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Markus Osterrieder : un monde en révolution

Tournant d’époque – première Guerre mondiale
Au sujet de l’œuvre de Markus Osterrieder : « Un monde en révolution. Problème des nationalités, planifications d’ordre  et l’attitude de Rudolf Steiner dans la première Guerre mondiale. »
C.Strawe

Sozialimpulse 3/2014. (Traduction Daniel Kmiecik)

Les connaisseurs attendaient depuis longtemps et avec une grande impatience cet ouvrage, paru en mai dernier, de l’historien munichois Markus Osterrieder, tout particulièrement aussi au sujet de l’attitude de Rudolf Steiner dans cet événement.
Osterrieder est né en 1961, il étudia outre l’histoire, la slavistique et la science politique, fut ensuite actif de longues années durant, après sa thèse, à l’Institut d’Europe de l’Est de Munich et est aujourd’hui journaliste et conférencier dans de nombreux pays [C’est un francophone excellentissime !!! ndt]. Le thème Est-Ouest le préoccupe tout particulièrement, au sujet duquel il a aussi créé un site :www.celtoslavica.de

Osterrieder a été amené à composer cet œuvre d’une profondeur digne d’admiration, en un laps de temps de 14 années : l’ouvrage comprend 1700 pages, s’appuie sur plus de 1000 références-sources issues de 10 langues différentes, rien que la liste des personnes citées occupe à elle seule  trente pages !

Dans l’introduction, l’auteur esquisse les termes décisifs de la question posée pour lui. Il voit en effet R. Steiner en ligne directe avec des tendances plus récentes de la recherche historique : « En tant que contemporain des années de guerre, Rudolf Steiner fut déjà à cet égard étonnamment « moderne » pour son temps, pour l’exprimer cela plus mal que juste au moyen d’une formule à la mode. Il s’engagea bel et bien avec véhémence  et à juste titre contre la propagande, qui circula dès la fin de 1914, d’une Allemagne « seule fautive » de cette guerre et renvoya à l’occasion sans cesse aux arrières-plans et contextes, qui devraient contribuer à une compréhension plus profonde de l’événement. L’art et la manière dont il le fit, en public ou bien dans ses conférences internes, mais aussi dans ses publications, précisément dans ces mois de septembre 1914 à la fin de 1915, sonnent pour le jugement actuel — pour le coup au travers des lunettes de l’expérience historique de 1933 à 1945, souvent d’une manière apologétique voire nationaliste, avant tout si on extraient justement ses déclarations du contexte strict de la situation dont elles sont nées. Le présent travail tente de montrer quelques points de vue sur la raison pour laquelle cela rend à peine justice à l’attitude et à l’intention de Rudolf Steiner. » (Toutes les citations proviennent de l’introduction, C.S.)

Osterrieder veut explorer à l’occasion, avant toute chose, les « représentations d’ordre », « qui furent en partie les causes déclenchantes de la guerre ou bien qui ont surgi seulement pendant la guerre mondiale », ainsi que  suivre l’interrogation : « Dans quelle mesure une vision suprasensible du monde et de l’être humain, afflua dans les motivations des porteurs de décisions politiques » (ebenda, C.S.)

Cela se produit en deux parties. La première partie traite de « la question des nationalités en Europe centrale et la voie menant dans la guerre mondiale » en six chapitres : espace pluri-ethnique et apatridie / De l’humanité à la nationalité / Le « printemps des peuples » dans la monarchie habsbourgeoise / Dans « le sous-sol occulte » / Le chemin vers Sarajevo / Des alliances sur la voie de la guerre.

La seconde comprend cinq chapitres : « The Englisgh-speaking Idea [L’idée de parler anglais]/ La lutte autour de « l’Europe centrale » / Le révolutionnement des nationalités / L’année 1917 et le commencement de l’ordre mondial bi-polaire / La révolution inachevée. Suit une partie conclusive : « L’appel envers le centre englouti ».

La présentation d’Osterrieder et son exploitation de matériaux à peine connus, devraient ouvrir, pour maints connaisseurs de la matière, de nouveaux aperçus abasourdissants. Ce qui se trouve en digression dans la suite de l’article ci-après et qui ne peut que signaler des malentendus relatifs à l’attitude de R. Steiner pendant la guerre, est parfaitement étayé, prouvé et argumenté de manière bien plus étendue dans l’ouvrage d’Osterrieder. Deviennent aussi visibles à quel moment et dans quelle mesure l’attitude de Steiner s’est transformée ou a continué d’évoluer, selon le cas.
(On aurait souhaité, sans doute, qu’à l’occasion, le travail pionnier de Christoph Lindenberg y fût plus fortement intégré. Ainsi la poursuite de ce débat critique contigu sur des aspects isolés de l’attitude de Steiner, au sujet de la guerre mondiale, eu égard aux mésinterprétations et à la mésinterprétabilité des faits , en reste ainsi coincé à l’état d’amorce. C.S.)

Le lecteur de Sozialimpulse  s’intéressera particulièrement à la contribution, que produit Osterrieder à l’histoire du mouvement de la Dreigliederung. Il faut désigner ici avant tout le volumineux traitement des mémorandums de 1917 et de l’action-Haute-Silésie de 1920. Et aussi la tentative de Steiner, au moyen de l’édition des mémoires de Moltke, de prendre de l’influence sur les négociations du traité de Versailles et son échec tragique devient compréhensible au moyen de l’exposition qu’en fait Osterrieder, tout comme la situation des motifs qui murent Steiner, en 1916, à s’efforcer de mettre en place un bureau de presse à Zurich — ce qui pareillement rata. Du plus grand intérêt est aussi la présentation de concept prégnant d’efficacité ,tel que celui de la « synarchie », qui semble ressembler, à première vue, à la Dreigliederung sociale, mais  à y regarder de plus près, n’en est nonobstant qu’une contre-image.

Que l’ouvrage d’Osterrieder serait fortement dénigrés de quelques-uns, il ne fallait pas s’y attendre autrement. Cela se produisit, par exemple, dans une plus longue recension de client d’Amazon. Il se peut qu’on dise qu’une critique de ce genre possède scientifiquement peu d’importance. Mais il serait fatal que de telles attaques contribuassent à ce qu’on n’en vînt plus du tout d’abord à la confrontation scientifique d’avec les thèses d’Osterrieder, qu’une telle oeuvre mérite à tous les points de vue. Un tel propos scientifique servirait la découverte de la vérité historique et il est donc à espérer pour cette raison. Précisément sur les points les plus scabreux, par exemple celui de la prise d’influence d’un « sous-sol occulte », lors d’aiguillages de décisions importantes, l’ouvrage offre une abondance de matériau, sur l’évaluation duquel on peut éventuellement encore se disputer, mais qu’en tant que tel une recherche historique consciencieuse n’est plus autorisée à ignorer.

Aujourd’hui, dans une époque de menaces sur la paix, on parle beaucoup de la leçon donnée par la première Guerre mondiale. Osterrieder constate ce faisant, dans une interview à l’agence de presse NNA, du 1er mars 2014, que jusqu’à aujourd’hui, l’enseignement nécessaire n’a pas été tiré : « On a épouvantablement peu appris des événements des années allant de 1912 à 1922 […], en ce qui concerne les plus profondes prémisses de conception du monde et de politique de pouvoir qui devaient irrépressiblement déboucher dans une guerre. « La culture d’une vraie vie de l’esprit », exhortée par Rudolf Steiner, n’a pas eu lieu. Bien au contraire. Ce n’est pas sans raison que tant de personnalités de la politique et de l’économie évoquent une répétition de la situation de 1914 dans le temps présent (à l’intérieur de l’UE, mais aussi en Extrême Orient).  Et c’est véritablement bouleversant, parce qu’elles constatent ainsi par là même avec cela une déclaration de banqueroute du système politico-économique actuel. »
(www.nna-news.org/de/nachrichten/artikel/historiker-osterrieder-forschung-zum-ersten-weltkrieg-richtet-sich-auch-nach-zeitgenossischen-trend/ C.S.)
Avec cela, tout est dit en même temps sur le caractère d’actualité que présente cette œuvre.

Qu’on ne se laisse absolument pas épouvanter pourtant d’en faire l’acquisition face à l’ampleur d’un tel opus magnum : cette oeuvre est rédigée de manière telle que l’on peut en étudier avec profit chaque chapitre isolément, et en tant qu’ouvrage de références, elle rendra les plus grands services à tout un chacun qui voudrait se confronter intensément avec la situation du contexte de la Dreigliederung d’avec l’époque de la première Guerre mondiale et cela en rapport avec nos problèmes actuels.

Osterrieder, Markus : Welt im Umbruch. Nationalitätenfrage. Ordnungspläne und Rudolf Steiners Haltung im Ersten Weltkrieg [Un monde en révolution. Problème des nationalités. Planifications d’ordre et L’attitude de Rudolf Steiner dans la première Guerre mondiale] , Éditions Freies Geistesleben Stuttgart 2014 [ISBN : 978-3-7725-2600-83), 1754 pages, 79 €.


Digression : malentendus funestes
Les initiatives de la Dreigliederung de Rudolf Steiner étaient et sont toujours exposées à des malentendus.( 1 ) Du vivant de Rudolf Steiner, il y eut, comme déjà dit, des attaques massives de la part de la droite. Au sein de la communauté anthroposophique même, il n’y eut pas seulement de la réserve à l’égard du mouvement de la Dreigliederung [et il y en a encore, spécialement chez les anthroposophes très réservés sur la question de la démocratie surtout, par exemple, qui fait qu’on passe toujours sous silence dans ce milieu un ouvrage aussi excellent que celui de Jos Verhulst et Arjen Nijeboer sur la Démocratie directe, ndt], elle fut souvent mal comprise, y compris même chez ses partisans. Ainsi Steiner se plaint-il qu’on n’ait pas pris, dans son ouvrage paru en avril 1919, Les points essentiels de la question sociale, les exemples qui illustrent la cause( 2 ) et qu’on ait méconnu qu’il s’agît là d’un ouvrage de volonté [en fait de « il avait mis ses tripes la rédaction de cet ouvrage» ! ndt] et de cœur.( 3 )
Des méprises aggravantes jaillirent en particulier des déclarations de Steiner au sujet de la question de la culpabilité de la guerre et sur le rôle des Allemands, ou selon le cas, de la culture de l’Europe centrale, des méprises qui menèrent, dans une partie qui n’est pas insignifiante des Anthroposophes, à une sous-estimation en 1933, voire même fréquemment, en effet, à un soutien au national-socialisme.

Aussi justifiée qu’est l’exigence d’en rechercher les raisons, quant à la manière dont cela se produisit et si Steiner n’a pas lui-même donner lieu aussi à des mésinterprétations, on doit tout aussi nettement insister sur le fait que Steiner s’est inlassablement exprimé et engagé contre les nationalisme, chauvinisme, militarisme et idée d’un État tout puissant.( 4 ) L’intervention de Steiner contre la thèse de la seule culpabilité concernant les puissances centrales ne signifie en rien, qu’il les eût déclarées non coupables. Au contraire, sa critique de l’attitude irresponsable de Berlin et Vienne devient en tout cas de plus en plus vive au fur et à mesure de la guerre.

Des malentendus provinrent dans ce contexte des déclarations contenues dans ce qu’on a appelé les « Considérations d’histoire contemporaines »( 5 ) sur l’action d’un soubassement occulte lors de l’évolution prise par les plans d’ordre mondiale et les buts de guerre de la triple-Entente. Avec des imaginations de complot paranoïaques et spéculatives, qui prennent des allures de théories, non seulement beaucoup de confusion peut être fondée, comme l’expérience l’enseigne, mais au contraire aussi beaucoup d’abus peuvent être fomentés. Précisément du fait qu’il en est bien ainsi, c’est devenu une stratégie de diffamation affectionnée reposant sur l’empirie et la recherche des investigations quant à l’efficacité de réseaux tentant de prendre de l’influence dans le monde, de ce placer ainsi sous l’angle de la « théorie de la conspiration ». Des déclarations de Steiner sont interprétées de cette façon aussi. Lui-même se référa pourtant foncièrement aux détails empiriques, qui, au moyen de nouvelles recherches, comme celles de M. Osterrieder, ont encore été complétées. Sur l’évaluation de ces détails, et aussi sur la faculté de production et les limites du caractère symptomatologique des considérations, fréquemment appliqué par Steiner, on peut bien entendu  débattre, la manière même de Steiner, cependant, d’approcher et de circonscrire les faits, ne peut pas en tout cas être abrogée comme simplement spéculative et non critique.

Qu’ici à l’occasion, quelque attention soit consacrée à la franc-maçonnerie de haut grade, selon moi, cela n’a rien à faire avec une suspicion générale à l’encontre de la franc-maçonnerie. Steiner estimait absolument hautement la franc-maçonnerie en tant que mouvement général, quand bien même, eu égard au sujet des publications de connaissances occultes, il tomba à bras raccourcis sur une orientation qui n’est pas majoritaire au sein de la franc-maçonnerie. [Quoi qu’il en soit à la différence des Anthroposophes, les Francs-Maçons s’entraident et ne se combattent pas entre eux, ndt]. La fixation sur la règle de l’attitude au secret et à la complexité, ainsi que l’absence de transparence des structures de la franc-maçonnerie de haut grade anglaise et française, firent de celles-ci cependant un terrain approprié aux réseaux, par lesquels des stratégies de pouvoir pouvaient être suivies. Dans une mesure particulière, cela semble avoir été le cas pour la franc-maçonnerie anglaise. À l’occasion de telles stratégies jouèrent — et jouent encore éventuellement un rôle —, outre le ciblage d’objectifs politiques et économiques placés au premier plan, des concepts préparés à longue échéance, reposant sur des représentations occultement fondées du rôle historique mondial de peuples particuliers, — par exemple l’anglo-saxonnisme, en tant que vertu directrice du présent et le slavisme en tant que vertu d’avenir, sur lequel est à réaliser une prise d’influence au sens anglo-saxon de la cause. Vu ainsi, un rôle autonome de l’Europe centrale apparaissait comme un facteur perturbant. Il se rencontre aussi jusqu’à aujourd’hui, dans le bien idéel de tels cercles, des contre-images actives de la Dreigliederung, telle que le concept de « synarchie ».( 6 )

On ne s’aperçoit pas fréquemment que des déclarations de Rudolf Steiner au sujet de ce thème complexe étaient moins pensées comme une critique à l’égard de la politique de la triple Entente, mais bien plus, au contraire, en tant que critique de l’ignorance et de l’absence d’imagination des élites politiques de l’Europe centrale et de leur absence de regard sur les arrières-plans spirituels. À ces malentendus a aussi contribué le fait concret que R. Steiner ait donné sa contribution en rédigeant la préface d’un ouvrage spéculatif de théorie de la conspiration — pris en considération par la suite et instrumentalisé par les nazis —  « Entente de franc-maçonnerie et guerre mondiale » de Karl Heise.( 7 ) Quand bien même le contenu de celle-ci, peut être considéré comme une prise de distance diplomatique restreinte par des clauses de Heise, ou selon le cas, en tant que relativisation des thèses de celui-ci, il n’en reste pas moins que ce fait même a favorisé cette confusion. Étant donné que Heise se considérait élève de R. Steiner et voulait en ramasser au passage les « considérations d’histoire contemporaine », celui-ci se vit manifestement dans une configuration humaine sociale forcée, au sujet de laquelle il pensa ne pas pouvoir échapper à la demande de Heise d’une préface et d’une contribution financière pour l’impression de son ouvrage.

L’entre deux guerres
En 1922, l’initiative de Dreigliederung de l’époque fut brisée. Steiner place alors dans son activité d’autres points essentiels, tout en posant en même temps les bases d’un nouveau mouvement de Dreigliederung au moyen de la tentative de fonder une nouvelle science économie (NÖK).

Le développement de l’ensemble de la politique d’entre les deux guerre conduit à une « éclipse de Soleil » (Arthur Köstler) spirituelle et sociale : sur la Russie commence à s’étendre l’Archipel du goulag, le stalinisme déploie sa terreur. En 1922, le fascisme triomphe en Italie ; en 1933, le national-socialisme arrive au pouvoir en Allemagne [légalement par les urnes, ndt]. La déclaration de R. Steiner, qu’en 1933, la bête sortirait de l’abîme( 8 ), s’avère prophétique. L’échec de la tentative de dissoudre des condensations de pouvoir, libère l’espace aux structures du pouvoir totalitaire d’une inhumanité qui n’avait jamais existé jusque là. L’humanité est précipité par les nazis dans l’horreur d’une nouvelle guerre mondiale.

L’actualité de la Dreigliederung sociale
Si la dissolution à temps des structures de pouvoir non conformes à l’époque avait réussi, l’évolution ultérieure eût pris assurément un autre cours.( 9 ) Étant donné qu’on n’y parvint pas à l’époque, des problèmes largement non résolus, non reconnus ou bien refoulés, continuent de presser en surface maintenant comme auparavant — malgré la libération du fascisme réussie en 1945 et malgré la fin du conflit Est-Ouest en 1989 — en partie chargés en plus d’une nouvelle substance conflictuelle, révélant en partie de nouvelles formes d’apparition, car les processus décrits d’individualisation, globalisation et de remise en place de l’État ont naturellement continué à se développer. Dans cette mesure, la nécessité de la Dreigliederung sociale a encore gagné en actualité. En 1945 et 1989 renaquit le rêve d’un monde, dans lequel les êtres humains et les peuples vivraient ensemble et en paix. La réalité semble, comme avant, totalement autre. Même en Europe, où l’inimité héréditaire prit fin, nous éprouvons combien s’enflamment aisément la haine et la discorde.

Le conflit en Ukraine en est un exemple. L’Europe, les Américains, mais aussi les Russes, se comportent aujourd’hui de nouveau comme des somnambules, ainsi l’ex-chancelier fédéral Helmut Schmidt, dans une interview, le 16 mai dernier, le dit : « Le danger que la situation s’aggrave, comme en août 1914, croît de jour en jour ». Certes, jusqu’à aujourd’hui le pire n’est pas arrivé, peut-être est-ce aussi parce que les adversaires géopolitiques se parlent entre eux aujourd’hui, plus qu’en 1914, au sens d’une gestion de conflit, censée limiter et empêcher le risque que l’évolution échappe à tout contrôle. En ce qui concerne l’accumulation de matière explosive, on peut à peine contredire le vieux chancelier. Ce danger est comme  saisissable à pleines mains, étant donné que  l’idée du nationalisme et celle de l’État et des intérêts économiques s’amalgament, en semant le désaccord parmi les êtres humains. Si le problème n’est pas résolu du comment on peut vivre en paix sur un même territoire, le danger existe de nouveau que des conflits de cette sorte soient mis à profit pour des intérêts égoïstes, que tout dialogue cesse et que les armes commencent à parler. Certes on n’en est pas arrivés jusqu’à présent à une autre guerre mondiale, mais à une multitude de guerres et de conflits locaux : en Syrie, au Soudan, au Congo, en Ukraine, à Gaza et en Irak — à l’occasion de  quoi, outre ceux ethniques, les conflits religieux jouent le rôle principal. Pourtant aussi des tracés de frontières arbitraires, qui se produisirent à l’issue de la première Guerre mondiale, continuent d’y jouer un rôle [Par exemple les Kurdes sacrifiés en ce moment pour assurer la stabilité du reste de l’Empire ottoman… ndt]. L’avancée du Daesh est en même temps la banqueroute de la puissance mondiale des USA. Avec la guerre de Gaza, le conflit israélo-palestinien connaît de nouveau une escalade, une expression du fait concret de ne pas être parvenu à créer des formes sociales dans lesquelles différents groupes humains puissent vivre en paix ensemble sur un même territoire.

Comme avant, faim et misère règnent dans de vastes parties du monde — en dépit du progrès puissant de la productivité économique. Crise financière, crise d’endettement étatique, crise démocratique, crise d’environnement, crise d’énergie, crise du système d’assurance sociale — dans toutes ces crises, si l’on fouille assez profondément, on rencontre au fond la question du comment se développent les formes de la vie sociale les unes avec les autres adaptées à notre époque. Nous vivons dans un « monde déséquilibré », dans lequel les champs de la vie sociétale se développent sans correspondre à la légitimité propre à leurs lois et sans pouvoir être reconfigurés par les êtres humains, au contraire, car la vie d’un domaine empiète sur les autres d’une manière nuisible et cela en méprisant l’émancipation des êtres humains. La confusion est partout : l’État ne laisse pas la vie culturelle en venir à son réel déploiement autonome, en même temps que se renforce la détermination singulière de la culture par l’économie : « Aujourd’hui cela va de soi que le système éducatif appartienne au complexe de l’économie, du fait qu’il est précisément nécessaire de préparer des êtres humains pour l’économie comme des biens matériels et des machines. Le système éducatif se trouve à présent  équivalent aux autoroutes, aux aciéries et usines d’engrais artificiels », comme le formulait en 1966, un texte de l’OCDE.( 10 ) « Consolidation des standards et non pas développement humain, voilà ce qui se trouve au centre de l’éducation et de la formation.
Comme en connexion avec la question de l’autodétermination des nations, déjà signalée, une autonomie culturelle insuffisante joue un rôle funeste pour les minorités, tout en haut pour l’individu, en tant que plus petite minorité, lors des conflits autour de l’appartenance étatique et les frontières de l’État. En connexion avec le référendum écossais, Eckhard Behrens remarque à ce propos : « Si l’habitude persiste que l’État s’immisce dans toutes les affaires privées économiques et culturelles, alors on veut obtenir la majorité dans l’État de droit et décider avec son aide comment l’on devrait vivre. Si l’État, au sens de la Dreigliederung de l’organisme social se tient en dehors de la gouvernance des intérêts  économiques et culturelles, et ne met en place, pour ces activité, que le cadre juridique nécessaire, alors ses frontières sont secondaires, parce que dans ces domaines, il tolère au niveau mondial le travail en commun des question économiques et culturelles. »( 11 )le, mais au contraire veulent comme auparavant donner des directives stratégiques et de contenus, ne sont pas en situation en même temps de se soustraire à la pression extorqueuse d’une économie gouvernée par le profit et le marché financier ni, selon le cas, de lui  imposer des limites. Bien au contraire : les États développent et protègent le droit de propriété, qui non seulement rend possible ces évolutions erronées de l’économie, mais au contraire les favorise. Que soient achetables non seulement des denrées et des prestations de services, mais plus encore des droits de disposition et d’usage — entreprises et participations d’entreprise, capitaux financiers, biens-fonds, comme le travail — , c’est là une cause essentielle de l’inégalité sociale sur notre planète. En dépit de tous les progrès en détail et en gros des tâches fondamentales de la Dreigliederung, comme l’égalité pour la vie juridique et la fraternité pour la vie économique, ne sont pas réellement solutionnées.

Comment une résonance plus importante peut naître pour l’idée de la Dreigliederung ?
Il persiste un énorme besoin d’action. Partout, par le développement sociétal, la Dreigliederung est prédisposée, tandis qu’en même temps, des institutions de la société et des formes idéelles empêchent de tirer les conséquences nécessaires d’un tel fait. Il en résulte de plus en plus l’opinion exprimée que la Dreigliederung a « échoué ». C’est nonobstant une manière de voir trop simple. Une observation différenciée de l’histoire de l’efficience de la Dreigliederung, après 1945, fournit la preuve que maintes choses ont été foncièrement mais partiellement atteintes, quand bien même les grandes tâches du mouvement de la Dreigliederung soient encore irrésolues comme avant.

Dans l’évolution globale de la société, il existe aussi des aspects positifs ; la loi fondamentale allemande [deutsche Grundgesetz], par exemple, indique une certaine perméabilité pour l’impulsion de la Dreigliederung : des formes d’États totalitaires dans l’Est et dans le Centre de l’Europe ont été surmontées. Des institutions et initiatives individuelles sur les champs économique, culturel ou politique sont actives au sens de la Dreigliederung ou bien de certains de ses éléments.( 12 )

On gagnerait beaucoup si l’impulsion de la Dreigliederung rencontrait une plus grande résonance dans une majorité critique des êtres humains, par exemple si ses idées commençaient à jouer un rôle plus grand. Une abondance de tâches attendent d’être empoignées. Ce n’est pas le plus insignifiant de vaincre les obstacles qui nous empêchent, au sein du mouvement, d’unir nos forces plus efficacement. L’Institut pour les problèmes actuels de Stuttgart e.V. et l’initiative réseau Dreigliederung proposent pour cette raison un colloque avec l’objectif de discuter ensemble des questions ouvertes de la Dreigliederung sociale. Il doit s’agir de tâches « idéelles primordiales et pratiques, points d’accès et controverses » (voir la p.43 de ce numéro). À cet effet, soyez encore une fois invités de tout cœur.


( 1 ) Un exemple en est la recension d’Helmut Zanders ; voir mon article : La méprise d’Helmut Zander sur la Dreigliederung, dans Sozialimpulse 4/2007, pp.5-15. [non traduit ne français, ndt].

( 2 ) La réalité des mondes supérieurs, 8 conférence à Oslo 1921, GA 79, Dornach 1988, pp.241 et suiv.

( 3 )Les vertus fondamentales d’esprit et d’âme de l’art d’éduquer, 12 conférences, Oxford 1922, GA 305, Dornach 1991, p.222.

( 4 ) D’innombrables preuves dans l’ouvrage d’Osterrieder, à l’endroit cité précédemment.

( 5 ) Conférences de 1916/17, GA 173a,b,c,d, L’édition de ces quatre volumes fut soigneusement et complètement retravaillée par Alexander Lüscher avec l’aide, entre autres, de Markus Osterrieder.

( 6 ) Voir Osterrieder,  l’endroit cité précédemment, pp.341 et suiv. et 446 et suiv.

( 7 ) Plus de détails : Osterrieder, à l’endroit cité précédemment, pp.1286 et suiv.

( 8 ) R. Steiner : Apocalypse et action des prêtres, Dornach 1995, GA 346. conférence du 20 septembre 1924.

( 9 ) Contre un éventuel reproche que de telles affirmations seraient purement spéculatives, il est permis de renvoyer aussi au corps de métier des historiens parmi lesquels aussi  « l’exploration d’une histoire alternative » commence à devenir présentable. (Voir Peter Maxwill : Investigation alternative de l’histoire. Au moment où Hitler remporta la guerre. Der Spiegel, 22.12.2013 [cela nous fait un « belle jambe » ! Cela fait penser à Lapalisse : « une heure avant sa mort, il vivait encore ! » Un peu de décence pour  les millions de morts impliqués s’il vous plaît ! ndt] (Voir aussi : www.spiegel.de/einestages/forschung-ueber-alternativegeschichte-als-hitler-den-krieg-gewann-a-951407.html). L’article se réfère en particulier aux « recherches » [guillemets du traducteur, ndt]de Karlheinz Steinmüller, Mark Almond et Alexander Demandt).

( 10 )Croissance économique et dépense de formation. Vienne 1966, 46.

( 11 ) Envoi sur la liste de courriels du séminaire pour l’ordre libéral  du 12.9.2014. Behrens poursuit : « L’UE et tous les États membres font encore l’erreur de tenir trop en tutelle leurs citoyens dans les affaires économiques et culturelles. D’où les forces de répulsion. Les citoyennes recherchent alors leur salut dans de petites unités étatiques au sein desquelles ils peuvent mieux dominer du regard les opinions majoritaires. La conséquence en est l’isolement protectionniste. »

( 12 ) Voir C. Strawe : Impulsion sociale de l’anthroposophie — conditions de naissance et histoire de l’efficience des dispositions du travail de la Dreigliederung  de l’organisme social. Dans  Rahel Uhlenhoff (éditeur) : L’Anthroposophie dans l’histoire et le présent, Berlin édition de  science 2011.