Troisième partie :
nous vivrons autrement

Les conditions d’existence de l’humanité se transforment rapidement et sur tous les plans.
° Sur le plan technique, il y a de plus en plus d’avancées susceptibles de nous simplifier la vie. Mais nous en payons le prix par un accroissement de notre dépendance, du chômage, de l’exploitation des matières premières etc.
° Sur le plan écologique, notre compréhension de l’écosystème dans toute sa complexité s’affine de plus en plus ; néanmoins, notre mode de vie le déséquilibre tout autant et nous perdons tout contact personnel concret avec ce dernier, ce qui constitue une menace interne et externe pour notre vie.
° Sur le plan de la formation, nous assistons à une spécialisation intellectuelle croissante. En revanche, la société manque de plus en plus de compétences sociales, artistiques, artisanales, écologiques et pourvoyeuses de bien public.
° Sur le plan social, jamais il n’y a eu autant de media « sociaux » et d’échanges entre les peuples. En même temps, jamais il n’y a eu autant d’égoïsme, de solitude, de souffrance psychique etc.
° Sur le plan financier, il y a effectivement des masses de capitaux importantes, qui pourraient offrir des possibilités inédites pour financer avantageusement des transformations sociales et écologiques ; mais ces capitaux sont investis plutôt égoïstement et centralisés contre le développement de l’homme et de la nature.
° Sur le plan spirituel, de plus en plus de gens s’inventent individuellement une nouvelle relation au monde spirituel, ce qui leur donne de la force et « de l’enthousiasme » pour les défis quotidiens. En même temps, il n’y a jamais eu autant de gens en recherche spirituelle et complètement désorientés. Les déclarations de non appartenance à l'église s'amoncellent. La dépendance vis-à-vis de sectes et de groupuscules  religieux croît et provoque souvent une perte de réalité.
° Sur le plan politique, il n’y a jamais eu autant d’accords sur des améliorations sociales, écologiques et économiques. Mais ceux-ci sont à ce point édulcorés par les lobbyistes de l’industrie financière que la classe politique, en définitive, travaille plutôt contre le développement de la nature et de l’humanité.
° Les médias modernes mettent à notre disposition des masses d’informations telles que jamais on n’en avait eu. En revanche, la dépendance, la manipulation et le contrôle des masses n’ont jamais pris un caractère aussi tyrannique.
Tout cela risque de modifier rapidement les conditions de vie de l’humanité entière, et donc les nôtres. Il ne tient qu’au sens des responsabilités des hommes et à leur volonté d’agir que ces transformations s’abattent brutalement sur nous ou qu’on puisse en amortir le choc.
Les transformations sociales s’amorcent généralement à l’initiative d’individus isolés. C’est la « qualité » des nouvelles impulsions, mais aussi le « nombre de graines de départ » qui amènera la « masse », et ensuite la classe politique, à les suivre quand l’heure sera venue de prendre de vraies décisions.
Ces rapports à l’environnement, au social, au politique et à l’économie se dégradent, même si on les trouve normaux. Et dans ces conditions, je ne vois venir pour le moment aucune décision de transformation fondamentale. Le confort et la peur du changement sont bien trop forts, ce qui donne au lobby de l’économie financiarisée, avec ses comparses dans les media et en politique, toutes facilités pour continuer à maintenir ce système économique centralisateur et rapace. Il faudrait des crises violentes pour que les masses prennent l’initiative de véritables changements.
Chacun sait, bien sûr, comment se comporte une grenouille dans une eau dont on augmente la température très lentement : elle finit par mourir. Alors qu’une grenouille qu’on plonge dans une eau trop chaude en ressortira immédiatement… Nous aussi, les humains, nous allons être confrontés à de telles situations chocs.

 

Rappelons ici un exemple où des transformations sont devenues possibles alors qu’elles ne le paraissaient pas auparavant : Fukushima ! Cet événement qui nous a tous choqués a bouleversé la politique énergétique de nations entières ; et surtout, de celles qui connaissaient un mouvement antinucléaire et alternatif fort dès avant l’accident nucléaire. Si, au moment décisif, les arguments pour un changement avaient été déjà discutés, entendus et pour partie même mis en œuvre par la population, c’est à tous ces militants que nous en sommes redevables.
Un autre exemple, l’Islande. Lorsque ses trois plus grandes banques, au cours de la crise financière de 2008, se sont retrouvées en défaut de paiement, le peuple a décidé par referendum d’interdire au gouvernement de se servir de fonds publics pour les sauver. La part d’investissement étranger de ces banques a été purement et simplement liquidée et les spéculateurs, qui s’enrichissent toujours aux dépens de tiers sans la moindre activité dans la production réelle, sont repartis les mains vides. Dans ce processus, le gouvernement, qui avait cédé au cartel financier, a été dissous. Le nouveau gouvernement a sorti le pays de la crise. Il va de soi que nos media, asservis qu’ils sont à la finance, n’évoquent que rarement cette transformation.
Mais dès aujourd’hui, avant le prochain effondrement économique, chacun peut en toute liberté, il suffit de le vouloir, prendre parti pour des changements positifs tout à fait considérables (cf. aussi les recommandations en annexe à ce livre). En voici un exemple particulièrement stimulant.
Dans le petit Etat du Bhoutan, situé entre la Chine et l’Inde, le roi a pris une initiative fortement porteuse d’avenir. Il a introduit le système de « bonheur social brut ». Qu’est-ce que le « bonheur social brut » ? Voici la définition qu’en donne le dictionnaire de la soutenabilité :
En 1972, le roi du Bhoutan a décrété le « bonheur » but suprême de la politique nationale. En 2008, le « Gross National Happiness » (gnh) est intégré à la Constitution ; mais l’idée remonte bien plus loin. C’est en effet dès le 18e siècle qu’il a été formulé dans un texte de loi que le gouvernement n’avait pas de raison d’être s’il ne se préoccupait pas du bonheur de ses citoyens ( !!!) (Ura et al., 2012). Les avancées sur la voie d’un bonheur national brut plus élevé sont mesurées à l’aune de l’index gnh.
L’index compte neuf rubriques (bien-être psychologique, emploi du temps, vitalité de la société, diversité culturelle, résilience écologique, niveau de vie, santé, formation et bonne gouvernance) qui peuvent être évaluées à partir de 33 indicateurs agrégés. gnh est donc un projet multidimensionnel, qui prend en compte non seulement le bien-être subjectif et le bonheur, mais aussi les aspects sociaux et la nature.
En 2010, lors d’un premier sondage national, le bonheur des Bhoutanais avait augmenté. Selon les réponses, 10,4 % des gens étaient « malheureux », 47,8 % étaient « peu heureux », 32,6 « largement » heureux et 8,3 « profondément heureux ». Mais à partir de ces résultats, on peut aussi voir quels groupes de la population sont heureux ou malheureux et dans quels domaines. Les données devaient servir au gouvernement pour améliorer les conditions de vie des habitants encore moins heureux. »
Actuellement, l’ensemble de la campagne bhoutanaise s’est converti à l’agriculture biologique et à un système de formation créatif fondé sur la culture. Malheureusement, on n’entend que trop rarement parler de cet exemple inspirant dans les media. Mais rien ne vous empêche de chercher par vous-mêmes des informations supplémentaires.
Il n’y a aucun doute : si c’était un pays plus connu qui décidait de procéder à un tel changement et qui essayait de se libérer de la dictature des marchés financiers, l’effet en serait démultiplié. Quel exemple ce serait pour le monde entier !


La Suisse pourrait devenir un exemple

Imaginons que la Suisse devienne un repère lumineux sur le chemin du futur. Même si cela paraît complètement utopique aujourd’hui (il faudrait que la Suisse connaisse une vraie crise pour que cela devienne réalité), la Suisse réunirait alors les meilleures conditions pour jouer un rôle de premier plan.
° Elle ne s’est pas encore laissée embarquée dans les griffes bureaucratiques de l’Union européenne.
° Elle a un système démocratique développé de longue date avec une forte participation citoyenne.
° Les cantons et les communes ont encore (!) d’importantes prérogatives de pouvoir décentralisé.
° Sur le plan international, la Suisse bénéficie d’une reconnaissance forte du fait de ses standards dans les domaines de la formation, de la culture, de l’environnement et de la démocratie, mais aussi du fait de sa neutralité et de ses capacités de médiation dans les situations politiques tendues.
° Sa situation géographique au milieu des Alpes lui a permis de moins endommager la nature et les structures des villages que d’autres pays.
° Son endettement se situe encore dans des limites qui lui évitent la paralysie, alors que c’est l’inverse pour la plupart des pays de cette Terre.
° Son multilinguisme et son multiculturalisme la relient étroitement à bien d’autres pays…
Les possibilités de changement résultent du contenu du livre. Voici une esquisse des modifications les plus importantes :
° « Un tournant culturel » pour le développement de l’homme et de l’environnement est déclenché par « le haut et le bas ». Tous les secteurs sociaux sont associés à ce but.
° Les manipulations politiques et sociales par des media et par des lobbyistes de l’économie financière seront massivement limitées. On encouragera largement une culture de l’information objective et de l’échange.
° La monnaie et l’économie seront contraintes à des objectifs humains et naturels de développement par de nouvelles conditions générales qui restent à créer (exemple : interdiction de l’intérêt et nouvelles lois fiscales)… Les évolutions positives seront encouragées, les tendances négatives seront rendues compliquées, voire taxées. Les notions de « croissance », « centralisation » ou « spéculation » seront à l’avenir connotées négativement.
° On engagera la société sur la voie d’un changement structurel vers l’égalité, la liberté et la fraternité.

  1. L’Etat prendra réellement en charge à l’avenir la « parité des droits » et la sécurité de tous les citoyens. En tant que « bien commun », la monnaie est un « bien juridique » ; à l’avenir, elle sera créée et contrôlée exclusivement par une banque totalement nationalisée, qui reste à créer : la Monetative, qui se verra attribuer le rôle de quatrième autorité de l’Etat.
  2. La formation et la culture seront développées dans la plus grande « liberté » possible par des commissions librement élues qui disposeront des monnaies nouvellement créées par la Banque nationale. Les enfants seront élevés en relation avec la nature.
  3. Les relations économiques seront constituées « fraternellement » par des associations de producteurs, de prestataires de services, d’artisans et de commerçants. (cf. aussi les chapitres « Liberté, égalité, fraternité » et « Créer l’ordre ».

° Pour donner à l’homme et à la nature une chance de survie, il y aura une aide à la croissance des « capacités humaines infinies » dans les domaines de la formation, de la culture et du social. Tandis que l’utilisation des « ressources finales » que sont les matières premières, l’air, l’eau, la terre (humus) sera massivement réduite ; on essaiera même de restaurer ces ressources.
° Pour ce faire, on amorcera un grand tournant vers la décentralisation. La plus grande partie des besoins (nourriture, logement, énergie, travail, culture, formation, social, santé etc.) pourra être satisfaite sur place ou dans la région. La circulation des biens et des personnes s’en trouvera nettement réduite et la qualité de la vie s’améliorera.
° Toutes les entreprises agricoles fonctionneront sans chimie ni ogm ; elles ne recevront plus de fourrage de pays du tiers-monde. On renforcera la culture des légumes, des fruits et des céréales de façon que la population puisse progressivement se nourrir de produits locaux. On restaurera délibérément l’humus. On fera revivre sur différents plans les relations entre agriculteurs et consommateurs.
° La réduction de la consommation matérielle, la décentralisation, les nouvelles techniques, la transformation des maisons et des usines, tout cela fera qu’on n’aura plus besoin que d’une partie de l’énergie que l’on consomme aujourd’hui. Le soleil, le vent, l’eau et le bois fournissent suffisamment d’énergie ; on pourra même encore exporter l’électricité des centrales hydroélectriques des lacs de barrage.
° Le passage de la société de consommation à la nouvelle société de culture et de services procurera du travail en quantité plus que suffisante dans des domaines diversifiés.
° Du fait du nouveau système, la monnaie ne pourra plus être simplement ponctionnée pour les marchés financiers. Les bénéfices seront mis à la disposition de la formation, de la recherche, de la culture, du social et de l’écologie.
° Pour contribuer au développement mondial de la paix et de la culture, on consacrera au moins 15 % du budget de l’Etat à l’aide au développement dans le sens des conceptions du développement exposées ici. Cet argent viendra des recettes fiscales générées par les « empreintes écologiques et sociales » des marchandises importées et de l’ancien budget militaire, puisqu’on n’en aura plus besoin. Une grande partie des jeunes Suisses pourra faire un service international pour l’homme et la nature avec des travailleurs humanitaires. L’industrie pharmaceutique, Nestlé, les grandes banques, l’industrie de l’armement, les négociants internationaux en matières premières etc. auront intérêt à réfléchir : préféreront-ils mettre leur position de leader mondial au service de l’humanité ou s’expatrier puisque le nouveau système fiscal leur aura ôté toutes raisons de poursuivre des pratiques commerciales indignes en Suisse ? Evidemment, il y aura plus d’un Suisse pour vouloir garder sur place ces « entreprises qui font de l’argent ». Mais, pour reprendre une comparaison, va-t-on vraiment garantir aux voleurs la sécurité dans le village alors qu’ils se livrent à des razzias dans les autres villages ? Même si les gros actionnaires (les chefs des voleurs) penchent pour le retrait, la plupart des travailleurs voudront rester sur place et avec leur savoir-faire ils pourront contribuer au grand programme de transformation de l’homme et de la nature.

Des communautés porteuses

La colonne vertébrale de toute société, ce sont des communautés qui marchent. Les anciennes communautés qui se sont agrandies naturellement telles que la famille, le voisinage, le village, le lieu de travail, l’église, la communauté monastique etc., au sein desquelles l’individu pouvait trouver refuge, ont généralement perdu de leur rayonnement. Les Etats ont réussi à assumer en partie ce rôle de refuge grâce à leurs services sociaux. Mais de plus en plus, nos rapports économiques néolibéraux mettent à mal ces assurances sociales centralisées.

Les revendications politiques centrées sur des augmentations de salaire s’adressent à des Etats de plus en plus faibles, qui n’ont pas les moyens d’apporter autre chose qu’une protection sociale ponctuelle et passagère. Les anciennes sécurités externes touchent à leur fin. Il nous en faut de nouvelles formes, inédites.
A l’avenir, c’est dans notre for intérieur qu’il faudra aller chercher la sécurité. Nous devrons nous créer notre propre intériorité, indépendamment de l’Etat, de la famille, de l’employeur, de la banque etc. et nous donner un pool de forces qui se nourrisse de l’esprit des possibilités de développement futur pour l’homme et la nature.
En définitive, c’est bien nous, en nous appuyant sur cette intériorité, qui inventerons nous-mêmes de nouveaux chemins pour sécuriser la vie de notre famille, de notre voisinage, de notre communauté de travail etc.
Il devrait en ressortir une tonalité générale de gratitude, d’apprentissage permanent, de plus-donner-que-recevoir. Nous apprendrons à compter sur le fait que nos tâches internes comme externes influencent positivement les gens de notre entourage.
Dès aujourd’hui fleurissent un peu partout des communautés de ce type, toutes nouvelles, qui font rayonner leur sécurité intérieure sur leur entourage. Je pense que, sans ces communautés qui se structurent dans la douceur dans tous les domaines de la vie, nos conditions de vie auraient déjà volé en éclats.

Il serait bon aussi que de toutes nouvelles communautés pleines d’énergie, composées de gens particulièrement conscients de leurs responsabilités, se frottent aux problèmes économiques, sociaux et écologiques qui s’aggravent sans cesse. En s’associant, elles pourront bâtir des communautés exemplaires, dans lesquelles les formes de vie du futur se développeront dans la confrontation à l’expérience. Mais cela nécessite une compréhension de fond des forces sociales que sont la liberté (dans la formation, dans la vie culturelle et religieuse), l’égalité (dans la vie juridique) et la fraternité (dans la vie économique).
On peut penser par exemple à un « village-organisme » du futur, qui développerait en toute conscience les deux piliers de la vie que sont l’agriculture et la culture. Entre ces deux piliers pourrait se développer une vie sociale, économique et juridique simple mais forte, dotée de structures décisionnelles reposant sur une information large, la compétence et le sens des responsabilités ; elle serait multi-générationnelle et neutre en énergie et disposerait d’un secteur de transformation alimentaire , d’un secteur artisanal, d’une monnaie locale, de jardins d’enfants, d’assurances retraites et maladie, d’un centre de séminaires, d’une charte des rapports de propriété etc. — Dans ces sociétés, ce ne serait plus l’autosuffisance qui serait au centre, mais un service de développement général de la culture.
Même les villes ont besoin de ce type de communautés prêtes à offrir leurs services. Il sera très important d’y constituer des espaces de vie culturelle, sociale et écologique et d’y établir un lien avec des exploitations agricoles écologiques.

 

Des expérimentations se sont déjà menées dans différentes communautés mais il y a encore beaucoup à faire. Chaque site, chaque groupe, présente ses propres conditions. L’important, c’est que tous ces groupes, toutes ces organisations et ces activistes individuels approfondissent leurs relations entre eux — en apprenant les uns des autres. Chacun peut apporter son écot. « L’écoute » et le « questionnement » devraient préexister à la « parole » et au « savoir ». Avec notre ancien mode de pensée, nous n’y arriverons pas. Avant tout, les nouvelles communautés ont besoin d’un processus d’apprentissage permanent (Un livre suivra sur ce thème.) Dans mes activités de conseil, je rencontre très souvent des communautés qui s’effondrent ou même qui ont du mal simplement parce qu’elles ont omis de s’assigner un idéal supérieur ou des capacités nouvelles dans le social, l’économique ou le droit. Les bonnes intentions ne suffisent simplement pas.
Voici une image qui rendra plus claire la nécessité d’une préparation préalable pour une communauté qui se veut efficace : si un groupe veut escalader le mont Everest, il va commencer par se soumettre à une préparation intensive : entrainement physique et mental intense, étude des cartes et des rapports de précédents grimpeurs, conseils, ou mieux encore participation de guides expérimentés, règles sociales et règles de conduite, bonnes tentes, bonnes cordes, bonnes chaussures, bonnes vestes, bonnes radios, formation aux premiers soins, médicaments et tant d’autres choses encore. Tout cela coûte très cher. Et évidemment, on ne pourra pas non plus se dispenser de la volonté de fer qui seule garantira le succès de l’expédition, malgré les inconnues ! Au cours de la phase préparatoire, certains se retireront, d’eux-mêmes ou sur des conseils avisés. Mais ils pourront accompagner le groupe en qualité d’auxiliaires. — La préparation d’une collectivité de vie ou de travail suppose d’autant plus d’efforts que l’on veut qu’elle ait un effet positif durable à l’extérieur !
(Nous sommes en train d’organiser une formation internationale sur la formation de communautés. Plus de détails à ce sujet à la fin de ma biographie en annexe.)
La puissance d'attraction des groupes qui vivent et travaillent autrement tient à leur diversité. Quand elles deviennent trop grandes, les organisations perdent de leur force intérieure du fait de l'institutionnalisation qui commence à les atteindre, ce qui facilite leur mise en cause par l’extérieur. Les media dominants peuvent toujours y relever une « faute » quelconque, ou bien les faire passer pour des « sectes », simplement parce que quelques personnes veulent vivre autrement (plus en conscience). Il faudra beaucoup de petits David pour remettre Goliath à sa place.
L'Histoire nous a donné à voir la persécution et l'extermination d’une organisation désintéressée et philanthropique. Le Moyen-Age fut une période d'instabilité politique, de barbarie, de faim et de déclin. Décadente, l'Eglise n’avait pas les moyens d’y faire face. Un mouvement profondément religieux s’est alors levé pour le développement culturel et économique de l'ensemble de l'Europe et il a réussi à inverser cette évolution négative. L'ordre du Temple, officiellement les Pauvres Chevaliers du Christ et du Temple de Salomon à Jérusalem (1118-1312) associait une vie monacale profondément spirituelle aux idéaux d'une chevalerie protectrice. Les Templiers ne se contentaient pas de protéger les pèlerins, qu'ils aillent à Jérusalem ou à Saint-Jacques-de-Compostelle, par exemple, ils veillaient aussi à sécuriser les voies commerciales de l'Europe entière. Partout, ils fondèrent des hôpitaux, des auberges et des hospices. Pour sécuriser le commerce, ils introduisirent même une sorte de système de chèques. Contre le versement d'une taxe, on pouvait déposer de l'or dans une quelconque de leurs nombreuses commanderies et se le faire remettre dans une autre au vu de la lettre de change émise initialement. Entre les bénéfices qu'ils tirèrent de ces opérations bancaires socialement utiles et les importants dons fonciers qu’ils reçurent, les Templiers eurent les moyens de faire avancer la culture en Europe. Pour eux, ces richesses considérables en terres, en bâtiments et en or n’étaient pas des « possessions », mais un « moyen » de propager un christianisme philanthropique. C'est à l'action et aux connaissances mathématico-spirituelles des Templiers que l'on doit les premières ébauches de construction de bon nombre d'églises et de cathédrales gothiques. Les membres de l'Ordre eux-mêmes — conformément à leur nom (pauvres chevaliers du Christ) — vivaient dans une extrême pauvreté. Dès cette époque, ce mouvement a été en mesure de rénover les structures du pouvoir du monde — oui, même déjà celles de la démocratie — par un système qui s'appuyait sur la compétence. Les Templiers se soumettaient en pleine conscience aux lois religieuses de la chrétienté. Plus un des membres pouvait « percevoir » en méditant les lois spirituelles du développement humain, plus il avait une position élevée dans la hiérarchie de l'Ordre. Au sommet se trouvaient les initiés avec le Grand Maître à leur tête. Ces chefs spirituels agissaient essentiellement à partir de la France. (Avant : Chypre, Jérusalem, Acre).
Parmi les Grands du monde et au sein de l'Eglise, les idéaux élevés et les possessions concrètes de l'Ordre des Templiers provoquèrent méfiance et convoitise — surtout chez le roi de France, Philippe IV le Bel. Il organisa avec le pape Clément V une action concertée contre les Templiers ; le vendredi 13 octobre 1307, il émit un acte d'accusation tenu secret jusqu'alors et fit jeter au cachot tous les Templiers de France en les accusant notamment de sorcellerie et d'homosexualité — et tous leurs biens furent confisqués. Dans les semaines qui suivirent, Philippe le Bel soumit de nombreux Templiers aux tortures les plus brutales et réussit à leur extorquer les aveux qu'il attendait. Il confia alors la suite de l'instruction à l'Eglise. Les enquêtes menées par l'Inquisition sous le contrôle de l'Eglise durèrent encore des années et légitimèrent les pires tortures. Beaucoup périrent, que ce soit lors de ces « auditions » ou sur le bûcher. Le 22 mars 1312, le pape Clément interdit l'ordre des Templiers. Le dernier Grand Maître de l'ordre des Templiers, Jacques de Molay, et ses compagnons vécurent encore deux années « d'auditions » des plus atroces. Le 18 mars 1314, ils furent brûlés vifs sur un bûcher à Paris. Peu avant sa mort, Jacques de Molay revint sur les aveux qu'on lui avait extorqués et protesta de l'innocence de l'Ordre.
A ce jour, les Templiers n'ont pas encore été réhabilités par l'Eglise catholique et la dissolution de l'ordre des Templiers n'a même pas été formellement levée. Alors que la plus grande partie du matériel historique sur cet épisode cruel est entre les mains de l'Eglise catholique, il n'est pas étonnant qu'aujourd'hui encore les Templiers inspirent des légendes qui s'appuient sur des documents soi-disant officiels.
Certes, Jacques de Molay et ses milliers d'alliés ont dû brutalement mettre un terme à leur mission ; mais leurs acquis culturels continuent à vivre aujourd'hui encore et leur « foi inébranlable dans le potentiel de développement des hommes » produit toujours ses effets dans le monde spirituel et peut être cherché par chacun en toute liberté.
C'est pourquoi ce livre est dédié à Jacques de Molay et à tous ceux qui ont donné leur vie à l'édification d'un monde plus digne de l'humanité.