personnel ouvrier, par l'organisme politique (ministère des Salaires) de la façon précédemment décrite.
Pour les employés, par le directeur, chaque catégorie d'employés ayant un salaire minimum fixé par l'ordre politique. Sur ce salaire le directeur est en droit d'appliquer les majorations qu'il juge nécessaires pour tenir compte des capacités individuelles et de l'importance des services rendus.
Pour le directeur, par le conseil d'administration. Pour les administrateurs, par l'ordre politique sur proposition du Conseil économique régional. Ce même Conseil peut demander à l'ordre politique les modifications de salaires qu'il juge nécessaires, par exemple pour maintenir l'équilibre de la main-d'oeuvre entre différentes professions. Il peut donner un avis consultatif sur les salaires des employés, directeurs...
Le salaire des actionnaires est un intérêt de 2 à 3 %.
En fin d'exercice après amortissements et constitution des réserves, le bénéfice est réparti proportionnellement aux salaires versés dans l'année, ceci pour tous les membres et pour les salaires définis ci-dessus. Une partie de ces bénéfices est distribuée immédiatement, une autre dont le maximum serait à fixer (par exemple 5o %) pourra être remise sous forme d'action dont le montant viendra s'ajouter au capital de l'affaire.
Les réserves sont destinées à faire face aux pertes éventuelles. Chaque année la somme mise en réserve ne pourra excéder le tiers du- bénéfice distribué, et la totalité des réserves accumulées ne pourra pas excéder un plafond légal qui pourrait être fixé entre 5o et 8o % du capital de la Société. Ces fonds peuvent être placés en obligations, mais en aucun cas une Société ne pourra posséder des actions d'une autre entreprise. Toute action est nominative et ne peut appartenir qu'à une personne physique.
En cas de déficit, celui-ci est prélevé sur les réserves, si les réserves sont épuisées sur la partie disponible du capital, ensuite la Société doit faire appel à de nouveaux emprunts ou être déclarée en faillite. En aucun cas un prélèvement ne peut être fait sur les salaires de base qui ont dû être calculés sans exagération et représenter le minimum vital de chaque catégorie.
Une fois par an au moins, le directeur fera avant la distribution des bénéfices, un compte rendu détaillé devant l'assemblée générale de l'entreprise. Celle-ci sera composée : pour les entreprises de moins de 3oo employés, de tout le personnel et des actionnaires qui, eux, pourront se faire représenter. Pour les entreprises plus importantes, les ouvriers pourront être remplacés par des représentants élus par eux et suffisamment nombreux; un sur cinq ou un sur dix par exemple suivant l'importance de l'affaire.
Aucun administrateur ne pourra faire partie de plus de deux conseils d'administration, et à partir d'un traitement d'une certaine importance à fixer, il sera limité à un seul. Le nombre minimum des administrateurs de la Société sera fixé à trois. -
Les membres de l'assemblée générale de l'entreprise ne pourront en aucun cas s'immiscer dans la direction de celle-ci. Le directeur gardant toute liberté dans le choix de son personnel et la marche de l'affaire dont il est personnellement et entièrement responsable. Mais l'assemblée générale peut émettre des vœux et demander la vérification des comptes par un commissaire du Conseil régional économique. Celui-ci pourra vérifier entre autres si les salaires de base du personnel de direction et des administrateurs restent dans les limites autorisées. Il sera tenu au secret professionnel le plus absolu, son rôle vis-à-vis de l'assemblée se bornera à certifier l'exactitude ou à dénoncer l'inexactitude du bilan présenté par le directeur.
Toute Société peut émettre des obligations qui pourront recevoir un intérêt légèrement supérieur à celui servant de base aux actions, mais n'auront pas part aux bénéfices.
Lorsqu'une augmentation de capital est faite autrement que par incorporation du bénéfice, l'ensemble du personnel a un droit de souscription à titre irréductible équivalent à celui des anciens actionnaires.
Affaires particulières.
Les mêmes principes généraux peuvent être appliqués. Un commissaire de l'organisme économique aura qualité pour évaluer le capital engagé, rémunérable suivant les mêmes règles que celui des prêteurs de la Société par actions. Il aura le droit de regard sur les salaires servant- de base à la répartition des bénéfices. L'affaire aura le droit de constituer des réserves comme les sociétés par actions. Le directeur général sera tenu, comme précédemment, de faire au moins un compte rendu annuel de la marche de son entreprise devant l'assemblée générale de celle-ci.
Cette organisation fera disparaître rapidement la notion du travail marchandise. Il ne pourra en effet plus y avoir location de travail mais uniquement association.
Impôts.
Le prélèvement de l'impôt sera considérablement simplifié Suppression de tous les impôts à recouvrement coûteux ou de caractère inquisitoire : revenu, chiffre d'affaire, etc..., et de tous les impôts indirects sur les objets de première nécessité. Restent seuls ceux sur les tabacs, cartes à jouer, alcools. Les impôts supprimés sont remplacés par :
Pour les professions industrielles et commerciales, un impôt payé entièrement par l'entreprise sur tous les salaires et traitements. Probablement 3o % du montant des salaires, intérêts ou coupons. Le pourcentage de cet impôt est fixé par l'ordre politique après consultation de l'ordre économique. Le chiffre de 3o % mis pour fixer les idées ne devrait pas être dépassé. Il peut paraître insuffisant, mais nous verrons comment doivent être réduites les charges écrasantes de la dette et des dommages de guerre.
Pour les professions libérales, l'impôt serait de 3o % des recettes brut.
Pour les artisans et toutes petites affaires sans comptabilité, un forfait équivalent.
On peut objecter que cet impôt, s'il a le mérite d'être simple et peu coûteux à percevoir, a le tort de ne pas être progressif. En réalité, la suppression des impôts indirects soulagera énormément les familles modestes ou nombreuses, et les mesures dont nous avons parlé à propos des assurances sociales et allocations familiales leur apporteront une large compensation. L'uniformité de l'application de cet impôt empêchera les excès de l'ordre politique en matière fiscale. Certains impôts indirects particuliers à affectations spéciales pourront être maintenus. Par exemple un impôt sur les carburants destinés strictement à l'entretien des routes.
La dette et les dommages de guerre.
La dette est devenue une charge écrasante que la France ne pourra jamais supporter en se relevant de sa ruine actuelle. C'est une erreur fondamentale du régime capitaliste, d'avoir cru qu'un capital improductif pouvait se conserver indéfiniment et même s'accroître par l'intérêt sans jamais perdre sa valeur. Expliquons-nous par un exemple : si une affaire prospère, c'est-à-dire un groupe d'hommes au travail, peut payer sous forme d'intérêt une rémunération au capital que représente son matériel en service (meubles et immeubles) ; lorsque ce matériel usé ou démodé ne peut plus rendre aucun service, ou même que ce matériel est totalement disparu, le capital correspondant doit se trouver amorti, remboursé. Sinon il reçoit une rémunération qui ne correspond plus à aucune rentrée, et l'affaire commence à être malade. Cela jusqu'au jour oit, dans l'impossibilité de rémunérer les capitaux improductifs accumulés, elle fait faillite, ou, si c'est une Société par actions elle voit celles-ci perdre leur valeur. C'est exactement ce qu'a fait l'Etat. Tant que la charge du capital emprunté n'a pas été trop forte, Ka situation financière a pu se maintenir et personne jusqu'en 1914 ne s'est aperçu de l'énorme erreur que le capitalisme était en train de commettre. Sous le choc de la guerre 1914-1918 s'est déclarée la première fissure de ce monstrueux édifice financier, qui depuis ne cesse de s'effondrer de dévaluation en dévaluation.
Nous payons aujourd'hui de lourds impôts pour les intérêts d'emprunts dont la contre-partie a depuis longtemps disparu, si elle a jamais existé ; car la majorité de ces emprunts a été. utilisée pour des dépenses non rentables, en premier lieu les guerres.
Les dévaluations qui en résultent sont purement une escroquerie, qui date non seulement du jour où l'Etat a commencé à faire marcher la planche à billets, mais inconsciemment du jour où il a émis le premier emprunt. De cette escroquerie le prolétariat est la principale victime, car malgré toutes les soi-disant hausses de salaires, il ne touche jamais qu'un salaire fondant et n'a pas de contre-partie.
L'Etat ne doit donc pas emprunter, il doit faire disparaître la dette et s'interdire ensuite tout emprunt. Comment pourra-t-il le faire ?
Remarquons d'abord que si aucune mesure n'était prise et si les emprunts continuaient à se succéder, toute la dette dis-paraîtrait bientôt dans une dévaluation totale de la monnaie. On sait quelles ruines tragiques cela entraîne. Il faut avant tout protéger de cette ruine les petits rentiers qui, si nombreux en France, ont fait confiance à l'Etat. Pour cela transformer leur emprunt en viager, avec, si l'on veut, un plafond de rente de l'ordre de 20.000 à 30.000 francs par an et par individu. Seul l'héritage de ces capitaux serait ainsi perdu. la plus grande partie de la dette s'amortirait rapidement pour être complètement résorbée en cinquante ans environ. Le reste, c'est-à-dire ce qui appartient à des organismes ou administrations de longue durée, serait remboursé à 5o 6/o au moyen d'une émission qui précéderait enfin la cessation de toute inflation et l'établissement d'une monnaie stable. Il n'y a pas d'autres moyens d'en sortir. Un impôt exceptionnel sur les plus-values immobilières ferait participer les propriétaires à l'effort demandé au pays.
Une telle opération n'est justifiable et profitable que si l'Etat (dans la nouvelle structure, l'ordre économique) s'interdit par la suite tout emprunt, comme nous l'avons déjà dit.
Avant d'expliquer comment pourront être gérées les finances, il faut séparer bien nettement les dépenses rentables des dépenses non rentables. Une maison, une usine, des moyens de transport sont rentables, ils peuvent amortir leur capital. Un lycée, un hôpital, et surtout des armements ne le sont pas. Les premiers peuvent justifier l'émission d'un capital qu'ils seront chargés d'amortir, les autres ne pourront devoir leur capital qu'à l'impôt.
Chaque ordre aura des dépenses non rentables qui figureront à son budget. Ainsi l'ordre politique aura : mairies, préfectures, ministères et surtout défense nationale. L'ordre économique aura les ponts, les ports, les halles et marchés. L'ordre culturel, les lycées, universités, musées, hôpitaux, stades sportifs, etc...
Pour les dépenses rentables, il sera créé par l'ordre économique une CAISSE NATIONALE DE PRÊT ET AMORTISSEMENT. Lorsqu'une construction publique ou privée, mettons une maison, sera reconnue utile et rentable, la Caisse pourra prêter sans intérêt à celui qui veut construire cette maison. Le capital proviendra d'une émission de billets gagés par la construction elle-même et remboursable à la même Caisse en 25 ans, par annuités. Naturellement le propriétaire de la maison pourra toujours se libérer plus rapidement, la construction ne lui appartenant que le jour où tout le capital est remboursé. Chaque fois que la Caisse reçoit un versement, elle le porte au crédit du propriétaire et détruit la somme reçue. Il ne se produit de cette façon aucune inflation. Au bout de 25 ans (délai indiqué pour fixer les idées) si tous les versements ont été faits, il ne reste plus rien du capital primitif, mais la construction, elle, subsiste. Si les versements ne sont pas complètement faits la Caisse de Prêt et Amortissement vend la maison pour récupérer le reste de son dû. Les frais de la Caisse sont payés par un versement de 5 à ro o/o du capital fait une fois pour toutes par le bénéficiaire du prêt.
Nous le répétons, il n'y a là aucune inflation ; faire de l'inflation c'est émettre des billets sans contre-partie, pour des dépenses improductives ; ici l'émission est gagée et amortissable d'une façon certaine.
On saisit sans peine l'avantage immense que le pays pourra remporter de ces émissions, et quel levier ce sera pour l'ordre économique dans la direction de l'essor qui en résultera immédiatement. Ainsi pourront être créées par exemple les usines hydro-électriques ou la flotte de commerce qui nous manquent et des entreprises de tous ordres. Ainsi seront reconstruits, sans que ce soit une charge écrasante pour le pays, les milliers de logements détruits ou insalubres. Car les mêmes prêts pourront être utilisés à la reconstruction des régions dévastées par la guerre, les sinistrés bénéficiant d'une priorité pour les avances de capitaux.
La Caisse de Prêt et Amortissement devra, bien entendu, se munir de toutes les garanties nécessaires, faire appel pour sa direction à des personnalités éprouvées, ne verser les fonds qu'au fur et à mesure de la progression des travaux, exiger que les constructions soient normalement assurées... etc.
Il ne sera pas nécessaire de supprimer entre particuliers les usages actuels de prêt à intérêt sur lesquels se sont fondées les sociétés par actions et autres entreprises. Par la force des choses le capital cherchant à s'employer deviendra plus accessible et moins exigeant, l'économie du pays en profitera tout entière.
Agriculture.
Par l'échange de ses produits l'agriculture appartient à l'ordre économique, elle devra donc avoir ses représentants dans les Conseils économiques régionaux et nationaux. Il semble possible de trouver pour l'agriculture une forme d'association où puisse régner la fraternité économique, mais il faut se garder de lui donner une organisation calquée sur celle de la Société par actions. Ayant affaire à la vie, l'agriculture constitue une unité biologique dont les opérations ne se limitent plus à un simple bilan. Le paysan ne peut pas, ne doit pas devenir un exploitant agricole, c'est-à-dire un technicien de seconde zone pour lequel seuls compteraient le calcul, l'obtention du profit et les méthodes rationnelles pour y arriver. Assurément le profit importe au paysan comme à l'industriel ou au commerçant, et il va de soi que le travail des champs ne peut pas se solder par un déficit, mais, cela dit, il est nécessaire de reconnaître que le travail de la terre participe plus que tout autre à la vie de la planète, à celle de l'univers; c'est pourquoi le monde agricole constitue un organisme vivant en symbiose avec ces autres organismes vivants que sont notre terre, le soleil, la lune, les astres.
Cette vérité élémentaire doit constamment être devant nos yeux sans quoi la mentalité industrielle s'emparera de la paysannerie et aménera une ruine générale du sol nourricier, par une intensification des méthodes purement scientifiques et un lent oubli des coutumes ancestrales.
La nécessité de conserver à l'agriculture son caractère biologique ainsi que la souplesse et la prudence exigées par tout être vivant, appelle le retour à des formes traditionnelles. Sauf des exceptions où la nature du sol et certaines conditions climatériques entraînent la monoculture (celle de la vigne par exemple) le salut est dans la constitution d'organismes moyens et petits dont chacun représente une entité indépendante, où les différentes cultures sont équilibrées et permettent un. circuit harmonieux entre les produits du sol et les besoins des animaux.
Un tel organisme doit posséder assez de bêtes pour que le sol ait l'engrais naturel qu'il lui faut, et il doit en avoir juste assez pour fournir à ses bêtes leur nourriture. Le sol nourrit la plante, qui nourrit le bétail, lequel à son tour nourrit le sol par les engrais. Revenir à cette conception, ou du moins empêcher (puisqu'il en est encore temps en. France) que s'étende la notion d'une technicité exagérée, c'est la tâche de demain. Une nation n'est saine que si elle s'appuie sur une paysannerie vigoureuse, et cette paysannerie ne reste forte que si, vivant au contact de la nature, elle ne la violente pas par des moyens chimiques et des techniques industrielles, mais se plie à ses rythmes et sait les aimer.
Le peu que l'on dit ici de ces nécessités, suffira à montrer que le problème agricole doit étre traité avec un soin tout particulier et que les solutions à apporter à celui du salariat industriel ne lui conviennent pas.
Ajoutons que le plus urgent pour le monde agricole n'est pas tant un problème social qu'un problème de revalorisation, nous pensons ici à la situation du temps de paix et pas aux prix actuels. Le cultivateur des moyens et petits organismes qu'il s'agit de maintenir dans certaines régions et de créer dans d'autres, n'est pas un prolétaire. Il ne s'agit pas de changer sa condition qui est moralement saine et digne, mais de lui permettre sans quitter la terre de participer aux bienfaits de la civilisation, en particulier au point de vue logement. Les statuts du monde agricole ne doivent pas subir de révolution, ils ne doivent être modifiés que progressivement avec sagesse et prudence.


ORDRE CULTUREL
Cet ordre est compétent partout où se manifestent les facultés individuelles, physiques ou spirituelles des personnes qui composent la nation, hommes ou femmes, jeunes ou vieux.
Si l'ordre politique dirige et sauvegarde les relations qui se nouent d'homme à homme, si l'ordre économique organise et anime les rapports de l'homme avec le monde matériel qui le nourrit, l'ordre culturel ne connaît que l'épanouissement des individualités.
Si l'ordre politique est construit sur le modèle d'un Etat chargé d'administrer et de faire respecter la loi, si l'ordre économique est formé d'une juxtaposition d'associations professionnelles ou spécialisées, l'ordre culturel s'exprime par le moyen de collèges élus par des personnes compétentes dans leur activité culturelle.
Si l'ordre politique se sert d'une armature hiérarchique pour mieux garantir l'égalité, si l'ordre économique a pour principe une fraternité d'intérêts, l'ordre culturel s'édifie sur une somme de libertés.
La structure de cet ordre est basée sur l'activité des collèges régionaux de la culture (Nous avons vu qu'ils fonctionnaient dans le cadre des provinces). Ces collèges choisissent dans leur sein des personnalités qualifiées pour composer les sept collèges nationaux chargés chacun de veiller à une catégorie particulière des besoins essentiels et permanents du pays. Ce sont : les beaux-arts, les cultes, la santé, la famille, la tradition, la pédagogie, les recherches scientifiques. A leur tour, ces sept collèges nationaux forment un Conseil supérieur qui possède son recteur responsable de ces actes devant ledit Conseil et le Chef de l'Etat. Ce Conseil supérieur constitue une sorte de Conseil des sages et des anciens. C'est ce Conseil qui gère véritablement les richesses culturelles de la patrie.

L'ordre culturel tire ses ressources d'une partie de l'impôt qui lui est reversée par le ministère des Finances de l'ordre politique, des héritages qui font retour à la collectivité, des dons et legs qu'il a qualité pour recevoir. Il possède son propre ministère des Finances qui gère les dépenses des établissements et activités de l'ordre : hôpitaux, écoles, musées etc...
Les richesses culturelles de la patrie ont été trop souvent délaissées jusqu'ici, ou tout au moins laissées aux mains d'administrations diverses entre lesquelles n'existe pas toujours l'harmonie désirable, et qui n'étudient les problèmes généraux que sous l'angle de leur préoccupation limitée, ou par le biais de leurs spécialisations.
Un Etat qui veut préparer l'avenir du peuple dans la conscience éveillée de son passé et de sa mission, se doit de posséder cet organisme culturel pour maintenir le patrimoine spirituel de la nation, patrimoine dont l'Instruction publique et les Beaux-Arts ne sont que l'un des aspects. La formation des maîtres, le culte des arts sont à compléter par l'éducation civique du peuple et par la préparation des élites. L'organisation de fêtes rurales, de cérémonies populaires, de solennités grandioses, l'éveil de nouvelles impulsions dans les Eglises, un accord profond et permanent entre tous les éducateurs, ceux de l'esprit et de l'âme comme ceux du corps, ces moyens parmi beaucoup d'autres sont indispensables pour mener cette tâche à bonne fin, et c'est le rôle de ce Conseil supérieur de trouver ces moyens et de les appliquer dans l'indépendance fonctionnelle qui doit lui être laissée.
Une nation a une âme, cette âme est le fruit d'un long passé vécu en commun par les générations des aïeux. Elle vivait jadis dans sa plénitude parce qu'elle participait davantage aux grandes émotions religieuses et aux rythmes de la nature. Mais elle s'effrite rapidement au contact de la civilisation mécanique et s'étiole sous les coups d'une technique brutale.
A cette âme il faut des soins attentifs et minutieux, sans quoi elle risque de périr tout à fait. Devant l'absence des mesures appropriées, ou dans la confusion de celles qui ont été prises au hasard, et sans dessein largement préconçu, peut-être même parfois avec le dessein de lui nuire, elle a déjà péri. Il est temps de réagir.
Pour la vivifier, une science nouvelle est nécessaire que l'on pourrait désigner du nom de parapolitique; sa tâche serait d'étudier les moyens propres à donner au citoyen la connaissance vivante de son individualité, des rapports de sa personne avec la société au sein de laquelle s'écoule son existence, de la nature de l'être collectif que constitue une nation, des missions qui incombent à l'homme comme à l'Etat. Cette science-là ne peut être fondée, enseignée et appliquée, que par les organismes culturels que l'on propose ici, car ils sont le grand régulérateur des destinées du pays.
A propos de culturel, notons en passant une idée qui nous est chère, celle de la décentralisation des internats qui devront quitter les villes pour trouver en pleine campagne une atmosphère physique et morale autrement plus saine. De nombreux châteaux trop vastes pour que leurs propriétaires puissent les garder, et qui sont déjà souvent à la charge de l'Etat comme monuments historiques, fourniraient un cadre tout trouvé pour préparer la grandeur à venir à l'ombre du passé.


L'ÉTAT

Les trois ordres que nous venons d'esquisser, sont placés sous le contrôle et l'autorité du Chef de l'Etat. Celui-ci contrôle et harmonise leurs efforts, arbitre leurs différends. Il n'a pour cela autour de lui que quelques secrétariats d'Etat indispensables aux liaisons qui s'établissent entre lui et les trois ordres. En plus d'un secrétariat particulier il n'y a donc à envisager qu'un secrétariat d'Etat à la politique, un à l'économique et un à la culture.
Il va de soi qu'à l'origine d'une rénovation comme celle qui est brièvement présentée ici, les assemblées, associations et collèges, du moins ceux du plan supérieur, auraient à être composés par le Chef de l'Etat. A leur tour ils désigneraient les membres des groupements inférieurs; ce n'est qu'au bout de quelques années, lorsque la vie des trois ordres aurait fourni l'expérience nécessaire, que les choix seraient faits par l'élection et par les mandants.
Notre schéma d'une organisation vivante de la nation est valable pour une république ou une monarchie. Le Chef de l'Etat peut être un Président régulièrement nommé par les conseils supérieurs des trois ordres. (comme nous l'avons supposé) tout aussi bien qu'un dictateur auquel le peuple remet temporairement la charge de diriger le pays dans des circonstances graves, ou qu'un souverain héréditaire.


CONCLUSION
La structure que nous présentons ici soulèvera certainement des objections de la part du lecteur. Nous savons que cet exposé est incomplet, il ne peut en être autrement dans une étude aussi courte. Nous espérons cependant avoir montré clairement que la tripartition est possible et de quelle façon on peut la réaliser.
Nous sommes entrés dans les détails pour les statuts de l'entreprise parce que ceux-ci sont primordiaux et que si l'association n'est pas solidement établie dès le premier échelon de la vie économique, tout l'édifice s'écroule. Au contraire nous n'avons traité que sommairement le chapitre de l'impôt en n'indiquant que les grandes lignes de son prélèvement, les modalités restent à fixer. Enfin nous avons laissé complètement de côté des questions importantes comme l'héritage ou la monnaie parce qu'elles n'ont pas de lien direct avec l'établissement de la Constitution et peuvent être modifiées après coup.
A l'ouvrier qui ayant lu ces lignes dira :
« Ce n'est pas là
« le changement complet que nous voulons »
je répondrai :
« la modification est beaucoup plus profonde qu'elle n'en a
« l'air au premier abord, elle vous apportera une vie beau
« coup plus heureuse et plus digne que le collectivisme ne
« peut le faire. Les nouveaux statuts de l'entreprise y éta
« blissent une association réelle et profonde. Si l'affaire où
« vous travaillez est prospère, par le jeu des répartitions sous
« forme d'actions nouvelles vous deviendrez actionnaire à
« votre tour. Même sans cela vous aurez à l'assemblée gêné
« rale une voix égale à celle d'un actionnaire. Vous prendrez
« ainsi la place qui vous est due dans le cycle économique
« sans pour cela avoir à sacrifier votre liberté spirituelle, ce
« qui est inévitable dans un régime collectiviste. La limita
« tion draconienne à deux, ou un conseil d'administration
« par individu, l'interdiction à toute personne morale
« (société) de posséder des actions d'autres entreprises sup
« priment radicalement la main mise de la finance sur l'indus
« trie. Si vous voulez que nous parlions le langage de 1936 :
« c'est la disparition des deux cents familles. C'est aussi la
« fin de l'exploitation du travail par le capital, exploitation
« qui avec le collectivisme ne ferait que prendre une forme
« nouvelle plus tyrannique que toute autre, par l'État, capi
« taliste tout-puissant dont les décisions seraient sans appel ».


Au capitaliste ou au financier qui refuse la tripartition parce qu'elle diminue ses revenus et surtout sa puissance, nous dirons :
« certes c'est la suppression des très gros reve
« nus. Plus d'accumulations de conseils d'administration.
« Plus de ces participations dont l'enchevêtrement fait per
« dre aux dirigeants de l'industrie la notion de leur rôle véri
« table. Mais ce n'est que justice, et du reste, ou vous accep
« terez cette mesure généreuse qui vous permettra cependant
« de conserver une vie agréable et libre, ou vous serez balayés
« par un cataclysme qui détruira, en même temps que vous,
« tout ce qui dans la bourgeoisie représente encore l'élite du
« pays ».

 

BARNÉOUD FRÈRES ET C'•
Imprimeurs 31.0566
Laval (Mayenne)
N• iga — 1-1945