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traduction  BP au 28/01/2021

IX. Der Kommende Tag (Le jour qui vient)


En décembre 1919, dans la salle de la Branche (Landhausstrasse à Stuttgart), Carl Unger, Emil Molt, Emil Leinhas, Ernst Uehli et moi-même discutâmes avec Rudolf Steiner de la possibilité d’une fusion d’entreprises industrielles et d’autres, comme exemple pratique de comportement associatif, à laquelle devaient se joindre le plus grand nombre possible d’entreprises extérieures. L’idée, discutée plusieurs fois au préalable, était liée à la conférence internationale qui avait eu lieu à Dornach le 15 octobre 1919. La conférence de Noël à la Landhausstrasse fut suivie, le 30 décembre, d’une conférence publique portant sur différents thèmes : connaissance de l’esprit comme base de l’action, moralité dans la force de la connaissance et espoir des hommes à partir de la puissance de l’esprit56 1, et, le 31 décembre, de la conférence du Nouvel An pour les membres. La relation de la vie humaine avec le passé et l’avenir, le Nouvel An mondial – la nécessité d’une nouvelle expérience du Christ pour l’humanité57 2. Beaucoup voulurent rester ensemble ce soir-là pour discuter de la sagesse qui leur avait été donnée. Alors qu’une réunion nocturne était prévue pour les membres du comité de la Fédération pour la triarticulation, leurs épouses et d’autres amis se réunirent chez Mme Uehli, où étaient présentes entre autres Mme Leinhas et mon épouse. Parmi les messieurs présents, Albert Steffen et le jeune Friedrich Doldinger, 21 ans, lurent des extraits de leurs poèmes.

La décision devrait être prise dans la nuit du Nouvel An. Rudolf Steiner semble avoir pesé sur la nature du plan, même s’il le traitait avec beaucoup de sérieux et d’humilité. Il fut convenu de choisir pour l’institution de financement la forme d’une société anonyme qui lui serait supérieure, mais il fallait que les anciens propriétaires transmettent les engagements envisagés. Comme dédommagement pour leur renoncement à leur propriété privée, ils reçurent des actions dans la société globale ainsi qu’un revenu fixe pour leur coopération. On ne pensait donc pas seulement à une société fiduciaire, ni à une coopérative, mais à une grande entreprise très ramifiée, qui devait se soutenir mutuellement par la fusion associative des différentes branches. Elle devait aussi inclure des entreprises agricoles. Il était prévu d’utiliser les excédents pour promouvoir les valeurs spirituelles, notamment l’école Waldorf, en pleine expansion, dont les bâtiments et les terrains devaient être financés par les entreprises, car il était prévisible que les fondations d’origine du fondateur ne seraient pas suffisantes. Enfin, on devait créer à Stuttgart une grande maison d’édition, une clinique et des instituts de recherche scientifique.

Lors de la discussion sur le nom du projet, Rudolf Steiner suggéra de choisir un titre qui ferait allusion aux intentions futures. À l’unanimité, nous choisîmes : Der Kommende Tag, Aktiengesellschaft zur Förderung wirtschaftlicher und geistiger Werte (« Le jour qui vient, société par actions pour la promotion des valeurs économiques et spirituelles »). Le capital de départ fut fixé à 300 000 marks. Nous devions initialement obtenir d’autres fonds par le biais de prêts. Les fabricants qui avaient rendu possible la création du Kommende Tag en y apportant leurs entreprises devaient étendre leur responsabilité aux objectifs généraux et former le conseil de surveillance de l’entreprise globale. Il restait à discuter la question de la présidence. Emil Molt, un homme d’affaires expérimenté qui aurait dû siéger au conseil de surveillance même si, à ce moment-là, il ne pouvait pas apporter la fabrique de cigarettes Waldorf-Astoria parce qu’il n’avait pas la majorité absolue du capital social, demanda à Rudolf Steiner s’il était prêt à prendre la présidence. Les cloches du Nouvel An se mirent à sonner au moment où Steiner dit oui. Il y eut un silence pendant lequel tous les participants semblèrent prendre conscience de l’importance de l’heure. Emil Molt était si ému que des larmes coulaient sur ses joues. Mais Rudolf Steiner resta ferme. Peut-être voyait-il déjà les difficultés qui l’attendaient. En tout cas, il ne tint pas compte de la nouvelle année et les autres messieurs aussi se turent obstinément. Ce n’est que lorsqu’ils se séparèrent, vers une heure, que j’osai, en tant que plus jeune participant, présenter mes vœux de bonne année au Dr Steiner. Mais il les ignora totalement. Lui qui dans sa conférence du Nouvel An avait su trouver des mots qui allaient droit au cœur voulut probablement faire la distinction entre questions spirituelles et questions mondaines.

Dans les semaines suivantes, nous dûmes préparer la création de la société. Rudolf Steiner avait déjà donné trois conférences publiques à Bâle les 5, 6 et 7 janvier sur des sujets liés à la science de l’esprit. Il revint à Stuttgart au début du mois de mars. Lors d’une réunion interne, le 11 mars 1920, à la Landhausstrasse, juste avant la fondation du Kommende Tag, il fit notamment les remarques suivantes sur la nécessité pour les entreprises commerciales de financer les valeurs spirituelles :

« Mes chers amis, nous devrons nécessairement nous tourner vers l’économique, car l’économique doit porter notre spirituel. Mais on ne peut pas porter si l’on n’a rien à porter. L’essentiel pour nous sera toujours que le spirituel soit porté. Par exemple, il faut veiller à ce que le spirituel, dans son unité intérieure, puisse réellement se présenter au monde. Ce n’est vraiment pas pour rien que, ces derniers temps, nous avons travaillé dur, notamment l’eurythmie, je dirais, tous les mois, pour aller un peu plus loin et aussi, là où c’était possible, pour la faire connaître au public. Mais il faudrait le faire beaucoup plus souvent. Cela fait également partie de ce qui, dans un autre domaine, se passe à l’école Waldorf. Nous avons besoin d’une telle eurythmée58 3 comme centre d’une activité artistique, nous en avons besoin aussi dans sa représentation par un domaine indépendant. »59 4

La société par actions Der Kommende Tag fut officiellement créée le 23 mars 1920.

Cela signifie qu’une entreprise commerciale non négligeable était établie sur le sol allemand. Nulle part ailleurs l’initiative n’était assez importante pour s’attaquer à des tâches internationales qui n’auraient pas été affectées par l’inflation allemande. Peut-être aurait-il fallu porter le plus rapidement possible le Kommende Tag dans d’autres pays, mais nous n’en eûmes pas la possibilité en si peu de temps. Nous parlerons plus loin de la société Futurum SA, fondée en Suisse le 16 juin 1920.

À Stuttgart, il y avait au moins des gens qui voulaient concrétiser l’idée d’une association. On pouvait donc également s’attendre à ce que certains entrepreneurs soient disposés à unir leurs forces.

La forme externe de la société par actions convenait pour des raisons pratiques, puisque le siège social devait avoir le caractère d’une institution financière, tandis que les entrepreneurs devaient concentrer leur attention sur la gestion de leur entreprise et, au-delà, sur les intérêts mondiaux. Apparemment, ils étaient soulagés du souci de lever des capitaux, car le siège social pouvait réunir l’argent nécessaire à l’emprunt. On pouvait rejeter l’accusation d’être une entreprise capitaliste par le fait que les prêts et les actions ne devaient pas être rémunérés à un taux supérieur à 5 % ; les entrepreneurs étaient au contraire tenus de parvenir à des revenus correspondants pour leurs activités. Ils devaient donc continuer à diriger leurs entreprises, mais aussi étendre leurs intérêts à l’ensemble de l’association. Ils renoncèrent volontairement au droit absolu de disposer de leurs biens antérieurs dans l’espoir de trouver en compensation des tâches et des opportunités bien plus importantes et d’un type différent de celles de l’entreprise globale. Les membres du Conseil de surveillance, en revanche, travaillaient bénévolement.

Rudolf Steiner refusait de rejoindre l’ancienne économie privée capitaliste, qui se dirigeait vers la ruine totale. Selon lui, on ne pouvait s’engager dans de nouvelles formes économiques qu’une fois le capital neutralisé. Dans les usines, les travailleurs devaient être régulièrement informés du contexte économique générale et en particulier de la situation du Kommende Tag. Il n’était pas question que les entrepreneurs se partagent les bénéfices, mais ils conservaient la libre gestion de leur entreprise. En revanche, Rudolf Steiner ne prévoyait pas, au départ, que les ouvriers et les employés aient leur mot à dire. Il avait exposé ses propositions en détail dans les écrits normatifs et laissé aux directeurs le soin de faire la preuve de leur comportement social. En dehors des conférences données aux entreprises, aucune innovation ne fut introduite et le système des salaires restait inchangé jusqu’à nouvel ordre. Dans certaines entreprises, des cours et des leçons d’eurythmie furent toutefois organisés, mais ils restaient facultatifs. Des centres d’apprentissage furent également prévus. Le besoin de liquidités pour les investissements était négocié au sein des conseils de surveillance et d’administration.

Le risque était de retirer aux entreprises des fonds nécessaires à la création de réserves latentes, notamment pour agrandir les installations de stockage des matières premières. Investir dans des réserves de capital était l’affaire du siège social, comme le montrent les bilans, dont les principaux postes sont indiqués ici pour illustrer l’évolution de la société (cf. annexe).

Comme les départements n’étaient pas tous rentables et que certains devaient même compter sur des subventions en capital, il fallut souvent, pour la création et l’expansion de nouveaux instituts de recherche scientifique, faire appel à des fonds provenant des prêts souscrits. Pour la conversion de ces prêts en actions, il était prévu de leur donner 25 fois les droits de vote afin d’assurer le maintien de l’objectif social et idéal de la société.

Comme déjà mentionné, les anciens propriétaires des entreprises qui avaient décidé de coopérer de manière associative apportaient l’ensemble de leur entreprise dans la société par actions et recevaient une part correspondante du capital total. En plus de la direction au sens habituel, ils disposaient d’un siège et d’une voix au conseil de surveillance de l’entreprise globale, c’est-à-dire qu’ils étendaient leur influence sur celle-ci. Comme ils partageaient la responsabilité globale, leur champ d’action s’élargit considérablement et dépassa largement celui de leurs intérêts commerciaux antérieurs. D’un autre côté, ils bénéficièrent du soutien précieux des autres industriels et purent en conséquence coordonner leur production et répartir les risques. L’interaction humaine entre les entrepreneurs et la consultation mutuelle dans des contextes plus larges furent particulièrement bénéfiques. Si l’on considère qu’à côté de l’usine de cigarettes se trouvait une usine de boîtes en carton bien connue, qui recevait la majorité des commandes de cette dernière, cela posait déjà les bases d’autres liens. C’était beaucoup plus difficile pour l’usine de machines-outils Carl Unger, qui devait commencer par rechercher ses clients dans la situation économique stagnante de l’après-guerre, jusqu’à ce que l’économie générale commence à se redresser.

Mais le but de cette coopération était précisément que les secteurs complémentaires du côté des producteurs et des consommateurs convergent et mettent de l’ordre dans la formation sauvage des prix. Autrement dit, il fallait faire intervenir un établissement bancaire destiné à fournir la base financière et à diriger les dépôts privés là où ils seraient avantageusement efficaces.

La nécessité de créer une association s’imposa lorsque d’autres entreprises voulurent rejoindre le noyau existant. Si l’écho avait été suffisant, on aurait pu créer une oasis économique, capable de défier même l’inflation galopante. À l’époque, il existait un assez grand nombre d’entreprises performantes dirigées par des amis anthroposophes qui auraient pu rejoindre l’ensemble de la société au fil du temps. Mais dès le départ étaient prévues d’autres tâches qui devaient être prioritaires au cas où il n’y aurait pas l’écho général attendu.

Il convient de rappeler que la révolution couvait toujours, alimentée non seulement par des éléments socialistes mais aussi par des éléments radicaux de droite, comme le démontra le « putsch de Kapp » en mars 1920, qui avait pour but de renverser le gouvernement de Berlin. Celui-ci se préoccupa de plus en plus des plans de réforme, notamment dans le domaine économique.

Il nomma l’éminent théoricien de l’économie Walter Rathenau pour réorganiser la situation après les désordres. Rathenau développa des idées généreuses, mais qui tendaient fortement vers une économie planifiée. En tant que ministre des affaires étrangères, il conclut d’importants traités avec la Russie. Dans certaines de ses conférences, Rudolf Steiner parla de cet homme important à sa manière, qui fut ensuite assassiné par des antisémites en juin 1922. Cela montre à quel point l’idée d’une association s’agrandissant volontairement était d’actualité à l’époque. Aujourd’hui, on dit trop facilement que le Kommende Tag fut une entreprise incompréhensible, voire irresponsable, dans laquelle le chercheur en science de l’esprit s’était laissé entraîner ; on aurait probablement dû le relever de ces responsabilités plus tôt. Mais cette tentative fut sans aucun doute une grande réussite, comparable seulement à celle d’un autre grand occultiste : le comte de Saint-Germain, qui avait jadis lancé l’importante devise de liberté, d’égalité et de fraternité dans les affres de la Révolution française. Il avait fondé des entreprises industrielles, par exemple des teintureries textiles, et réaménagé les sources d’eau médicinale de Wiesbaden et de Baden-Baden, qui étaient restées inactives pendant des siècles. Il voulait intervenir de façon pratique, même dans le contexte terrestre, pour servir l’humanité. Beaucoup de choses réussirent, beaucoup échouèrent60 5.

Ce fut la même chose ici. Bien que le Kommende Tag fût en principe sous le signe de la fraternité, il fallait faire face à un monde hostile. De plus, Rudolf Steiner dépendait de la coopération des personnes qui étaient à sa disposition à ce moment-là. Il nomma donc comme premiers membres du conseil d’administration Konradin Hausser, Wilhelm Trommsdorf et moi-même. Entretemps, j’avais été déchargé de la direction de la Fédération pour la triarticulation et remplacé par l’écrivain Walther Kühne, qui venait de Haute-Silésie et avait beaucoup travaillé sur la littérature polonaise. Comme il n’avait pas assisté à la révolution dans le Wurtemberg, il lui était difficile de poursuivre l’œuvre de la fédération en fonction de la situation. Emil Molt fut choisi comme curateur de celle-ci.

Konradin Hausser était une personnalité accommodante, authentiquement souabe, pleine d’humour, extrêmement consciencieuse, mais encore inexpérimentée en matière d’anthroposophie. Il sembla faire ses preuves en tant que chef de bureau.

Wilhelm Trommsdorf était tout à fait différent : il travaillait auparavant au bureau fiduciaire de la Compagnie métallurgique (Metallurgische Gesellschaft) à Francfort-sur-le-Main. C’était un anthroposophe assez âgé, qui dirigeait la Branche anthroposophique avec sa femme. On y lisait les conférences de l’enseignant dans une ambiance recueillie. En tant que collègue du directeur, Trommsdorf était difficile d’accès. Il écrivit un court article sur la nature du Kommende Tag. Mais ce comité exécutif tripartite était totalement incapable de collaborer. Trommsdorf prit très vite sa retraite. Pour ma part, avant la guerre, je travaillais aussi dans la Compagnie métallurgique de Francfort, où j’avais rencontré Trommsdorf. Plus tard, je fus transféré à la fonderie de cuivre de la Norddeutsche Affinerie à Hambourg, pour avoir un contact direct avec les installations de production et la main-d’œuvre. Trommsdorf était le théoricien qui devait vérifier et superviser les comptes des sociétés fusionnées dans le Kommende Tag. Des statistiques mensuelles sur la production et les mouvements financiers étaient requises avant l’établissement des comptes annuels. Konradin Hausser m’était jusqu’alors totalement inconnu. Originaire d’Ulm, il avait été actif dans les œuvres de bienfaisance protestantes. Il prit en charge la gestion interne des bureaux commerciaux, qu’il dirigeait consciencieusement, à sa manière humaine et digne de confiance souabe, tandis que j’étais responsable de la communication avec les sociétés affiliées et de la mise en œuvre des activités vers le monde extérieur qui avaient été décidées par le conseil de surveillance. Afin de nous familiariser les uns avec les autres, Rudolf Steiner nous donna quelques devoirs écrits sur le système financier de l’époque et sur l’« Union latine » monétaire.

Ce nouveau conseil d’administration tripartite commença à élaborer un prospectus de fondation pour le Kommende Tag. Il apparut rapidement que les opinions étaient fondamentalement différentes et qu’il serait difficile de parvenir à une coopération fructueuse. Même les membres du conseil de surveillance n’osèrent pas faire cette déclaration fondamentale ; ils demandèrent à Rudolf Steiner de s’en charger, car la formulation était importante (cf. annexe). Le prospectus fut ensuite largement diffusé et publié en pleine page dans la presse. Le capital social de 10 millions de marks fut souscrit étonnamment vite, et des négociations prometteuses furent entamées en vue de l’adhésion à la nouvelle société.

Le bâtiment administratif de la Champignystrasse abritait plusieurs services, surtout à partir de 1922 : les éditions Kommende Tag, l’imprimerie au rez-de-chaussée, le service commercial Hunnius, et même un bureau de la fiduciaire du Goetheanum de Dornach. Le centre de gravité de l’ensemble du mouvement se déplaça de plus en plus de Berlin vers Stuttgart.

Rudolf Steiner ne venait pas régulièrement à la Champignystrasse ; il y avait trop d’agitation pour lui. Il s’y déroula une fois une scène que je n’aurais jamais crue possible. Alors que je m’approchais avec lui de la porte d’entrée, un jeune employé très affairé se précipita dans les escaliers en béton directement sur Rudolf Steiner et l’interpella de façon irrespectueuse : « Dites, docteur », mais il n’alla pas plus loin. Ce fut choquant. Rudolf Steiner, qui n’était pas habitué à un tel ton, se mit à crier tellement fort contre le jeune homme que toutes les vitres en tremblèrent. Ce fut une dure mais bonne leçon pour ce jeune homme très nerveux, qui devint par la suite un enseignant de pédagogie curative compétent.

Parmi les personnalités qui se mirent à la disposition de l’entreprise, il n’y avait pas de spécialiste de la banque. Or les autorités n’autorisaient pas les société industrielles à exercer des activités bancaires, tout comme les directeurs des entreprises qui devaient se lier à la société n’étaient pas autorisés à devenir membres du conseil de surveillance. Il fallut donc interposer un comité directeur entre ce dernier et le conseil d’administration. Un établissement bancaire fut fondé en tant que département indépendant pour la gestion des transactions bancaires sous le nom du directeur Adolf Koch. Ce dernier démissionna relativement tôt et fut remplacé par Hans Stammer, de Hambourg. Le jeune Otto Fränkl travaillait de temps à autre dans cette banque. Le bureau se situait à la Rotestrasse 6.

Aucune banque indépendante ne fut créée à l’étranger, ni en Suisse par le conseiller national Hirter, ni en Suède par l’ingénieur Ruths. Dès le début, l’idée était aussi de créer des investissements qui conserveraient leur valeur. Les frères Maier exploitaient une scierie sur le moulin de Guldesmühle près d’Aalen, qui était relié à une zone agricole de 300 acres. Ce domaine fut rattaché au Kommende Tag. Rudolf Maier rejoignit le conseil de surveillance et l’on retrouve son nom, tout comme celui du directeur de la publication Wolfgang Wachsmuth, parmi les fondateurs. Le nom du fabricant Rudolf Zöppritz de Heidenheim figurait également dans ce comité. Mais son usine ne se décida pas, dans un premier temps, à se rattacher à l’entreprise.

Dès le début, il était prévu de fonder une maison d’édition active au niveau international, dont on attribua la direction à Wolfgang Wachsmuth. Cette maison d’édition, qui se développa très rapidement, publia des ouvrages de valeur dans une excellente présentation. Elle était divisée en plusieurs bibliothèques :

- la bibliothèque du Goetheanum,
- la bibliothèque internationale des sciences sociales et humaines,
- la bibliothèque philosophique et anthroposophique,
- la collection Science et avenir,
- la bibliothèque des hommes et de l’art.

Rudolf Steiner consacrait souvent du temps à cette maison d’édition et conseillait son directeur pour la sélection de titres intéressants. Il conçut également pour elle un logo spécial61 6 et des vignettes pour les différentes bibliothèques. Parmi les publications, mentionnons simplement :

- Johann Wolfgang Goethe, Faust Parties I et II, avec les introductions de K.J. Schröer,
- Karl Julius Schröer,
Goethe und die Liebe,
- Vladimir Soloviev,
Russland und Europa,
- Ludwig Polzer-Hoditz,
Der Kampf gegen den Geist und das Testament Peters des Grossen,
- Helmuth von Moltke, souvenirs, lettres, documents,
- Guenther Wachsmuth,
Die Ätherischen Bildekräfte in Kosmos, Erde und Mensch,
- Paul Vital Troxler,
Blicke in das Wesen des Menschen,
- Lili Kolisko,
Milzfunktion und Plättchenfrage.

Bientôt, de nombreux livres de la maison d’édition philosophique et anthroposophique de Berlin furent également transférés à Stuttgart.

PHOTO – Les premiers employés du Kommende Tag, 1921. De gauche à droite, debout : Weinmann, Moser, Wilhelm Kinkel, Otto Reebstein, Heinrich Berner, Eugen Berner. Assis : Hans Arenson, inconnu, Albrecht Strohschein, Heuberger, L. Kern, Krafft, Helene Schweizer.

Wolfgang Wachsmuth géra le budget qui lui était accordé avec beaucoup de générosité. À cet égard, il était l’exact opposé de Johanna Mücke, la directrice de la maison d’édition berlinoise dans laquelle avaient été publiés tous les cycles de conférences et la plupart des livres de Rudolf Steiner. Cette maison d’édition était la propriété de Marie Steiner. Johanna Mücke, qui était déjà en contact avec Rudolf Steiner à l’école de formation des travailleurs, dirigeait la maison d’édition berlinoise avec beaucoup de conscience, mais sans aucune méthode. Pendant la période d’inflation galopante, elle rangeait ses billets de banque dans le tiroir comme d’habitude, ignorant la dévaluation de l’argent, qui s’accentuait tous les jours. Malgré tout, Rudolf Steiner présentait souvent cette maison d’édition comme un excellent exemple, car elle ne produisait pas de vieux rossignols, mais n’imprimait que ce qu’elle était certaine de pouvoir vendre.

Rudolf Steiner n’aimait guère l’énorme activité qui commençait à Stuttgart, même s’il en reconnaissait la diligence, l’efficacité et la conscience professionnelle. En raison des diverses activités de toutes les nouvelles institutions, il se mit en place au fil du temps un ordre dans le trafic qui, malgré tout l’enthousiasme, déboucha sur une certaine bureaucratie. C’est pourquoi Steiner critiqua assez souvent la « chaise curule », comme il appelait les exigences des personnalités dirigeantes. La période d’engagement extrême portée, durant la première année de la révolution, par tout le monde, la plupart du temps sans base financière suffisante, ne put être relancée dans les entreprises commerciales. À la place, certaines ambitions se manifestèrent, comme celle de réunir la maison d’édition berlinoise avec celle du Kommende Tag. Bien sûr, Rudolf Steiner ne voulait pas en entendre parler, y compris lorsqu’on chercha par la suite à fusionner la direction de la maison d’édition à Dornach.

Bientôt, une imprimerie propre fut créée à la Champignystrasse, qui imprima également l’hebdomadaire Dreigliederung des sozialen Organismus (Triarticulation de l’organisme social). Elle prit par la suite une participation dans une imprimerie offset, ce qui la rendit très efficace. Le Kommende Tag bénéficia bien sûr du fait que les obligations émises étaient souscrites très rapidement, de sorte qu’il y avait suffisamment de liquidités pour les nouvelles entreprises.

L’usine de machines-outils Carl Unger fut rattachée le 26 juillet 1920 et l’usine de boîtes en carton José del Monte le 17 novembre. L’usine de cigarettes Waldorf-Astoria ne put pas agir aussi rapidement, car il fallait sauver un actionnaire important, qui détenait 51 % du capital. Même s’il ne faille pas s’attendre à des profits importants de la part des petites entreprises rapidement affiliées, mais elles ne nécessitèrent pas d’importants investissements. Au total, les sociétés suivantes firent partie du Kommende Tag jusqu’à la fin de l’année 1922 :

  • Siège social, Stuttgart, Champignystrasse 17
    - Maison d’édition Der Kommende Tag AG, Stuttgart
    - Der Kommende Tag AG, département librairie de vente par correspondance
    - Der Kommende Tag AG, département imprimerie
    - Der Kommende Tag AG, département impression offset
    - Le vorm de Kommende Tag AG. Carl Unger, usine de machines, Hedelfingen
    - Der Kommende Tag AG, usine chimique, Schwäbisch Gmünd
    - Der Kommende Tag AG, usine d’ardoises de Sondelfingen
    - Der Kommende Tag AG, département José del Monte, usines de boîtes en carton, Stuttgart, avec succursales à Zuffenhausen et Weil im Dorf
    - Pension Rüthling, Stuttgart, Urbanstrasse 31a
    - Der Kommende Tag AG, succursale de Hambourg
    - Guldesmühle Dischingen, Hofgut, moulin à grains et scierie Hofgut Ölhaus, O/A. Crailsheim
    - Fermes d’Unterhueb et de Lachen, 0/A. Leutkirch
    - Hofgüter Dorenwaid et Lanzenberg près d’Isny dans l’Institut clinique thérapeutique de l’Allgäu
    - Der Kommende Tag, Fabrication, Schwäbisch Gmünd
    - Der Kommende Tag AG, institut de recherche scientifique, Stuttgart
    - Der Kommende Tag AG, institut de recherche scientifique, Département de biologie, Stuttgart

Participations :

  • Frères Gmelin, Reutlingen, machines agricoles
    - Société en commandite Frank-Reiner, Hambourg
    - Usine de tissage mécanique, anciennement G. Wilhelm Tinney, Sondelfingen
    - Raether & Lamparsky Aktiengesellschaft
    - Berlin Internationale Laboratorien Aktiengesellschaft, Arlesheim.

Dans ces premiers temps, nous dûmes trouver des financements principalement pour l’usine de schiste bitumineux de Sondelfingen près de Reutlingen, que l’ingénieur des mines Arnold Blickle avait proposée, puis qu’il géra avec succès. À l’époque, il était rentable d’exploiter de tels matériaux, qui pouvaient être cuits avec leur contenu en pétrole et traités comme matériau de construction. Un haut fourneau se mit rapidement à beaucoup tourner. Le rattachement de l’usine Del Monte permit à son directeur, Eugen Benkendoerffer (gendre d’Adolf Arenson), d’être nommé directeur général du Kommende Tag. Rudolf Steiner n’était pas seulement intéressé par la poursuite des activités du Kommende Tag ; il était également ouvert aux nouvelles idées que celui-ci aurait pu reprendre. Nous recevions souvent des offres de sources très diverses, que ce soit pour une affiliation par le biais d’une aide financière ou pour l’exploitation d’inventions. Par exemple, un nouveau type de vélo suscita l’intérêt de Rudolf Steiner. C’était une construction de l’ingénieur lucernois Jaray (qui se fit plus tard un nom dans la construction de carrosserie), qui reposait sur le principe suivant : ce n’était pas une roue de manivelle à deux pédales qui assurait l’entraînement, mais deux câbles métalliques qui étaient poussés vers l’avant avec les pieds et ramenés par la tension d’un ressort. On s’asseyait droit dans un fauteuil en forme de panier avec un dossier bas, qui offrait le soutien nécessaire. Je dus faire une démonstration de ce vélo dans la Landhausstrasse. Il n’y eut pas de négociations concrètes avec l’inventeur.

Les négociations avec les propriétaires des sociétés qui étaient envisagées pour la fusion prévue durèrent près de six mois. Il n’était pas facile du tout de déterminer la compensation qui correspondrait à ce que gagnaient jusque-là les propriétaires. Il fallut mettre en place une comptabilité. Des dépliants furent envoyés avec des formulaires de souscription pour des prêts qui devaient rapidement être convertis en actions. Rudolf Steiner conçut les formulaires d’actions colorés dans ce but, car il n’aimait pas les projets soumis par les graphistes ; il les rejeta même sèchement, parce qu’ils voulaient imiter le style des billets de banque. C’est à cette occasion que fut créée la belle enseigne en rouge clair et foncé sur fond bleu, qui fut également utilisée par Futurum SA (voir annexe).

La valeur stable des actions fluctua en fonction du nombre d’entreprises qui adoptèrent l’idée de l’assistance mutuelle. C’était une pensée généreuse. Une autogestion associative de la vie économique devait germer indépendamment du déclin général. L’appel ne fut pas entendu. À l’exception de quelques personnes qui avaient pleinement confiance dans les propositions de Rudolf Steiner, aucun entrepreneur ne voulait renoncer à ses droits de propriété, alors même qu’il aurait obtenu en contrepartie des droits beaucoup plus étendus. Pour l’entrepreneur individuel, renoncer à sa propriété semblait tout à fait impensable, car il ne comprenait pas la neutralisation des capitaux.

Outre les laboratoires de recherche, c’étaient surtout les travaux de l’Institut de thérapie clinique de Stuttgart et des laboratoires de chimie de Schwäbisch Gmünd qui devaient se concrétiser rapidement, car ils promettaient d’être vite rentables. Le corps médical devait être intéressé par un vadémécum sur les médicaments testés jusque-là, dont la plupart avaient été élaborés sur la base des informations fournies par R. Steiner. Mais il y avait aussi parmi eux des médicaments, comme l’Infludo, qui avait fait ses preuves et avait été mis au point par le Dr Ludwig Noll. Celui-ci semblait également posséder les connaissances approfondies nécessaires pour écrire le vadémécum, mais il ne commença jamais le travail en raison de ses inhibitions intérieures62 7. Au départ, il devait également diriger la clinique prévue à Stuttgart, mais il chercha en vain une maison convenable dans la région du Wurtemberg. Lorsque Eugen Benkendoerffer eut trouvé et acquis la villa Wildermuth, magnifiquement située sur la Gänsheide, juste à la périphérie de Stuttgart, le Dr Noll ne put pas non plus se décider à reprendre la direction d’une telle clinique, parce qu’il avait un grand cabinet à Kassel. La brochure imprimée en annexe explique en détail la transformation de cette villa en clinique privée. Elle décrit également les tâches d’un corps médical qui, contrairement à celui de la clinique d’Arlesheim, ne pouvait pas se reposer sur une initiative individuelle, comme celle du Dr Ita Wegman. C’est ainsi que la gestion fut confiée au Dr Otto Palmer, un médecin respecté de Hambourg.

Mais il y eut trop peu d’initiatives pour permettre l’émergence rapide d’un tel mouvement médical et pour l’utilisation des nouveaux remèdes. Ceux-ci furent développés dans un laboratoire voisin, puis produits à l’usine chimique de Schwäbisch Gmünd. Son directeur, W. Kehler, qui venait des Chemische Werke Bayer de Leverkusen, fut accepté par Rudolf Steiner, bien qu’il ne soit pas anthroposophe. Il avait apparemment la possibilité de se familiariser avec les nouvelles méthodes, ainsi qu’un certain élan qui sembla nécessaire à Rudolf Steiner. Celui-ci apprécia beaucoup le nom « Ever-on » proposé par Kehler pour les préparations cosmétiques. Rudolf Steiner conçut lui-même une affiche pour le tonique capillaire, ce qui ne serait pas surprenant aujourd’hui, mais sortait complètement de l’ordinaire à l’époque. Malgré la surcharge de travail, Rudolf Steiner fit de son mieux pour promouvoir les entreprises prometteuses du Kommende Tag. La difficulté initiale pour la diffusion des médicaments était qu’il y avait beaucoup trop peu de médecins anthroposophes et que les médecins étrangers ne parvenaient pas à surmonter leurs préjugés.

Les instituts de recherche eux-mêmes étaient conçus de manière à ce que les fonds investis produisent des résultats exploitables dans un délai utile. Ils se virent confier les tâches les plus intéressantes, qui auraient certainement porté rapidement des fruits pratiques et justifié le capital investi, si seulement le Kommende Tag avait pu durer quelques années de plus.

L’exemple le plus significatif de ces tâches fut l’« appareil de Strader », qui devait poser les besoins énergétiques mondiaux sur une base entièrement nouvelle. Rudolf Steiner dit à ce sujet : « Il faut que cette machine de Strader... soit inventée dans les vingt prochaines années, car sinon on développera la contre-image d’Ahriman, qui ne servira qu’à des fins destructrices »63 8.

Vingt ans plus tard (1938), Otto Hahn réussissait la fission nucléaire. Déjà en 1912, dans son troisième Drame-Mystère Le gardien du seuil, Rudolf Steiner demandait à l’un des personnages, le Dr Strader, de donner des informations sur une future source d’énergie, qui est cependant restée un mystère jusqu’à ce jour64 9. Le 1er décembre 1918 65 10, il parla dans un autre contexte de cette future source d’énergie et traita d’une réorientation complète de la technologie mécanique, en évoquant l’expérience alors sensationnelle du moteur Keely, qui pouvait être mis en marche par la parole humaine. Malheureusement, dans cette première période des instituts de recherche de Stuttgart, on ne pouvait pas encore penser à lancer des expériences aussi coûteuses et durables. D’autre part, il incita le Dr Rudolf Maier, qui dirigeait l’institut de recherche en physique, à construire un dispositif expérimental utilisant un électro-aimant qui produirait un effet optique avec le spectre. L’objectif était de prouver la courbure du spectre et l’émergence de l’échelle des couleurs à partir des phénomènes périphériques. Malheureusement, on ne disposait que d’un seul électro-aimant relativement petit, mais Rudolf Steiner déclara lors du contrôle : « On le voit bien, cet effet est beaucoup plus important que la théorie de la relativité d’Einstein ». Leinhas, qui était là, dit qu’il ne voyait rien. Lors d’expériences ultérieures à Einsingen, Rudolf Maier confirma à nouveau l’effet. Malgré toutes les admonestations, il ne se décida pas à publier l’affaire. Plusieurs années après, une brochure sur l’expérience dite de Villard66 11 fut enfin publiée. Rudolf Steiner avait dit : « Les moulins de Maier moulent lentement. »

Une autre tâche intéressante fut confiée au physicien hambourgeois Hermann van Dechent, à savoir l’étude de la structure du soleil, en particulier de l’intérieur du soleil. À l’Institut de physique, M. Smits et un collègue, Hans Buchheim, travaillèrent sur le traitement des fibres de tourbe. C’était également une indication de Rudolf Steiner : on pouvait la préparer de manière à filer des fibres plus longues. Ces tissus convenaient pour les gilets de santé et même, en temps de guerre, comme substitut aux uniformes. Ils partirent donc à la recherche de tourbe à longues fibres et essayèrent de la rendre souple. À l’époque du Kommende Tag, on ne réussit à obtenir que des petits tissus. Plus tard, Hans Buchheim et d’autres poursuivirent les expériences. Une autre indication de Rudolf Steiner concernait l’utilisation de la corne, mais cela ne fut pas mis au point avant Einsingen. On réussit à mettre la corne dans un état semblable à du miel, dans lequel on avait l’intention de la filer. Si on avait poursuivi ces expériences, on aurait certainement pu produire une fibre textile saine.

Un autre institut de recherche s’occupa du développement des teintures végétales. Il était dirigé par un chimiste qui nous avait rejoints depuis la Badische Anilin- und Sodafabrik de Ludwigshafen. Johann Simon Streicher était encore un jeune anthroposophe, un peu sombre. Il ne parvint jamais à se lier pleinement à la tâche qui lui avait été confiée. Mme Thekla Schmiedel Michels, à Dornach, avait déjà consciencieusement fait des tentatives pour rendre les couleurs végétales lumineuses résistantes à la lumière, ainsi que pour développer un fond de peinture approprié pour les coupoles du premier Goetheanum. Depuis lors, plusieurs amis travaillaient sur le problème de l’approvisionnement des peintres en couleurs végétales durables et sans défaut à des prix abordables. Après plus de 50 ans, le problème semble résolu. Au laboratoire de teintures végétales du Goetheanum, sous la direction de Günter Meier, on produit désormais des couleurs vives et durables. À l’époque, Mme Marie Strakosch avait à Stuttgart, dans le cadre des instituts de recherche, un atelier de peinture où elle testait la résistance des couleurs végétales à la lumière.

J’assistai également à une conversation entre Rudolf Steiner et Carl Unger au sujet d’une machine spéciale pour la production d’un remède contre le cancer. Rudolf Steiner voulait que l’on produise une machine dont le disque rotatif se déplacerait à la vitesse de la surface de la Terre dans nos zones et qui devrait mesurer un mètre de diamètre. Carl Unger ne pensait pas qu’il fût possible d’atteindre cette vitesse énorme à l’époque, mais il accepta de construire un tel disque d’un diamètre de 50 centimètres. Le jus du gui devait s’égoutter dans le liquide en rotation depuis le haut, en chute libre, de façon à être amené par le liquide à un rapport de mélange intensif. Une fois de plus, je ne pris pas la liberté de demander des détails supplémentaires, ce que je regrette aujourd’hui. Le remède devait être produit dans l’usine des Laboratoires internationaux et testé à l’Institut thérapeutique clinique de Stuttgart. Sa production a depuis été transférée à l’Association pour la recherche sur le cancer (Hiscia, Arlesheim).

Lorsque la fièvre aphteuse apparut dans l’un des domaines agricoles du Kommende Tag, Rudolf Steiner fit une déclaration importante : il fallait combattre cette maladie par des injections d’une préparation du protoplasme des grains de café torréfiés. À l’Institut de recherche biologique, on atteignit un certain degré de torréfaction et on appliqua le remède à un assez grand nombre de vaches. Comme Lili Kolisko, la directrice de cet institut, le rapporte dans son livre « Eugen Kolisko, ein Lebensbild »67 12, le traitement à Dischingen réussit : aucune vache ne succomba à la maladie. Un règlement officiel obligeant à abattre tous les bovins touchés par la maladie empêchèrent d’autres succès. La photo ci-jointe montre le vétérinaire local, le Dr Joseph Werr, au travail, assisté du Dr Eugen Kolisko, que l’école avait mis en congé à cet effet, du Dr Helene von Grunelius et du Dr Kurt Röth, qui travaillèrent tous énergiquement pour lutter contre l’épidémie afin de sauver les animaux.

Un vieux fermier raconte cette époque : « Une fois, Rudolf Steiner assista à un de ces traitements. Le Dr J. Werr devait vacciner une vache en contrôlant son rythme cardiaque. Pendant l’injection, celui-ci commença à devenir irrégulier. Au même moment, Rudolf Steiner, debout à une certaine distance, cria : « Arrêtez, ça suffit ! ». Que l’effet d’un médicament puisse être contrôlé à distance ébranla tellement le Dr Werr qu’il commença à étudier l’anthroposophie et décida bientôt de rejoindre le mouvement.

L’Institut de recherche en physiologie et biologie travailla inlassablement sur la croissance différenciée des plantes sous l’influence de la lune et des planètes. Des milliers d’expériences furent réalisées selon les indications de Rudolf Steiner ; pendant des années, on sema dans différentes phases lunaires et positions planétaires, et on observa la croissance des semis toutes les heures, de jour comme de nuit. Les résultats de ces expériences sont aujourd’hui pris en compte dans l’agriculture biodynamique. L’effet se traduit par une plus grande résistance des plantes aux parasites, des rendements accrus et une qualité alimentaire nettement améliorée.

C’est Lili Kolisko qui fit le travail de base. En suivant les indications de Rudolf Steiner, elle réussit à donner la première preuve scientifique exacte des influences de l’esprit sur la matière par des dilutions à la 30e puissance, en enregistrant et en évaluant ces influences sur les germes des plantes et en déterminant ainsi des effets rythmiques jusqu’alors totalement inconnus. Les résultats de cette recherche furent publiés dans une brochure dont Rudolf Steiner souligna particulièrement l’importance. Dans son cycle de conférences sur la connaissance initiatique, tenu en août 1923 à Penmaenmawr, il en parle ainsi : « Nous avons ainsi réussi à diviser le purement matériel de façon que dans le purement matériel apparaisse le vraiment spirituel... Car tout comme on réalise habituellement des expériences scientifiques avec la plus grande précision, cette brochure du Dr Kolisko ‘Preuve physiologique et physique de l’efficacité des plus petites entités’ dans notre laboratoire de biologie de Stuttgart apporte la preuve de l’action de ces petites entités. Ce qui jusqu’à présent pouvait n’être qu’une simple croyance a ainsi été réellement élevé au rang de science dans un domaine important »68 13. Ces expériences furent ensuite étendues aux morphochromatographies sur papier filtre (Steigbilder) et aux cristallisations sensibles. Parmi la littérature variée, qui fit grand bruit, mentionnons la preuve étonnante de l’action de la lune qui, par exemple lors des éclipses lunaires et solaires, put être prouvée, avec une clarté qui fera date, dans les morphochromatographies69 14.

Dans un autre laboratoire, le Dr Theberat obtint des preuves similaires des effets du jour et de la nuit, ainsi que des effets des planètes avec des métaux. Par exemple, je me souviens d’une série d’expériences avec des spirales d’argent finement roulées qui, en fonction de la course des planètes, effectuaient certains mouvements mesurables. Ces expériences s’avérèrent extrêmement difficiles, car les influences étaient sans aucun doute extrêmement fines, à peine perceptibles. Rudolf Steiner s’attendait à pouvoir suivre les fluctuations d’intensité causées par les influences lunaires sur les courants terrestres, de nature magnétique et électrique, ainsi que l’intensité du fer magnétique, qui donne des valeurs différentes en fonction de l’influence lunaire (d’après une communication de Hans Buchheim, ces expériences furent poursuivies pendant des années).

Dans le cadre de l’usine chimique de Schwäbisch Gmünd, se posa le problème de la conservation des médicaments sans l’utilisation d’alcool. On rechercha les constellations cosmiques auxquelles on exposait des solutions concentrées. A partir de cette tâche, Theodor Schwenk se consacra ensuite à la recherche sur la circulation et l’éthérisation de l’eau. Même si ce fut dans un contexte plus large, on peut compter parmi les résultats qui ont émergé des indications de Rudolf Steiner la création de l’Institut de recherche sur les écoulements, fondé plus tard à Herrischried, où fut élaborée la méthode dite des gouttes sensibles pour déterminer la qualité de l’eau70 15 71 16.

Il est tragique que l’on ait dû interrompre l’activité des instituts après à peine trois ans, car seule une infime partie de la richesse scientifique de Rudolf Steiner a été exploitée jusqu’à ce jour. Il est tout aussi tragique que les preuves intéressantes de l’action des planètes aient été largement ignorées par la communauté scientifique publique jusqu’à aujourd’hui.

PHOTO – Médecine vétérinaire. De gauche à droite : Kurt Röth, Joseph Werr, Eugen Kolisko, Rudolf Maier, Helene von Grunelius

Ni la météorologie, ni l’astronomie, ni la médecine ne s’intéressent aux résultats de la recherche spirituelle moderne ; elles ne les considèrent qu’avec des doutes ou de l’hostilité. Ce n’est que dans le domaine de l’agriculture qu’ils font l’objet d’une attention croissante.

Une entreprise commerciale poursuivant des objectifs similaires à ceux du Kommende Tag fut fondée en Suisse le 16 juin 1920. Malgré le fait que la situation économique était la plus mauvaise possible et qu’aucune grande entreprise n’avait proposé de fusionner, le capital initial de 1 350 000 francs fut rapidement souscrit et porté par la suite à 6 000 000 francs. Il y avait de bonnes personnalités parmi les fondateurs et un conseil d’administration compétent. La société s’appelait Futurum SA, Société économique pour la promotion internationale des valeurs économiques et spirituelles. Les entreprises suivantes s’y rattachèrent rapidement :

  • Knitting and Warp Knitwear Factory AG, Bâle

  • Graphische Werkstätte und Kartonagenfabrik, Gelterkinden, Bâle-Campagne

  • Usine de colle froide Certus, Bâle

  • Usine de manches et de bâtons de parapluie, vorm. Minerva AG

  • Bönigen Torffelausbeutung Ins, Seeland bernois

  • Bureau AG, Bâle

  • Département du commerce de Bâle (industrie alimentaire, miel notamment)

  • Commerce de gros des produits du tabac

  • Institut de thérapie clinique, Arlesheim, Bâle-Campagne

  • Laboratoire chimique et pharmaceutique, Arlesheim

  • Cours de perfectionnement au Goetheanum (plus tard Friedwartschule)

  • Éditeur au Goetheanum, Dornach, Soleure (en même temps livraison pour le magazine du Kommende Tag, Stuttgart).

Comme indiqué dans le protocole d’octobre 1919, il était prévu d’étendre les engagements à d’autres pays. Étant donné qu’il n’y avait pas suffisamment d’entrepreneurs qui voulaient mettre leurs entreprises à la disposition des autres, il fallut dans la plupart des cas les acheter. Il était difficile de trouver des remplaçants pour la direction des différentes exploitations. Emil Molt s’était mis activement à disposition, Rudolf Steiner avait repris la présidence du conseil d’administration, ce qui représentait pour lui une lourde charge. Des échanges d’expériences étroits se mirent en place avec les laboratoires du Kommende Tag à Stuttgart pour les laboratoires de recherche et la production de nouveaux médicaments, qui avaient été indiqués par le chercheur spirituel et testés dans l’Institut thérapeutique clinique.

Malheureusement, les plans économiques des autres pays européens, qui auraient dû conduire à une collaboration avec un siège suisse, ne se concrétisèrent pas dans un délai utile, de sorte qu’on ne put disposer ni des fonds pour le Goetheanum ni des ressources nécessaires pour poursuivre le Kommende Tag à Stuttgart, ce qui était l’idée initiale. Au contraire, le Futurum lui-même avait beaucoup souffert de la mauvaise situation économique, de sorte qu’il fallut décider sa liquidation en 1923. Seuls les laboratoires internationaux purent être sauvés après quelques dons de capitaux ; ils travaillent depuis sous la dénomination de Weleda SA, Arlesheim et sont devenus une entreprise importante de renommée mondiale.

Les instituts de recherche tenaient particulièrement au cœur de Rudolf Steiner, qui s’y rendait fréquemment afin de soutenir le personnel par ses conseils. Cependant, il pouvait aussi s’impatienter, voire s’emporter, si la série d’expériences était menée trop laborieusement et sans intuition. Le personnel du Kommende Tag s’intéressait vivement à l’avancement de ces efforts scientifiques, même s’ils ne promettaient initialement aucun bénéfice économique. On espérait surtout que le rattachement imminent de l’usine de cigarettes Waldorf-Astoria permettrait de libérer des fonds pour agrandir les installations et les équipements nécessaires. Mais, pour pouvoir racheter l’usine de cigarettes, il fallait remplir certaines conditions.

Au printemps 1921, on réussit à racheter les parts de l’associé Marx dans Waldorf-Astoria, à Hambourg, et à les intégrer dans la société Kommende Tag. Mais Rudolf Steiner dut intervenir. Il écrivit même à Marie Steiner le 7 mars 1921 : « Aujourd’hui, à midi, nous avons négocié avec Marx la reprise de Waldorf-Astoria. J’ai négocié avec ce Marx un marxisme qui n’est pas non plus tout à fait non marxiste. En fait, ce Marx est tout à fait recommandable »72 17. Molt échangea ses propres actions contre des actions du Kommende Tag, mais il resta libre de disposer de son entreprise. À l’instar des autres entreprises affiliées, il fonctionna comme un département du Kommende Tag.

Celui-ci avait donc atteint un stade de développement important. Le changement de direction générale eut lieu en même temps, car Eugen Benkendoerffer ne se sentait pas à la hauteur pour gérer une si grande entreprise et Molt ne voulait pas dépendre de lui. Une fois de plus, Rudolf Steiner dut intervenir pour redresser la situation. Au même moment, Konradin Hausser quitta le conseil d’administration du Kommende Tag pour prendre la direction de la Guldesmühle et de la scierie, où des désaccords étaient apparus. Il la dirigea la scierie jusqu’à la dissolution du Kommende Tag et se familiarisa avec les problèmes de l’agriculture avec beaucoup de sens pratique.

Emil Leinhas, qui, comme déjà mentionné, était actif au sein de la direction de Waldorf-Astoria, mais aussi fortement engagé dans les préoccupations de la Société anthroposophique, y fut remplacé par Cornelis Apel. Il fut nommé au comité directeur de la Société anthroposophique le 4 septembre 1921, car Michael Bauer et Mme Marie Steiner avaient décidé de quitter la Société. Le 22 septembre, Leinhas prit la direction générale du Kommende Tag. « L’affaire ne fut évidemment pas facile, jusqu’à ce que je puisse introduire personnellement Leinhas à sa fonction le jeudi 22 à 11 heures du matin à la Champignystrasse 17 », écrivit Rudolf Steiner à Marie Steiner. Une photo de cette époque montre Emil Leinhas au sommet de sa carrière professionnelle. Leinhas était prudent, correct et intelligent. Ses compétences de négociateur étaient exemplaires. Il avait un très bon contact avec Rudolf Steine, qui lui faisait inconditionnellement confiance.

Il faut mentionner un autre événement important qui eut lieu à la même époque : comme déjà mentionné, le centre de la vie anthroposophique s’était déplacé de plus en plus de Berlin à Stuttgart en raison de la présence fréquente de Rudolf Steiner et des nombreuses nouvelles personnes, ce qui entraîna le remaniement du comité directeur. Il fallait donc montrer publiquement que la force de l’anthroposophie était à l’œuvre derrière toutes ces activités et ces nouvelles créations. On décida donc de tenir un congrès anthroposophique public à la Gustav-Sieglehaus du 29 août au 7 septembre 1921 ; un grand nombre d’orateurs de tous les groupes y prirent la parole. Il y eut les professeurs éloquents de la nouvelle école Waldorf, des scientifiques qui maîtrisaient les domaines les plus variés, des économistes qui pouvaient parler de l’économie nationale et des questions sociales. Le congrès fut donc subdivisé, à côté de thèmes anthroposophiques généraux, en groupes de spécialistes. Leinhas parla de l’idée du Kommende Tag et, avec sa conférence sur la faillite de l’économie nationale, osa formuler de violentes attaques contre le système. Le soir, Rudolf Steiner donna son cycle de conférences sur l’anthroposophie, les racines de sa connaissance et ses fruits de vie – avec une introduction sur l’agnosticisme comme corrupteur de l’humanité authentique73 18 – et conclut la conférence, avec ses thèmes variés, par des diapositives montrant le premier Goetheanum à Dornach.

En plus des nombreuses nouvelles créations et activités, ce congrès constitua un sommet dans la vie anthroposophique trépidante de Stuttgart. Il fit une forte impression sur le public.

Les rapports annuels pour les années 1921/1922, reproduits en annexe, montrent le développement rapide du Kommende Tag, qui fut favorisé par le fait que trois entreprises bien connues avaient accepté de fusionner dans le sens d’une association, et que les capitaux nécessaires à l’acquisition ou à la création d’autres entreprises et au financement d’instituts de recherche scientifique avaient pu être facilement réunis sous forme de prêts et de souscriptions d’actions. Face à la menace d’une augmentation des tendances inflationnistes, une fusion associative semblait offrir la garantie qu’une nouvelle baisse de la monnaie serait évitée si un nombre suffisant d’entreprises étaient prêtes à se joindre à une opération de soutien mutuel. Il n’était pas encore possible de prévoir l’ampleur qu’allait prendre par la suite l’inflation, qui en 1920 ne correspondait qu’à six fois la dévaluation par rapport aux autres pays. Pendant longtemps, on compta encore sur la pleine valeur des marks et on établit le bilan en conséquence. Les prix n’avaient pas du tout augmenté ; on était fier de vendre aux anciens prix le plus longtemps possible. Le dollar américain stable valait 65 marks en 1921 et 200 marks en 1922, de sorte que le rythme de l’inflation prit en 1923 une tournure telle qu’il n’était plus possible de se passer de bilans séparés en marks-or.

Pour Emil Molt, l’intégration de son usine dans le Kommende Tag, dont il était membre du conseil de surveillance, fut une véritable satisfaction, car il atteignait ainsi son objectif de longue date, qui était d’avoir enfin le contrôle total sur l’entreprise qu’il avait construite en y mettant tout son cœur. Bien qu’il n’ait auparavant accordé que peu d’attention à ses actionnaires et qu’il ait toujours agi de manière très indépendante, il était néanmoins obligé de rendre compte de l’évolution des affaires de l’usine. Le fiduciaire du Kommende Tag était désormais responsable du compte.

Molt avait fondé un très joli magazine d’usine, dont la couverture était idylliquement décorée de feuilles de chêne. Roman Boos l’édita pendant un certain temps et y écrivit des articles. Le magazine contenait également de la bonne littérature, principalement des poètes souabes comme Hermann Hesse, Ludwig Finkh et d’autres. Il publia occasionnellement un article de Rudolf Steiner, par exemple l’important essai « Économie internationale et organisme social tripartite »74 19. Emil Molt fut quelque peu déçu lorsque des artistes proches du Kommende Tag, en particulier Wilhelm von Heydebrand, critiquèrent la mise en page du magazine et voulurent le moderniser dans le sens de la vie de l’esprit anthroposophique. La couverture resta mais, en contrepartie, des vignettes assez originales apparurent désormais dans le texte. Pendant la Première Guerre mondiale, Emil Molt rendit des services particuliers grâce aux petits livrets qui étaient joints à chaque paquet de cigarettes, fournissant ainsi à des milliers de soldats de précieux contenus, tels que les paroles hebdomadaires du Calendrier de l’âme75 20 de Rudolf Steiner, du conte de Goethe et de bien d’autres choses encore.

Et pourtant, Molt n’était pas totalement satisfait. Il n’avait pas l’habitude de suivre les directives des autres. Son style de direction impulsif ne lui permettait pas de s’adapter aux opinions d’autrui. Avant même que son entreprise ne rejoigne le Kommende Tag, il s’était fortement engagé auprès des entreprises suisses et avait consacré une grande partie de son temps à la création de Futurum. Conformément aux plans financiers d’octobre 1919, il fonda une succursale à Zurich, qu’il rattacha à Futurum dans l’espoir de pouvoir acquérir ainsi des stocks de tabac plus importants. Il en rend compte, ainsi que de ses transactions en Hollande, dans ses mémoires. Durant cette période, Molt eut probablement de graves inquiétudes, découlant de ces nombreuses nouvelles exigences auxquelles il était confronté. Il finit par négliger le développement ultérieur de Futurum, de sorte que Rudolf Steiner se sentit abandonné de Molt. Les temps étaient très difficiles. Futurum dut faire face à de grandes difficultés, ce qui engendra des tensions entre Rudolf Steiner et Molt.

On ne comptait évidemment pas sur des entrepreneurs étrangers pour s’intéresser à un rattachement au Kommende Tag sans connaître ses objectifs ambitieux ni être convaincus des réalisations des instituts de recherche en vue d’une fructification ultérieure. Cependant, plusieurs entreprises bien connues, dirigées par des amis du mouvement, avaient tellement confiance dans la richesse des idées de Rudolf Steiner qu’on pouvait espérer qu’ils les concrétiseraient sous une forme économique. Mais le recul n’était pas encore suffisant pour témoigner de réussites scientifiques nettes. Même la meilleure volonté des chercheurs n’était pas suffisante pour parvenir à ce que Rudolf Steiner attendait d’eux. On se rendit vite compte qu’il était impossible d’atteindre la taille nécessaire de l’entreprise en si peu de temps, d’autant qu’il n’était pas possible de réaliser aussi rapidement toutes les transactions. Rétrospectivement, on a l’impression qu’à cette époque, tous les développements dans l’entourage du chercheur spirituel auraient nécessité une action rapide. Pour lui, il était important que les gens puissent se prononcer en faveur de ses propositions sans plus attendre. Mais on ne réussit pas à convaincre les hommes d’affaires, prudents, de le faire ; ils ne comprirent pas qu’ils devaient agir tant que le chercheur spirituel était parmi eux.

Les entreprises commerciales progressèrent elles aussi très lentement, en partie parce qu’elles rencontrèrent souvent des résistances ou que les gens n’étaient pas assez généreux. Même la communication avec les sociétés affiliées ne fut pas toujours facile, tantôt à cause de soucis financiers, tantôt à cause d’attentes déçues. Les rapports annuels et les bilans des deux premières années d’activité montrent que beaucoup de choses de ce genre se produisirent jusqu’à ce que l’usine de cigarettes Waldorf-Astoria, avec ses quelque 1500 employés, permette apparemment d’arriver à une certaine stabilité. Cependant, pour des raisons qui sont traitées plus en détail dans le chapitre sur la dissolution du Kommende Tag, il fallut céder cette entreprise au bout d’un an seulement, ce qui signifiait qu’elle ne pouvait plus adhérer à ses plans sociaux réformistes. Rudolf Steiner eut la lourde tâche de rédiger lui-même une limitation de programme (cf. annexe).

C’était en mars 1922, et le rapport annuel de l’année 1922 fait clairement la lumière sur le processus ; en même temps, on se réjouissait de pouvoir assurer la continuité de l’école Waldorf.

Néanmoins, cette limitation de programme fit l’objet des interprétations erronées les plus diverses, en majorité intentionnelles. Plutôt que de nous engager dans des discussions stériles à ce sujet, nous préférâmes développer notre entreprise et rendre fructueux le succès financier que la vente très discutée des actions Waldorf-Astoria nous apporta en structurant nos anciennes entreprises et en faisant quelques nouvelles affiliations (cf. annexe). Il ressort de plus en plus clairement de ce texte que les transactions commerciales se déroulaient alors de la manière habituelle, de sorte qu’il devint nécessaire de relever Rudolf Steiner de la présidence du conseil de surveillance le plus rapidement possible. Les fabricants Rudolf Zöppritz de Heidenheim et Wilhelm Schrack de Cannstatt rejoignirent ensuite le conseil de surveillance. Le conseil de surveillance admit également, à partir de 1922, deux représentants des ouvriers et des employés (Thankmar Deutsch et Hermann Kohlhammer).

Le comte Carl von Keyserlingk, en tant que conseiller agricole – comme le comte Otto von Lerchenfeld – fut également nommé au conseil de surveillance un an plus tard. Le lien avec Keyserlingk s’avéra particulièrement fructueux pour Konradin Hausser, le directeur des domaines agricoles. La correspondance avec Keyserlingk, transmise en partie directement, en partie par l’intermédiaire du siège social, traitait de sujets importants tels que la rotation des cultures, le broyage des grains et la cuisson du pain dans un four à bois. Les discussions qui en résultèrent intéressèrent les frères Gmelin. C’est dans ce contexte que Rudolf Gmelin fonda plus tard la boulangerie Eselsmühle près de Musberg, qui produisait le populaire pain Gmelin dans le four à bois. Cette boulangerie, avec un café, existe encore aujourd’hui. Rudolf Gmelin, qui était également un géologue enthousiaste, rassembla au moulin une collection qui vaut la peine d’être vue.

Grâce aux offres des amis anthroposophes, quelques petites affiliations furent faites dans les domaines de la lutherie et de la valorisation des fruits.

Ainsi, après l’introduction de la limitation du programme, le Kommende Tag semblait avoir un avenir sûr en tant qu’entreprise purement commerciale grâce à la conversion en obligations, c’est-à-dire en marks-or.

1 Conférence du 30 décembre 1919 : Geisterkenntnis als Tatengrundlage, in : Gedankenfreiheit und soziale Kräfte. GA 333, Dornach 1971.

2 Conférence du 31 décembre 1919 in : La Saint-Sylvestre des mondes et le Nouvel An de l’avenir spirituel. GA 195, Dornach 1962.

3 L’eurythmée fut fondée le 30 avril 1924 à Stuttgart par Mme Alice Fels.

4 Rudolf Steiner, allocution du 11 mars 1920 (non publié).

5 Le comte de Saint-Germain fut aussi celui qui mit en garde la reine Marie-Antoinette et, lors d’une rencontre secrète, lui conseilla de fuir immédiatement, parce qu’elle risquait d’être condamnée à mourir sur l’échafaud. Cf. Karl Heyer, Aus dem Jahrhundert der französischen Revolution. Stuttgart 1956, et : Die französische Revolution und Napoleon. Stuttgart 1964.


6 Il existe de ce dessin quelques avant-projets intéressants qui ont été publiés par Mme Assia Tourgueniev en 1957 dans Erziehungskunst n° XXI/8. Rudolf Steiner avait dit de cette forme qu’elle représentait la métamorphose du triangle « mathématique et géométrique » en quelque chose d’« organique et de vivant ».

7 Ce fut finalement Rudolf Steiner, avec le Dr Ita Wegman, qui le rédigea sous le titre « Données de base pour un élargissement de l’art de guérir ». GA 27, Dornach 1972.

8 Hans Kühn, Vom Strader-Apparat, in : Mitteilungen aus der Anthroposophischen Arbeit in Deutschland, 25e année. Cahier 4, 1971.

9 Comme je ne suis pas physicien, je ne me permets pas de demander davantage de détails sur cet appareil, bien que je me sois beaucoup intéressé au modèle original qui se trouvait sur la scène, en 1913, pour la représentation du drame-mystère « Le gardien du seuil ». Ce n’est qu’après le décès de Rudolf Steiner que j’eus l’occasion de fabriquer avec M. Zoller, ingénieur, un modèle très proche de l’original, que de nombreux amis intéressés ont vu depuis.

10 Rudolf Steiner, Les exigences sociales fondamentales de notre temps. GA 186, Dornach 1963 ; cf. note 16.

11 Der Villard'sche Versuch. Eine Experimentaluntersuchung von Dr. rer. nat. Rudolf E. Maier. Stuttgart 1923.

12 Lili Kolisko, Eugen Kolisko. Ein Lebensbild. Stuttgart 1961.

13 Rudolf Steiner, La connaissance initiatique. GA 227, Dornach 1960.

14 Lili Kolisko, Sternenwirken in Erdenstoffen. Saturn und Blei. Ein Versuch, die Phänomene der Chemie, Astronomie und Physiologie zusammen zu schauen. Stuttgart 1952.

15 Theodor Schwenk, Le chaos sensible. Création de formes par les mouvements de l’eau et de l’air. Stuttgart, 1976.

16 Le Dr Hauschka développa par la suite des méthodes pour éviter l’alcool dans les médicaments de la Wala.

17 Rudolf Steiner/Marie Steiner - von Sivers, Briefwechsel und Dokumente 1901-1925. GA 262, Dornach 1967.

18 Rudolf Steiner, Les sources spirituelles de l’anthroposophie. GA 78, Dornach 1968.

19 Article « Économie internationale et organisme social tripartite » in : Articles sur la question social, sur la tripartition de l’organisme social et sur la situation contemporaine 1915-1921. GA 24, Dornach 1961.

20 Rudolf Steiner, Calendrier de l’âme. Dornach 1972.